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Billet de blog 24 janvier 2023

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Destruction des Jardins Joyeux : « un beau raté patrimonial »

L’histoire des Jardins Joyeux, à Rouen, est celle d’un engrenage fatal de manquements et de complaisances qui dit l’impunité dont jouissent les opérateurs immobiliers dans notre pays, à tous les niveaux de décision et de contrôle par la puissance publique. Le feuilleton durait depuis plus de deux ans et trouve son dénouement dans un fiasco absolu dont personne ne veut endosser la responsabilité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rouen, quartier Saint-Nicaise, 20 janvier 2023. Le chantier de démolition est spectaculaire. Impasse des Flandres, l’aile orientale du Foyer Sainte-Marie, un vaste couvent fermé en 2015 et vendu en 2017 dans des conditions troubles, inaugure le cycle des destructions patrimoniales. Sur près de 80 mètres, des bâtiments du XXe siècle (D) et du XIXe siècle (E), sur des assises du XVIIe et XVIIIe siècles datant de la fondation de la « Maison » rouennaise de l’ordre hospitalier des Mathurins, ont été broyés et jetés à bas. Ont disparu avec eux un théâtre de poche conventuel, dont c’était le dernier exemplaire rouennais en état, installé dans une ancienne chapelle, elle-même aménagée dans l’ancien hôpital des Mathurins, ainsi que les vestiges, en soubassement, de leur église. La parcelle entière de 8 000 m², située en contrebas du rempart du XIVe siècle, après avoir été presque totalement déboisée l’été dernier, est méconnaissable. Le jardin étagé du XVIIe siècle, où le collectif d’occupation des Jardins Joyeux avait créé à l’automne 2021, avec des riveraines et des riverains, les premiers potagers partagés du quartier, n’est plus qu’un champ de manœuvre pour les machines. Le long de l’impasse des Flandres, les engins évoluent au milieu d’un magma poussiéreux de gravats de toutes époques. Ce spectacle de désolation est à l’image de la social-écologie mise en œuvre localement. Il en est le tombeau éloquent. À moins de 300 mètres de l’hôtel de ville…

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Foyer Sainte-Marie, janvier 2023. © Françoise N.

Depuis l’envoi le 9 janvier d’une lettre à la ministre de la culture, Mme Abdul-Malak, par l’association La Boise de Saint-Nicaise et la Fédération Patrimoine-Environnement, on sait qu’il y a une forte présomption de présence de sépultures des XVIIe et XVIIIe siècle sous la pointe sud de l’aile démolie et à proximité (église et cloître des Mathurins). Les registres anciens les dénombrent exactement et les localisent parfois au pied près. Du tout-cuit pour les archéologues. Aucune précaution particulière, cependant, n’a été prise jusqu’à présent par l’entreprise de démolition et le donneur d’ordres, le promoteur caennais Sedelka. Le Service régional d’archéologie (SRA) de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Normandie, qui a malencontreusement omis, par « manque de temps et de moyens », ce détail des sépultures, détail qu’une simple lecture des archives départementales lui aurait permis de déceler bien en amont, tente dans l’urgence de rattraper le coup en prescrivant un nouveau diagnostic ; la ville de Rouen, prévenue de longue date de ce risque par les associations de défense du patrimoine, mais coincée par les permis qu’elle a signés, est aux abonnés absents ; le promoteur peut continuer à dérouler son programme de résidence de luxe, intitulé, sans gêne aucune, sans doute par antiphrase, le « Parc des Mathurins », alors que le jardin de ces religieux n’existe plus et que les pelleteuses s’approchent dangereusement du niveau où sont susceptibles de se trouver les dépouilles, si du moins elles n’ont pas été déjà balayées, dans l’hypothèse où les restes humains auraient été déplacés ultérieurement sur le site, labouré en tous sens. 

