(1) CHOISIR un sonnet de Mallarmé comme exergue & enseigne en quelque sorte d'un blog n'est pas un geste complètement neutre.
La simple signature apposée à la fin du poème, "Mallarmé", indique clairement, semble-t-il, dans quelles eaux ce billet entend naviguer. Pour tout dire, la réputation d'hermétisme, d'esthétisme, d'élitisme mallarméen m'a fait hésiter avant de proposer ici ce texte. Mallarmé, c'est sûr, a un côté poésie chic un peu gênant, & nul besoin d'être sociologue pour décrypter la préférence accordée à Mallarmé. Placer Mallarmé du côté de Neuilly, d'Auteuil ou de Passy est une erreur cependant, et je suis sûr qu'on ne le lit pas beaucoup là où règnent Rolex, caviar et champagne.
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(2) EST-CE prétentieux, donc, que de se revendiquer de Mallarmé ? Oui, ça pourrait être prétentieux. Donc, je n'en ferai rien. En vérité, Mallarmé ne fournit que le titre et l'exergue du blog, et nous quitterons rapidement ce sillage dangereux. Les textes publiés dans ce blog ne seront pas à la hauteur de celui de Mallarmé, il y aura des textes simples, parfois simplets : le lecteur déçu par la consultation de ce blog trouvera pour se consoler au moins l'excellente nue accablante.
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(3) TITRES et exergues ont une fonction d'appel, & les formules denses et à première vue énigmatiques que l'on rencontre dans Mallarmé (dans Hölderlin, Trakl, Michaux, Blanchot, Celan...) arrêtent notre regard, nous obligent à ralentir le rythme de notre lecture, invitent à l'élucidation du sens — ils nous permettent d'entr'apercevoir ce que nous perdons lorsque, naïfs, nous nous fions à l'apparente simplicité de la langue : revenir sur les mots, c'est apprendre à réfléchir. Peut-être est-ce aussi un défi jeté au prêt-à-penser que le Pouvoir, la Télévision, la Radio, les Journaux, le Café du Commerce nous proposent : un défi jeté aux mots lisses et aux formules creuses destinées à nous endormir. De ce sonnet de Mallarmé, Tolstoi disait qu'il était incompréhensible. Je suis bien de son avis.
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(4) QUAND on nous explique que la Princesse de Clèves est chose inutile, voire contreproductive — inutile surtout aux guichetières et caissières (suprême & scandaleux mépris!) —, un texte comme ce sonnet de Mallarmé n'est-il pas plus inutile encore ? & donc indispensable actuellement
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(5) ET POURTANT, admirer à quel point le poète ici se montre économe. Certains se promettent de réduire le budget de l'État en ne remplaçant qu'un fonctionnaire sur deux, Mallarmé nous propose un sonnet low budget composé d'octosyllabes (au lieu des plus traditionnels alexandrins), ce qui fait quand même un gain de (14x12)-(14x8) = 56 syllabes/sonnet (au lieu de 168 syllabes, 112, donc --> - 33%). Admirable économie de moyens... Et l'auteur n'abuse pas non plus de la ponctuation : en tout et pour tout une parenthèse & deux virgules……Mallarmé est un poète pour temps de crise
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(et quelle actualité ! le naufrage évoqué dans le poème n'est-il pas celui de ces banques qui sombrent, accablés par les trompes sans vertu de leurs actifs notés AAA?)
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(6) BIEN entendu, choisir un exergue est un exercice subjectif. Si j'aime bien ce texte de Mallarmé, c'est aussi parce qu'on y trouve l'un des vers les plus étonnants de la poésie française :
–––––––––– ou cela que furibond faute ––––––––––
de même qu'est admirable le choix de l'écume comme seconde personne du singulier (tu / le sais, écume, mais y bave) — l'écume fait ici un interlocuteur assez fuyant au demeurant, peu loquace, se contentant de baver (de mépriser?) sur le sépulcral naufrage que nous aimerions tirer au clair. L'humour de Mallarmé : tu le sais, écume, mais y bave
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(7) ET PUIS, le hasard joue : pour illustrer ma page Mediapart, je choisis une photo du phare de Fécamp, prise le 30 décembre 2006.…moi qui préfère la montagne à la mer...
Un phare peut-être pour indiquer que l'on désire, ici, scruter l'horizon, être vigilant, arraisonner ceux qui cherchent, en contrebande, à nous vendre sous le titre réforme leur camelote néolibérale. Ou alors plus prosaïquement parce que ce cliché était le seul qui, quand il a fallu en uploader un sur le site de Mediapart, m'ait semblé potable. Comme une photo marine appelle un poème marin, je vous colle donc à la nue accablante...
(Brise marine aurait été une option valable aussi, mais à la fuite décrite dans ce texte — fuir, la bas, fuir —, je préfère l'évocation de ce que je suis pour l'instant, à savoir furibond)
(à suivre)