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Psychologue dans écoles. Parfois j'enseigne à l'Université.

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Billet de blog 19 avril 2021

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Essentiel vs prioritaire: battle royale dans le monde d'après

En tant que psychologue, j'ai pu me faire vacciner. Et, comme je suis dans l'Education Nationale, je n'ai pas hésité. Il n'empêche qu'il n'en est pas de même pour mes collègues. Alors que les écoles et la covid seront réunis lundi prochain. Ces quelques mots sont pour celles et ceux qui ne font pas partie des prioritaires.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Samedi je suis sortie pour rencontrer Pfizer. Autour de moi des personnes âgées. Des âmes prêtes à se sortir de là, pour pouvoir revivre. J'avoue ne pas avoir vu autant de monde en même temps depuis des mois. Et puis je suis retournée dans ma grotte de confinée. J’ai posé mes affaires. Mes filles m’ont sauté dans les bras. Je n'ai rien vu venir, et pourtant j’ai pleuré. J’ai eu les yeux mouillés comme les étoiles les soirs d'orage. Je n'ai pas compris pourquoi tout de suite. C'est ce soir que j'arrive à verbaliser ce débordement d'émotions.

En fait je suis soulagée. Apaisée. Le genre de ressenti que je n'avais pas croisé depuis plus d'un an. C'était comme si le stress coulait dans mes veines et mon coeur. Ce jour je comprends que le 26 avril, quand je reprendrai le chemin du boulot, je serai plus sereine. J'aurai moins la trouille sourde de chopper de nouveau cette merde qui m'a plombé la vie pendant six mois. Lundi, je retournerai dans les écoles maternelles et primaires, et ce métier de psychologue que j’aime tant, je le pratiquerai dans un autre état que celui de la méfiance. Le 26, j’irai au boulot et il n’y aura plus de peur du virus pour perturber mon système digestif. Le 26, je serai plus sereine sur la route, peut-être même que je dirai aux étoiles qu’elles peuvent briller même la journée.

Je savais que j’angoissais un peu, la nuit et le jour.  Je ne pensais pas autant. Je ne pensais pas qu’une injection ferait vaciller mes émotions au point de rouler sur mes joues des sanglots de chagrin qui s’en va. Je ne pensais pas que l’anxiété et l’angoisse et la torpeur dominaient mes mois de boulot de psychologue dans les écoles. Pas à ce point. A croire que je ne gère pas tant que ça. Finalement, Damoclès siégeait tranquille, au dessus de ma tête, avant, bien avant les étoiles. C’était un barrage entre elles et moi. Je n’en avais pas conscience, juste je me sentais stressée jusque dans mes rêves. 

Alors ce jour je ne pense pas qu’à moi. Je pense à celles et ceux qui reprendront le chemin du travail en face à face avec les gamins. Je pense aux AESH, aux personnels périscolaires, aux nounous, aux hôtes et hôtesses de caisse, aux travailleurs en contact avec tous les publics. Je pense à ceux et celles dont le boulot est essentiel. Et qu’on ne qualifie pas de prioritaire. Etrangeté du nouvel ordre social.

Ce que tu produis est essentiel, mais tu n’es pas prioritaire. Tu parles d’un monde d’après. Dans le fond, on ne mérite pas les étoiles ces derniers temps. 

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