Tout n’est pas encore démoli, d’ailleurs, ce vendredi-là. Il reste un pan de mur de 15 mètres à abattre rue de Joyeuse, en bout d’aile. Des briques, des colombages en mauvais état et un vieux crépi grisâtre. En fin de matinée, un claquement énorme secoue les maisons à des dizaines de mètres à la ronde. Le mur s’est effondré sur la chaussée, projetant des débris et une poussière rouge dans tout le secteur. En vis-à-vis, une chapelle inscrite MH (monument historique) – le quartier regorge d’édifices inscrits ou classés à proximité immédiate. Aucun périmètre de sécurité rigoureux n’a été délimité lors de l’opération et les autorisations d’occupation de la voirie sont périmées depuis 20 jours. Si une personne était passée non loin à ce moment-là, elle aurait pu être tuée sur le coup ou gravement blessée. Sur le signalement de riverains effarés par tant de laxisme, la direction des espaces publics et naturels de la ville de Rouen bouge enfin et le promoteur est verbalisé par la police municipale. Il n’en continue pas moins le chantier.

Cette dernière péripétie du feuilleton des Jardins Joyeux illustre à merveille le peu de cas que font, dans cette affaire, les différents acteurs privés et publics des morts comme des vivants, et des lois qu’ils sont censés appliquer ou faire appliquer. Des acteurs qu’il faut rappeler à l’ordre régulièrement, inlassablement, photos à l’appui pour être crus, mais sans garantie d’effet.

Après un an et demi de lutte opiniâtre des opposants au projet immobilier, soit l’arc associatif complet des défenseurs locaux de l’environnement et du patrimoine, appuyés nationalement par la Fédération Patrimoine-Environnement et Stéphane Bern, l’engrenage fatal qui a abouti à ce que l’antenne rouennaise du SRA, jointe par téléphone, qualifie elle-même de « beau raté patrimonial » commence à se laisser appréhender. Premier constat : hormis durant l’occupation du site par les Jardins Joyeux, de juin 2021 à janvier 2022, le promoteur a toujours eu un boulevard devant lui, les rares obstacles potentiels n’apparaissant que trop tard pour qu’il ait à s’en inquiéter ou à en tenir compte, voire étant levés par les administrations elles-mêmes, étrangement en retrait. Second constat : la liste des manquements connus et documentés par les associations et enquêtes de presse confirme les avis recueillis depuis près de deux ans auprès de professionnels de l’immobilier, d’architectes, d’archéologues ou d’historiens. Rarement un dossier en a cumulé autant. Il s’agit d’un cas d’école. Puisse-t-il éclairer utilement l’incurie et la lâcheté qui règnent à tous les échelons, et dont tant de scandales découlent partout sur le territoire. L’État lui-même ouvre les brèches par où les prédateurs du bien commun peuvent s’engouffrer à l’aise pour se servir. C’est aux citoyennes et citoyens, pour beaucoup bénévoles, de les colmater, vaille que vaille, sous la menace, désormais, de la répression policière.

Quant à la ville de Rouen, elle peut s’enorgueillir d’inaugurer sa candidature au titre de capitale européenne de la culture, du fait même des permis qu’elle a délivrés, avec la destruction d’un théâtre de poche, l’anéantissement d’un jardin du XVIIe siècle et la mise en péril de sépultures anciennes. Prière d’en informer l’actrice Karine Viard, sa marraine.

Voici donc toute la chronologie de l’affaire, en l’état actuel des connaissances, et sous réserve qu’une enquête administrative soit un jour menée pour en démêler l’écheveau complet.

  • Août 2019

L’Inrap (établissement public mis en concurrence avec le privé, donc sous pression), mandaté par la Drac Normandie, effectue un diagnostic archéologique sur le site de l’ancien Foyer Sainte-Marie, consistant en huit tranchées en extérieur, lesquelles représentent moins de 5 % des 8 000 m² soumis à diagnostic, ce qui est peu, même en contexte urbain très contraint. Ni le Service régional d’archéologie (SRA) de la Drac ni l’Inrap ni l’architecte des bâtiments de France (ABF) responsable du secteur n’ont consulté, visiblement, le dossier des archives départementales sur le couvent des Mathurins, premiers occupants du site. Si au moins 28 dépouilles signalées par les registres anciens pourraient se trouver sous le bâtiment E, à l’emplacement de l’ancienne église des Mathurins, alors hors de portée des archéologues, au moins 5 autres sont localisées dans le « cloître », à l’extérieur, donc. Les tranchées sont ainsi creusées sans tenir compte de cette donnée pourtant aisément accessible et anticipable (tout couvent ancien, a fortiori avec église et hôpital, implique la présence de sépultures). Le diagnostic archéologique, même lacunaire, fait 78 pages (la synthèse seule a été mise en ligne en mars 2022). S’il ne mentionne pas l’hypothèse de la présence de sépultures sur le site, s’il passe à côté de vestiges apparents (une croix monumentale de faîtage et des blocs sculptés en tas), il signale du matériel remontant au Paléolithique, de nombreux éclats de poteries allant du Moyen Âge au XVIIIe siècle, et des éléments en os façonné suggérant un artisanat de type tabletterie.

