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Billet de blog 27 avril 2015

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Équateur, Grèce, Salvador : les nouvelles superpuissances politiques

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Lorsqu’on presse un ministre de sortir de la glu du compromis, présenté à tort comme un des fondements de l’activité démocratique, alors qu’il n’en est qu’une étape, il invoque, pour s’excuser de ne rien tenter, les accords et les traités par lesquels nous serions tenus collectivement. Si l’on s’arrête aux seules questions économiques, il ferait beau voir que ces accords et traités internationaux aient été signés à égalité de considération et avec le plein consentement de toutes les parties intéressées. Le fair trade n’existe pas. Le libéralisme économique est un jeu à somme nulle, avec des participants actifs (les décideurs politiques et économiques) et des participants enrôlés à distance (les consommateurs). Il ne connaît pas le gagnant-gagnant. Certes, il arrive que deux concurrents s’entendent pour se renforcer l’un l’autre sans se nuire, mais ce sera toujours au détriment de quelqu’un ou de la collectivité. Ce sera gagnant-gagnant pour eux, mais le reste sera perdant. La globalisation a élargi l’empire et l’emprise de l’unfair trade. Dans ces conditions, tout traité ou accord qui nous lie à cette pelote d’intérêts apparemment inextricable est un pacte avec le diable. Mais voit-on bien ce que cela implique de pactiser avec le diable ?

Le diable est le Prince des fourbes et des parjures. Sa Principauté est maudite car on ne peut régner absolument et durablement sur un peuple de fourbes et de parjures. Par ailleurs, si les fourbes et les parjures sont mêlés aux honnêtes gens, ceux-ci n’ont pas à se sentir obligés d’honorer les contrats léonins signés par ceux-là. Un pacte avec un Dieu bon et juste ne souffre aucune forfaiture. Un pacte avec le diable est appelé à être désavoué, puisque le châtiment du traître est de vivre dans la crainte constante de la trahison. L’empire de l’unfair trade est un empire friable et son emprise ne tient qu’à la fascination magique que ses prophéties mirobolantes continuent d’exercer sur les semi-esclaves que nous sommes. Or, le diable capitaliste est un Goliath vite désappointé. Il suffit parfois d’une bille de plomb pour le terrasser. On mesure par là l’incommensurable lâcheté, le haut degré d’inconsistance d’une grande partie de notre personnel politique, dont les rodomontades électoralistes, nourries à la mamelle de la gloriole nationale, font vite place, les élections passées, au réalisme conformiste, puis au fatalisme totalitaire façon TINA. La France, paraît-il, est un des états les plus puissants du monde, pourtant, le pouvoir y confesse chaque jour son impuissance.

Ils sont peu nombreux les hommes politiques dont le volontarisme dépasse effectivement les bornes de la profession de foi volontariste, mais ces hommes-là sauvent la politique d’un complet naufrage. Leur principale qualité est de ne se sentir liés que par les intérêts de leur peuple et les contrats équilibrés et renouvelables. J’ai déjà évoqué la manière dont le président équatorien Rafael Correa avait entourloupé les rentiers de la dette et circonvenu les milieux boursiers, avec la complicité de la banque Lazard, pour recouvrer la maîtrise des orientations économiques de son pays. Le gouvernement Tsipras, en Grèce, semble emprunter le même chemin de la révocation d’un pacte inique et inepte. Les combats bien médiatisés de l’Équateur et de la Grèce nous masquent le succès récent et tout aussi méritoire d’un autre David : le Salvador.

Ce petit pays d’Amérique centrale, dont la monnaie est le dollar étatsunien, a franchi en septembre 2013 un premier pas dans son émancipation des fers de la doctrine Monroe. Il a fait interdire 53 produits phytosanitaires à usage agricole, dont le Roundup de Monsanto, classé « cancérogène » par l’OMS. Parallèlement, l’État salvadorien, renforçant le Plan pour l’agriculture familiale mis en place en 2011 par l’ancien président Mauricio Funes, a revalorisé, avec le concours du Centre national de la technologie agricole et forestière, équivalent de notre INRA, les semences locales. Tout n’est pas parfait (promotion d’une nouvelle semence stérile), mais le pays touche d’ores et déjà les dividendes de l’énorme investissement que ces mesures représentent (18 millions de dollars rien que pour le développement d’un maïs salvadorien à destination de 400 000 exploitants) : des récoltes records.       

Le Salvador, comme l’Équateur ou la Grèce, ne fait pas partie de ces pays qui « rayonnent » ou prétendent « rayonner ». En dépit de la faiblesse de ses ambitions géopolitiques, son exemple est une arme géopolitique, une arme inspirante pour tous les citoyens qui ne désespèrent pas du politique et de l’État comme instrument de péréquation. On n’ose imaginer ce que la décision salvadorienne d’abandonner un modèle agricole mortifère aurait donné en France, pays riche, fertile (plus pour très longtemps), où l’administration est puissante, où l’ingénierie agricole dispose de moyens considérables, où le terroir permet la polyculture. Je lance ici un appel solennel au ministre socialiste Stéphane Le Foll, qui ménage la chèvre et le chou, s’agissant des intrants agricoles et des pollutions mortelles induites. Le confetti salvadorien a défié Monsanto, Pioneer & Cie , multinationales omnipotentes. La France, premier consommateur européen de pesticides et donc premier empoisonneur européen (facile d’accuser les Allemands de vicier l’air avec leurs centrales au charbon, quand on sait la contribution de nos gentils jardiniers du paysage aux pics de pollution), est-elle donc un microbe politique pour craindre de céder à d’autres le sommet de ce triste podium ? Le cycle de négociation du TTIP n’est pas encore bouclé. L’État français, s’il agissait maintenant, aurait les coudées franches pour virer sa cuti et tourner le dos à l’agro-industrie. Après l’entrée en vigueur du TTIP, il se trouvera des raisons supplémentaires de ne rien oser, même si, en vertu de la définition même du pacte avec le diable, il serait encore plus fondé à revenir sur sa signature.      

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