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Billet de blog 6 août 2021

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J’ai lu Mâle Noir, premier roman de l’écrivain sénégalais Elgas

Dans ce manuscrit ponctué de divers sujets politiques, comme l’amour, la liberté, l’immigration, le racisme, Elgas bouscule encore une fois les conventions sociales bâties sur des bagatelles et nous invite à méditer sur cette question : Qu’est-ce que c’est que « Aimer » ?

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Cela faisait deux mois que je n’avais pas signé de papier pour une note de lecture ou tout simplement pour aborder un sujet politique, économique ou qui relève de mon domaine d’activité, la gouvernance de l’information numérique. Mais un écrivain majuscule m’a extirpé des caves de la paresse intellectuelle dans lesquelles je m’étais vautré. Oui, j’avais la flemme d’écrire. C’est quand même grave pour quelqu’un qui se bat contre la défaite de la pensée. Cela dit, cet auteur est le polémiste El Hadji Souleymane Gassama, plus connu sous le nom d’Elgas, père du pamphlet Un Dieu et des Mœurs. Il vient de publier Mâle Noir, son premier roman paru aux Éditions Ovadia. Ces deux productions n’ont pas la même matrice, mais elles partagent des points communs : la belle écriture, l’érudition et le courage.

Dans ce grand texte passionnant, « dérangeant et universel », le narrateur, brillant intellectuel sénégalais, docteur en anthropologie à l’université de Caen, fan de Jacques Brel, de Pierre Desproges, du club londonien Arsenal — trajectoire assez analogue à celle d’Elgas —, aborde plusieurs thématiques dont : l’amour, la liberté, la condition de l’Homme, la vie d’immigré en France, le racisme, et son lot de conneries, en toile de fond, de ce que Spinoza appelait « les passions tristes ».

Mais de toutes ces questions majeures, Elgas pointe surtout sa plume éclairée et éclairante sur une notion centrale : « Aimer », dont la richesse est sans commune mesure.

Que signifie « Aimer », fortement imbibé d’empathie, dans nos relations familiales, amicales, affectives ? Mieux encore, quelle place occupe ce sentiment dans les interstices de nos vies en ces temps gris, de fermetures ? Est-ce qu’on peut « Aimer » son prochain comme soi-même en faisant abstraction de sa couleur de peau, de sa langue, de son espace géographique, afin d’atteindre dans toute sa plénitude le concept glissantien de la « poétique de la relation » ?

D’ailleurs, c’est sur cette magnifique et terrible maxime que commence le livre à la page 11, avec ces mots : « Aussi loin que je me souvienne, on ne m’a jamais appris à aimer. Je dois dire que les choses n’ont pas beaucoup évolué. Quand j’ai entrepris moi-même d’y remédier, je n’ai pas eu plus de chance ».

Dès l’entame du texte, le Mâle Noir porte son regard sur cet infinitif « inexprimé » qui le tiraille et tenaille son humanité. Le narrateur est dans une quête d’amour qu’il n’arrive pas à atteindre. Il lui est impossible d’aimer. Cette chose qui fait que l’Homme s’évade dans le sourire de son semblable est un territoire interdit pour le Mâle Noir. Mais pour combler ce manque, il se love dans les abattis du football. « Aimer une famille, des amis, des proches. Un amour. Le grand. L’élu. Je n’en savais rien mais j’en manquais fichtrement. Je voulais apprendre à aimer pour trouver cette libératrice de mon énergie. Rien de tout cela ne se décrétait. Il me restait le foot et le Boxing Day », écrit le narrateur à la page 37.

Ces questions existentielles qui taraudent son esprit n’épargnent pas sa mère. Pour lui, la vision du monde de sa mère est très étriquée. Par conséquent, il s’y oppose. « Je refuse tous les combats qui semblent conditionner mon salut, et peu importe que ça soit face à ma mère. Je ne veux rien en savoir », page 40.

Comme si c’était écrit, le Mâle Noir fait une rencontre décisive avec une fille, Mélodie, une étudiante en géographie à la Sorbonne. Elle touche de plein fouet le cœur du Mâle Noir. Grâce à cette femme blanche, il arrive à aimer d’un amour pur. Il aime intensément sa Mélodie. Le Mâle Noir a dégoté dans cette relation amoureuse tangible quelque chose qui touche à l’universel.

Ces quelques lignes couchées à la page 130 témoignent de ce sentiment de haute intensité : « Ce fut la première fois depuis bien longtemps qu’on m’offrait du soin, de l’attention, de la tendresse. Et je le devais à une petite orpheline dépressive ». Alors que sa mère le voyait avec une fille de sa communauté, de son peuple, in fine, de son pays. Une Sénégalaise, tout simplement.

Dans ce manuscrit ponctué de divers sujets politiques, comme l’amour, la liberté, l’immigration, le racisme, Elgas bouscule encore une fois les conventions sociales bâties sur des bagatelles et nous invite à méditer sur cette question : Qu’est-ce que c’est que « Aimer » ?


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