  • 22 octobre 2019

La ville de Rouen, sans même attendre l’avis de la Drac sur la base du diagnostic archéologique ni même se renseigner un peu plus sur le site, délivre au promoteur Sedelka un premier permis de démolir qui vise le bâtiment E (il est encore affiché), précisément celui qui est le plus sensible patrimonialement (théâtre de poche, vestiges de l’hôpital et de l’église des Mathurins, sépultures). Le promoteur Sedelka, la ville de Rouen et l’ABF ignorent en outre l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945, toujours en vigueur, qui soumet à autorisation préalable du ou de la ministre chargée de la culture toute destruction ou réaffectation d’une salle de spectacles. Il est vrai qu’à l’époque, la Drac n’a pas encore reconnu officiellement l’existence du théâtre de poche, mais son statut est indiscutable (décors, costumes et archives sont encore sur place). Tout paraît ainsi déjà plié à cette date, avant même que les riveraines et riverains ne disposent officiellement des informations utiles, même partielles, pour attaquer le projet.  

  • Novembre 2019

Sur la base du diagnostic archéologique, la direction – intérimaire – du SRA libère la parcelle de toute contrainte de fouille préventive. L’antenne rouennaise du SRA, contactée par La Boise la semaine dernière, reconnaît l’omission malencontreuse des sépultures, faute d’étude approfondie des archives, et parle d’un « beau raté patrimonial ». Le même service admet que si la Drac avait su pour les sépultures, elle aurait ordonné une fouille préventive et le projet du promoteur aurait dû être modifié pour tenir compte de leur présence supposée.

Qui dit fouille préventive, dit réécriture du projet et retard dans son instruction par les services de l’urbanisme de la ville. Autrement dit, en cas de fouille, le promoteur n’aurait pas pu obtenir son premier permis de construire (PC) début mars 2020 et aurait en plus basculé sous le régime du nouveau plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), qui sanctuarisait le jardin historique du couvent, sous le statut de coulée verte inconstructible.

Cette décision de la Drac en novembre 2019, pour anecdotique qu’elle paraisse, tout en validant a posteriori l’autorisation de démolition, conditionne les choix qui seront faits par la suite et la minimisation constante, contre toute évidence, de l’intérêt patrimonial du site (circulez, il n’y a rien à sauver, à part le bâtiment central du XVIIIe siècle et une grande chapelle XIXe sans affectation). 

  • Mars 2020

Le feu vert ayant été donné en novembre 2019 par la Drac, et même un peu avant par la ville pour la destruction du bâtiment E, tout a pu être bouclé in extremis début mars 2020, tout à la fin de la mandature de M. Robert (PS), juste avant le premier confinement, les élections municipales et l’entrée en vigueur du PLUi. Ce calendrier, de l’aveu même, en off et devant plusieurs témoins, des élus écologistes de l’actuelle mandature, ne devrait rien au hasard et aurait favorisé le promoteur. Ce serait le petit cadeau empoisonné de l’adjointe sortante à l’urbanisme de M. Robert à sa successeure. Ambiance…

Quelques riverains de l’impasse des Flandres, constatant des irrégularités, envisagent de déposer un premier recours contre le PC initial et font appel à La Boise pour son volet patrimonial, alors qu’on dispose encore de peu d’éléments sur le site, même si l’existence du théâtre de poche est déjà signalée par eux. Après des négociations tripartites promoteur-riverains-ville, dans des conditions difficiles (pandémie), un arrangement est trouvé et le promoteur et la ville travaillent sur un projet de PC modificatif qui aggrave cependant les effets sur le sous-sol du secteur sensible (bâtiment E et environs) en envisageant d’y aménager un parking souterrain sur trois niveaux (au lieu des deux initiaux).    

