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Billet de blog 1 août 2019

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LES SIGNES D’UN ÉTAT POLICIER

La découverte dans la Loire du corps de Steve Caniço, tué par des violences policières lors de la Fête de la musique, à Nantes, est un des signes qui manifestent le retour de la France à un état policier qu’elle a connu à diverses reprises au cours de son histoire. Il nous faut nous interroger.

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LES SIGNES D’UN ÉTAT POLICIER

La découverte dans la Loire du corps de Steve Caniço, tué par des violences policières lors de la Fête de la musique, à Nantes, est un des signes qui manifestent le retour de la France à un état policier qu’elle a connu à diverses reprises au cours de son histoire. Il nous faut nous interroger.

 Qu’est-ce qu’un état policier ?

Un état policier est un état soumis à la loi de la police, un état dans lequel la police manifeste une forme d’autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques, un état dans lequel la police dispose d’un pouvoir. Comme, sans doute, tous les pouvoirs, la police a toujours cherché à accroître sa puissance, dans tous les états, dans tous les pays, à toutes les époques. C’est que chercher toujours à s’étendre fait partie des logiques des pouvoirs. C’est même pourquoi, de la même façon que les pouvoirs se sont institués, des contre-pouvoirs sont toujours venus se manifester pour chercher à limiter l’étendue des pouvoirs, pour chercher à modérer l’emprise des pouvoirs sur les états et sur les pays. C’est là, sans doute, que réside la définition de ce qu’est un état policier : un état policier, c’est un état dans lequel les pouvoirs de la police ne se confrontent pas à des contre-pouvoirs susceptibles de les limiter, en mesure de les réduire. Dans un état policier, la police fait sa propre loi et ignore les lois qui devraient lui être dictées par d’autres pouvoirs. C’est ce à quoi nous sommes confrontés depuis la mort de Steve Caniço, à Nantes. Cela a commencé par le silence et par l’insupportable poids de l’incertitude, ce qui, mais nous ne le savions pas encore, constituait, déjà, un premier signe de la puissance d’un état policier. Puis, quand les circonstances ont empêché le silence de durer plus longtemps, l’État a tenté de dissimuler l’emprise de la violence policière. Puis on a fini par découvrir le corps du jeune tué, et, cette fois, les logiques de l’état policier ont consisté dans la revendication de son indépendance, de cette force de toute-puissance qui, en l’occurrence, a consisté dans l’intervention de l’I.G.P.N., Inspection générale de la police nationale : le signe d’un état policier réside dans le fait que la police n’est contrôlée que par elle-même et non par une autorité indépendante d’elle.

Signes contemporains de la puissance policière

Cette absence de contrôle par une autre instance qu’elle est le premier signe que nous vivons dans un état policier. Il ne faut pas se tromper, il ne faut pas se bercer de l’illusion que nous vivons dans un état fondé sur une véritable légitimité politique : faute d’autre reconnaissance, faute d’adhésion d’une part de plus en plus importante de la population qui rejette sa politique, l’État semble ne plus pouvoir fonder sa puissance que sur la force et sur la violence. C’est là le signe contemporain d’une puissance policière : c’est la police qui fonde su la seule violence la légitimité de l’état. Quand Max Weber explique que ce qui définit l’état est « le monopole de la violence légitime »[2], il articule bien la violence à la légitimité. C’est même la nature de la légitimité dont il dispose qui définit l’identité politique de l’État. Un État policier est un état dont la puissance se fonde sur la force violente de la police. Mais, si l’absence d’autorité de contrôle indépendante d’elle est un premier signe de la puissance policière, il en existe deux autres que l’on peut relever dans notre pays, aujourd’hui. Le premier est le fait que la police n’est pas soumise à une obligation d’informer. Le silence est probablement un des signes majeurs de la puissance policière, dans tous les pays dans lesquels elle s’exerce. Le silence a caractérisé les premiers moments qui ont suivi la disparition de Steve Caniço. Un état policier est un état de silence, un état dans lequel la parole ne s’énonce pas. Les autorités de l’État n’ont pas eu un mot, lors de la mort de Steve Caniço, il a fallu attendre pour que l’État s’exprime et témoigne quelque chose d’une compréhension à l’égard des proches du jeune disparu. L’autre signe de la puissance policière est son étendue dans l’espace. À Nantes, la police entourait la Fête de la musique, pour mieux la surveiller, on pourrait dire qu’elle la cernait, qu’elle en faisait le siège. Un état policier est un état dans lequel la police de l’État est partout, est visible partout, et, en particulier, s’impose aux pouvoirs locaux, aux autorités des collectivités territoriales, villes, départements, régions.

 Police et justice

Reste un dernier aspect de la puissance de la police dans un état comme le nôtre : sa relation à la justice. Donnons encore à la justice le bénéfice du doute, de l’attente. Même si les premiers mots de la justice n’ont pas fait preuve d’une indépendance réelle de son pouvoir, notamment à l’égard du pouvoir de la police, une plainte a été déposée par les proches de Steve Caniço, et la suite qui sera donnée à cette plainte par la justice constituera une indication de l’ampleur du pouvoir de la police dans notre pays. Mais disons-le tout de suite : dans un état qui n’est pas un état policier, la justice est là pour limiter les pouvoirs de la police, au sens propre de ce terme : pour marquer les limites de ces pouvoirs en exerçant la puissance d’un contre-pouvoir. La relation entre la police et la justice est le signe majeur de la puissance de la police dans un pays. Un état policier est un état dans lequel la justice est soumise à la police, tandis que, dans un état pleinement démocratique, la police – rappelons-nous qu’en France, on parle de police judiciaire – est réellement soumise à la justice.

[2]Le métier et la vocation d’homme politique(1919).

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