Une cours d’école coupée en quatre par des barrières. On dirait des enclos. C'est pour que les enfants soient regroupés par classe le temps des récréations. Loin de moi l’idée de juger. Il y a un protocole, et il y a des raisons à cela. En revanche, je m’interroge. Et je m’inquiète de plus en plus. De ce qui va arriver, et comment. On ne parle pas des enfants, ou très peu. On ne leur donne pas la parole. On dit qu’ils s’adaptent. Et c’est vrai, pour la plupart. Ils ont cette capacité que nous perdons peu à peu, nous, les adultes. Ils s’accommodent : du masque, du lavage de mains, de la distance qu’on met entre nous. Oui, on peut dire qu’ils s’adaptent.
Mais à quel prix? Quelles vont être les conséquences sur leur développement psycho-affectif? Comment vont-ils sortir de tout ça ? Et surtout comment vont-ils se construire ?
L’autre jour, un enfant a levé le doigt pour demander à aller dans le couloir, pour respirer (sans masque, donc). Un enfant a demandé la permission de respirer.
Un autre jour, j’ai entendu : “Non, je ne te ferai pas de bisou à cause du Corona.” Un enfant a peur des bisous.
Et puis aussi il y a cet enfant qui a dit que son père était à la maison : « Au chômage, depuis la semaine dernière. Alors il est triste.» Un enfant s'inquiète pour son papa.
Des scènes qui se transforment en question, il y en a des centaines. Toutes amènent la même conclusion : ce qui s’annonce n’a rien de réjouissant. Ce qui arrive, d'un point de vue économique, social, psychologique, file la boule au ventre. Je ne parle même pas des apprentissages. Parce que pour apprendre, il faut être bien, un minimum. Les enfants sont en train de se construire sur de la crainte, de la peur, des doutes, des habitudes de distance, le tout en suivant un programme et surtout vous passez des évaluations. Le tout dans une hétérogénéité de quotidien, de vécu, de niveau. Parce que demander aux parents d'enseigner a des répercussions, forcément. Et puis les programmes n'ont pas vraiment changé. Aux enfants de s'adapter, là encore.
Les adultes vont mal, leurs parents vont mal, et ça n’est qu’un début.
Je suis psychologue de l'Education Nationale. Je suis dans la réalité de terrain. Je ne peux rien faire. Je n’en ai pas le temps. Je suis chargée de 15 écoles, et je ne peux pas m’occuper de ce qu’il va se passer dans les jours, les mois, les années à venir. Pour les élèves, pour le personnel. J’ai des idées, des outils, des pistes de travail. Je suis psychologue dans les écoles et tous les jours ma frustration grandit en même tant que mon inquiétude. Je n’ai pas le temps.
On parle des élèves à besoins éducatifs particuliers. Parmi eux, il y a les enfants qui ont des parcours de vie perturbés... Tous les enfants aujourd’hui font partie de cette catégorie. TOUS. Alors, il faut plus de psychologues dans les écoles, collèges, lycées. Il faut que les consultations en cabinet soient remboursées. C’est urgent. Pour les enfants. Pour l’avenir.