  • Juin 2021

L’occupation du site par le collectif des Jardins Joyeux permet d’améliorer considérablement sa connaissance, en lien avec les archives, et aboutit à un premier inventaire réalisé par l’association La Boise de Saint-Nicaise, ainsi qu’à la formulation de l’hypothèse de la présence de sépultures, fondée sur le seul résumé en ligne du contenu du dossier « Mathurins » des archives départementales. Le naturaliste Jean-Paul Thorez, de son côté, réalise un inventaire des espèces d’oiseaux et des essences végétales observées sur le site. La médiatisation de l’occupation contribue à diffuser les découvertes et à démontrer l’intérêt patrimonial autant que naturel du Foyer Sainte-Marie.

Illustration 2
Foyer Sainte-Marie, 2018. © D. C.
  • 27 novembre 2021

Sans tenir aucun compte de ces éléments mis au jour depuis 2020 par les associations, M. Mayer-Rossignol (PS), nouveau maire de Rouen, l’adjointe écologiste à l’urbanisme ayant refusé d’en porter la responsabilité, signe un PC modificatif qui aggrave l’atteinte patrimoniale dans le secteur sensible. Il n’a jamais mis un pied sur le site… Cette aggravation, avec déplacement du parking souterrain par rapport au PC initial, aurait dû appeler, selon le SRA, un diagnostic archéologique complémentaire. La ville – et c’est une faute – ne l’a pas demandé.

Au même moment, une foncière, intéressée par le site pour de la réhabilitation, de l’habitat social et étudiant, prend contact, sur conseil des élus écologistes de la ville, avec le collectif des Jardins Joyeux pour travailler ensemble sur un projet alternatif non destructeur.

  • Décembre 2021

Le collectif d’associations de soutien des Jardins Joyeux envoie à la ministre de la culture Roselyne Bachelot une demande d’instance de classement, avec son dossier patrimonial joint pour la motiver, ceci afin de provoquer une réévaluation de l’intérêt du site, et éventuellement un gel du chantier. La ministre fait suivre à la Drac Normandie... Circularité de la patate chaude.

Une première demande de consultation du PC modificatif, document public, est refusée par la direction de l’urbanisme réglementaire, signe de l’inconfort de la ville de Rouen. Il faut une deuxième visite et la menace d’un constat d’obstruction pour obtenir l’accès au PC.

  • Janvier 2022

Les Jardins Joyeux sont expulsés du site, ce qui jette à la rue des familles avec enfants en pleine trêve hivernale. Le 25 janvier, le collectif de soutien aux Jardins Joyeux et des riverains envoient au maire un recours gracieux de 58 pages pour lui demander d’annuler sa signature du PC modificatif. Réponse négative des services de l’urbanisme, qui ne retiennent aucun des arguments nombreux invoqués, y compris sur le sujet de la démesure d’un tel projet pour un quartier comme le quartier Saint-Nicaise, dans la phase chantier comme dans ses suites.

  • Juillet 2022

En réponse à la demande d’instance de classement, la Drac Normandie dit qu’il n’y a pas lieu de protéger le site du fait de la présence d’autres couvents déjà protégés au titre des monuments historiques. Elle préconise de préserver les vestiges apparents et, reconnaissant enfin l’existence du théâtre de poche, d’en sauver les décors, à charge pour la ville de Rouen de les récupérer. Cette reconnaissance tardive de l’existence du théâtre de poche intervient hors délai de recours. La préconisation d’en sauver les seuls décors est un non-sens patrimonial. Il s’agit, littéralement, de sauver les apparences.

Fin juillet, en pleine canicule, le promoteur fait déboiser illégalement (il avait oublié de demander une dérogation au Code de l’environnement) le jardin du XVIIe siècle, où des espèces d’oiseaux protégées avaient été inventoriées. Le quartier Saint-Nicaise est le quartier du centre-ville rouennais qui aura perdu le plus d’arbres depuis 2020, sous deux mandatures municipales comprenant des élus écologistes… À la suite de ce déboisement, une plainte pour destruction d’espèces protégées est déposée, sur sollicitation des associations Les Amis de la Terre et Les Bouillons Terres d’avenir, par l’Office français de la biodiversité (OFB). La députée Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) de la 4e circonscription de Seine-Maritime, Mme Dufour, ancienne porte-parole des Amis de la Terre, se mobilise au côté du collectif et des élus écologistes de la ville, dépassés. Le massacre est suspendu temporairement. Aucune nouvelle de la plainte à ce jour.

