Dans l'histoire politique française, les exemples de courage individuel ou collectif sont rares. Laissons de côté le collectif, puisque notre régime caporaliste et infra-démocratique s'en défie (il serait la proie toute désignée des démagogues), et concentrons-nous sur nos magistrats et représentants. Si nous ne manquons pas et n'avons jamais manqué de chefs ou d'aspirants à l'être, bien peu conjuguent passion du commandement, haute capacité d'écoute et sens des responsabilités. Le spectacle donné par la plupart de ceux qui nous bassinent les oreilles, à chaque occasion électorale, de la nécessité de faire des choix progressistes, illustre plutôt le vieil adage de l'attentisme conservateur : "Être faible avec les forts et fort avec les faibles", les faibles, bien entendu, étant toujours les mêmes, les derniers barreaux inférieurs de l'échelle sociale, ceux qui ne sont pas représentés, qui n'ont pas les moyens de l'être et dont nul ou presque ne se soucie, les nomades, les migrants non médiatiques, les sans-dents qui ont usé les leurs à essayer de gagner leur pain dans les règles de la concurrence prétendument "libre et non faussée", les toujours-dentés qui veulent épargner celles qu'il leur reste en se tenant à l'écart de ce marché de dupes. Dans les ministères, en vérité, il n'y a point de choix substantiels, pleinement et durablement assumés, avec tous les risques que cela comporte et dont on est justiciable. Le risque est moindre de taper sur les Roms, sur les chômeurs de longue durée, forcément tire-au-flanc et boulimiques de prestations sociales. On choisit de taper dur sur ceux-là, en termes martiaux, gonflant outrancièrement la menace (les Allemands disent : "Écraser une mouche avec un marteau"), et on choisira de ne pas choisir face à de puissants groupements d'intérêts qui, eux, constituent une réelle menace pour le corps civique. En ménageant la chèvre et le chou, au niveau des derniers barreaux supérieurs de l'échelle, on se condamne à voisiner avec Charybde et Scylla.
C'est exactement cette forme d'inertie suicidaire qui sous-tend la promotion du gazole ("diesel oil" en anglais) en France. J'écris "la promotion", car avant d'être "plébiscité" par les automobilistes, le gazole fut promu par l'état, avec tous les moyens de l'état, au détriment d'autres carburants, ce qui relativise quelque peu l'intensité et l'objectivité de l'engouement collectif. Cette promotion, on la doit au général de Gaulle, qui n'y connaissait rien en chimie et pensait à tort que la grandeur d'une nation se mesure à la prospérité de ses capitaines d'industrie. Le choix d'un paquet essentiellement nucléaire pour l'approvisionnement électrique allait générer un surplus considérable qu'il faudrait bien écouler. Il fut donc décidé d'encourager les ménages à se chauffer électriquement et non plus au fioul. Plutôt que de laisser tomber la filière pétrochimique qui le produisait, on lui trouva un nouveau débouché : l'automobile. Et le fioul devint le gazole. Et l'industrie automobile nationale se lança dans la production massive de moteurs Diesel. Alors l'argument selon lequel le nucléaire réduirait notre dépendance aux hydrocarbures... Celle-ci s'est simplement déplacée du secteur électrique au secteur des transports, où la déesse Bagnole a encore des millions de dévots. Puisque de Gaulle n'a pas tranché entre le fioul et la radioactivité artificielle, on se retrouve à devoir gérer les pollutions induites par ces deux inventions remarquables. En ne voulant léser personne, on intoxique tout le monde. Et quand on sait que l'état français, au nom des constructeurs hexagonaux, a fait du lobbying à Bruxelles, comme le rappelait Jade Lindgaard ce matin sur France Culture, pour qu'il ne soit rien changé aux protocoles de test irréalistes des rejets des moteurs Diesel, on se dit que les choix politiques en faveur d'une lutte efficace et radicale contre les changements climatiques d'origine anthropique ne sont pas plus pour aujourd'hui que pour demain. De même qu'on peut douter du verdissement de l'opposition de gauche au gouvernement socialiste quand certains de ses ténors réclament une réindustrialisation du pays.
Toute industrie pollue, sinon par ses déchets, du moins par ses bâtiments techniques et ses entrepôts. L'archéologie en suit les traces immondes depuis l'Antiquité. S'il est impossible de se passer tout à fait d'industries, c'est à nous, consommateurs, de réduire notre dépendance aux objets high-tech et de renoncer à certains produits de confort illusoire pour liquider les plus polluantes et contenir l'expansion des autres. Il s'agit là de vrais choix, bien risqués au regard des mots d'ordre de mobilité et d'interconnexion toujours plus poussées proférés en haut lieu, sachant qu'en haut lieu, on se réserve le droit de s'enraciner et de favoriser les siens en vase clos. Ces choix, certes pas aussi spectaculaires que l'implantation d'une immense ferme éolienne, mais bien plus significatifs, honorent ceux qui les font. Il n'y a strictement rien à attendre d'un personnel politique qui cherche toujours des circonstances atténuantes aux vices du capitalisme, sans doute pour excuser ses propres manquements au service du bien commun. Alors, qui ?