La foncière renonce à son projet alternatif, sa proposition de rachat du site ayant entraîné, selon nos informations, une surenchère de la part du promoteur Sedelka.

  • Septembre 2022

Le déboisement reprend sur l’ensemble de la parcelle. Le jardin du XVIIe disparaît, sauf une bande de hauts arbres sur un talus en fond de parcelle, au pied du rempart. La croix monumentale, en dépit des préconisations de la Drac, est brisée et gît sur le sol devant la grande chapelle, ouverte à tous les vents, où les décors du théâtre sont entreposés. Reniant la promesse faite au collectif et à ses adjoints écologistes de travailler sur une municipalisation du jardin ravagé, le maire négocie directement avec le promoteur l’abandon de la construction de l’immeuble-vitrine prévu en travers des terrasses (victoire dérisoire), lui laissant la pleine propriété du site, en échange de l’attribution facilitée d’un terrain dans le futur « écoquartier » Flaubert, nouvelle grande aire de jeu (et future pataugeoire – on est en zone inondable) de la spéculation immobilière, sur la rive gauche de Rouen, à quelques centaines de mètres de la poudrière des sites Seveso. Le promoteur ne perd rien au deal, il y gagne même, en l’état de la poussée spéculative. Sur le reste de la parcelle, le projet de densification demeure inchangé.

  • Décembre 2022

La Boise étudie les archives départementales et y trouve la confirmation de son hypothèse de la présence de sépultures, au moins 33, très précisément identifiées et situées par les registres anciens.

  • 9 janvier 2023

Après avoir établi un relevé des sépultures, La Boise envoie une lettre à la ministre de la culture, Mme Abdul-Malak, lui signalant le non-respect par la ville de Rouen et le promoteur de l’ordonnance de 1945, ainsi que la présence probable de restes humains, et lui demandant de faire arrêter le chantier et d’ordonner une fouille préventive sur l’ensemble de la parcelle, pour intégrer l’hypothèse d’un déplacement ultérieur des corps. Copies envoyées au député de la circonscription, M. Adam (Renaissance), à la députée de la 4e circonscription, Mme Dufour (Nupes), engagée au côté du collectif au moment de la destruction du jardin durant l’été 2022, à la Drac Normandie, à Stéphane Bern et à Mediapart. Le jour même, Stéphane Bern répond – c’est bien le seul – et s’engage à appuyer la demande. Des élus de la ville de Rouen sont prévenus de l’initiative et du risque de dommages patrimoniaux multiples. L’archevêque de Rouen, Mgr Lebrun, est averti dans la foulée.

  • 11 janvier 2023

Les démolisseurs s’attaquent à l’aile orientale du couvent (bâtiments D et E).

  • 13 janvier 2023

Les Amis des monument rouennais, une des plus vieilles associations françaises de défense du patrimoine (1886), se joignent à La Boise et à la Fédération Patrimoine-Environnement pour demander l’arrêt du chantier et le déclenchement d’une fouille préventive.

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Foyer Sainte-Marie, juin 2021 vs. janvier 2023. © L.A-M

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À ce jour, mercredi 25 janvier, ni le ministère de la culture, ni la ville de Rouen, ni même l’archidiocèse n’ont communiqué ou pris officiellement position sur le sujet – l’éléphant dans la pièce –, alors qu’il y a toujours un risque de viol de sépultures d’un intérêt patrimonial majeur pour l’histoire religieuse rouennaise. Le SRA de la Drac Normandie, et c’est tout à son honneur, car il lui restait, semble-t-il, encore un peu de marge pour agir, annonce à La Boise tenter une dernière manœuvre en prescrivant un nouveau diagnostic archéologique qui, s’il se révélait positif, appellerait une fouille. Avec l’antenne rouennaise du Service régional d’archéologie, seuls Stéphane Bern et Mme Dufour ont mouillé la chemise. Une réunion – de mise au point ? – a bien eu lieu entre la Drac et le promoteur mercredi dernier, mais les destructions se sont poursuivies depuis, sans ménagement. Quant aux décors du théâtre de poche, six mois après, ils attendent toujours que la ville vienne les récupérer. Cela donne le ton des rapports de force à l’œuvre.

Il semble que les aménageurs dictent leur tempo aux administrations, assujetties et pressurées, au détriment des Codes de l’urbanisme, de l’environnement et du patrimoine.

La Drac en est réduite à demander aux citoyennes et citoyens, dont ce n’est pas le métier, de veiller à sa place sur le bien commun et de l’approvisionner en informations qu’elle n’a plus le temps ni les moyens de recueillir elle-même. Le chantier du Foyer Sainte-Marie, ou du peu qu’il en reste, ne sera arrêté et une fouille préventive déclenchée qu’en cas de diagnostic positif. Ce bougé de la Drac, en forme de rattrapage, intervient après que la parcelle a été largement défigurée et au prix d’efforts considérables de la part des associations mobilisées pour ramener dans le jeu les autorités compétentes. Logique inversée d’une administration sous-dotée qui n’encadre plus grand-chose et se lie elle-même les mains, alors qu’elle est astreinte au principe de précaution. Reste à espérer que les corps se situent bien là où les archives disent qu’ils sont. Sans quoi il y aurait peu d’espoir de les retrouver.

La France, État failli ? On n’en est plus très loin.

Illustration 4
Pierre Léger, « Le Rachat des captifs au marché par les religieux mathurins », fin XVIIe-début XVIIIe, réserve du musée des Beaux-Arts. Le tableau ornait l’église des Mathurins de Rouen. © Scan Musée des Beaux-Arts de Rouen

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POUR ALLER PLUS LOIN :

– les podcasts de l’émission « C’est bientôt demain » de France Inter sur les Jardins Joyeux :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/c-est-bientot-demain/c-est-bientot-demain-du-dimanche-26-decembre-2021-4248507

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/c-est-bientot-demain/c-est-bientot-demain-du-dimanche-25-septembre-2022-3265980

– la liste des inhumations au couvent des Mathurins de Rouen, telle qu’elle ressort des registres anciens :

Antonin Procureur (révérend père), mort en 1673.

Thimotée Lesconard (révérend père, ancien supérieur et ministre de la maison), mort le 20/08/?.

Nicaise Rocquiny (frère convers).

Barthélémy Le Boulenger (frère et clerc perpétuel), frère de M. Le Boulenger, maître des comptes de la ville de Rouen, mort le 18/04/1700, pensionnaire (de l’hôpital) pendant 30 ans.

M. de la Porte (séculier), conseiller à la Cour des aides, mort le 14/02/1697.

Louis Bregeon (petit serviteur des messes), mort à environ 14 ans le 03/02/1721, fils de Pierre et Marie-Anne Paquier.

Robert de la Mare (frère), écuyer, sieur d’Hocquelus, entré en la maison le 20/04/1701, mort le 07/02/1725, à 65 ans environ.

Sébastien Vau(c)lin de La Motte (révérend père), ministre de cette maison, mort le 25/01/1725, à 69 ans, dont 49 passés en religion.

Ambroise Thoumin (révérend père), religieux prieur de Saint-Christophe et ministre du couvent de la Sainte-Trinité et Hôtel-Dieu de la ville de Lisieux, 69 ans, 50 en religion, mort le 14/03/1728, à 69 ans, dont 50 en religion.

Chrysostome Davoult (révérend père), profès de la maison, mort le 09/08/1729, à 65 ans environ, dont 46 en religion.

Nicolas Racine (frère convers), mort le 18/07/1730, à 69 ans environ, dont 16 en religion.

Anselme Morel (révérend père), originaire de Caen, profès de la maison, mort le 25/05/1735, à 61 ans, dont 38 en religion. Le couvent « lui a obligation d’une grande quantité de beaux et bons livres qu’il a mis dans [sa] bibliothèque, provenant de la rétribution de ses sermons ».

Philémon de La Motte-Vauclin (révérend père), mort le 03/06/1735, à 80 ans (dont 62 en religion) d’une attaque d’apoplexie, premier profès prêtre de cette maison. Quatre fois ministre à Rouen, une fois à Lyon, deux fois à la Rédemption aux royaumes d’Alger, de Tunis et de Tripoli, « d’où il a retiré un grand nombre de captifs, dont il a fait imprimer deux relations » (État des royaumes de Barbarie, Tripoli, Tunis et Alger, 1ère édition /anonyme, 1703).

Alexandre Bardoul (messire, ancien curé d’Orget), mort le 08/11/1735, à 80 ans, tombé en démence, en pension 29 ans dans le couvent.

Mathieu Demière (frère convers), mort le 17/02/1738, à 71 ans (dont 39 en religion), d’une attaque d’apoplexie.

Laurent Le Berthier, originaire du Havre (révérend père), convers de la maison, mort le 23/04/1738, à 79 ans, dont 55 en religion et 35 de quête « en ramassant des sommes considérables […] de tous côtés et en faisant un voyage en Espagne pour aller en Barbarie, où il n’a pu passer pour y racheter les pauvres infortunés captifs ».

Pierre Roné (ancien captif, pensionnaire), originaire de près de Mantes, mort le 18/02/1745, à 77 ans environ, d’une fièvre maligne, après avoir été esclave à Constantinople pendant 37 ans, avoir été racheté en 1732 par le RP Jehannot, ministre et supérieur de la maison de Beauvoir-sur-Mer, de l’ordre de la Sainte-Trinité, et être resté 13 ans à l’hôpital des pauvres captifs invalides.

Jacques du Chesne (frère convers), profès de cette maison, né à Bourg-de-Ry, mort le 10/10/1745, à 74 ans environ (dont 49 en religion), paralytique. « Il a fait beaucoup de bien à cette maison par son économie et les épargnes qu’il a faites d’une pension viagère que feu son oncle, curé de Gisancourt lui avait faite sur l’Hôtel-Dieu de Rouen. » Il a fait des dons de chapes, de calices, vaisselle et meubles de cuisine et d’argent pour embellir la maison et le jardin.

Louis de la Porte (très révérend père), né au bourg de Moreuil, diocèse d’Amiens, alors doyen des profès de la maison, mort le 23/07/1750, à 76 ans (dont 51 en religion), d’une attaque d’apoplexie « que n’ont pu guérir ni saignées, ni gouttes de lilium, ni élixir de M. André, ni vésicatoires ». « C’est lui qui a fait le bâtiment neuf couvert d’ardoises, où est l’hôpital qu’on voit pour les esclaves, et cela pendant trois ans de supériorité. »

François-Jacques Moulin (révérend père), profès de la maison, mort « pulmonique » le 16/07/1750, à 29 ans, dont 11 de profès.

Jean-Baptiste-Charles de la Cour (frère donné de la maison), originaire d’un village proche de Gisors, mort le 17/01/1753, à 30 ans environ, « d’une maladie des plus dangereuses faisant continuellement appréhender pour lui ».

Thierry Felen de Mezières, originaire du diocèse de Reims, mort le 07/02/1753, à 78 ans environ, d’une fièvre causée par une fluxion de poitrine, « après avoir été esclave 22 ans à Constantinople ». Racheté par RP Jehannot, il est ensuite demeuré dans la maison 21 ans.

Charles du Tremblai (révérend père), mort le 23/05/1754.

Marie-Thérèse Nicole, demeurant paroisse Saint-Godard, enterrée le 07/09/1754.

Ivelin de Leville (très révérend père), ministre et profès de cette maison, enterré le 12/04/1755.

Cécile Nicole, enterrée 13/01/1757.

Michel Concedieu, natif du Pays de Caux, enterré le 10/04/1758.

Antoine de la Mare (révérend père), « ancien vicaire général et provincial, et doyen de cette maison », mort à 69 ans (dont 47 en religion), inhumé le 03/09/1760.

Jean Fac, né à Valenciennes, mort le 11/06/1763, à 49 ans environ, après neuf mois en Barbarie, racheté le frère S. Mentourg, ministre, dans le mois d’octobre 1750.

Jean-Baptiste Marvailler (révérend père), profès de la maison de la Marche et vicaire de la maison de Rouen, mort à 31 ans environ (dont 10 en religion), inhumé le 07/03/1764.

Henri Nicole (révérend père), profès et doyen de la maison, mort à 70 ans environ, dont 45 dans la congrégation, inhumé le 26/12/1764.

Jean-Baptiste Pied-de-Lièvre (frère), profès de la maison, mort à 29 ans, inhumé le 19/03/1768.

Joseph Thierion de Briel, profès de la maison de Pontoise, mort à 56 ans le 27/04/1773.

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