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Billet de blog 8 août 2019

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À PROPOS DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE

C’est presque passé inaperçu. Ça a été voté, un peu en catimini, en première lecture, à l’Assemblée nationale, le 23 juillet. Il s’agit d’un projet de loi qui vise à modifier les règles en vigueur de la distribution de la presse.

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Rappelons-nous le passé. C’était en 1947, au lendemain de la guerre et de la libération. La loi proposée par le député M.R.P. Robert Bichet visait à garantir l’égalité de tous les titres de la presse écrite devant la distribution, en organisant le travail des messageries de presse. La loi Bichet consistait, comme bien d’autres mesures prises lors de la Libération, dans la mise en œuvre d’une partie du projet social et politique conçu par le Conseil national de la Résistance. En confiant à des coopératives – et non à des entreprises privées – la mission, essentielle, de la distribution de la presse écrite, la loi Bichet cherchait à introduire dans les médias la logique de l’égalité, qui était en danger. Essayons de réfléchir aux incidences de ce projet de loi de 2019 sur l’espace public.

 La question de la diffusion de la presse écrite

Si le Conseil national de la Résistance avait inscrit dans son projet la question de la diffusion de la presse, c’est qu’il était déjà clair que les médias jouent un rôle essentiel dans la diffusion des idées, des opinions et des projets politiques et, au-delà, dans leur élaboration même. Pour que la presse soit pleinement un pouvoir qui soit l’égal des autres et pour que les opinions soient réellement diffusées dans l’ensemble de l’espace public, il est essentiel que tous les journaux soient égaux dans leur diffusion. Encore une fois, c’est la question de l’égalité qui est au cœur du débat politique. C’est l’égalité qui fonde la démocratie. En choisissant de chercher à libéraliser la diffusion de la presse, le projet de loi qui vient d’être adopté sacrifie l’égalité à la concurrence et, en faisant de la diffusion de la presse un marché, il soumet les idées, les opinons, les engagements, les projets politiques, aux lois du marché au lieu de les laisser réellement libres de s’exprimer et de se répandre dans l’espace public. C’est l’espace public tout entier – ce que J. Habermas appelle l’espace public et dont il articule la naissance à la Révolution en montrant que les événements de 1789 avaient justement été préparés, en France, par la diffusion naissante de la presse écrite – qui est menacé par la libéralisation de la diffusion de la presse, qui revient, en fait, à une privatisation de l’espace public.

 La place de la presse écrite dans l’espace public des médias et de l’information

Ne nous trompons pas : c’est la presse écrite qui garantit la liberté de l’information et de l’opinion dans l’espace public. En effet, la presse audiovisuelle est trop étroitement soumise – et ce depuis longtemps – à des capitaux privés pour être pleinement libre. C’est la presse écrite qui peut être pleinement libre car c’est elle que les journalistes maîtrisent encore. À cet égard, les titres de la presse élaborée et diffusée dans le réseau Internet, comme Mediapartet, dans des villes de région comme Marsactuà Marseille, ne sont que les formes prises à l’époque contemporaine par la presse écrite. La presse écrite, qu’elle soit imprimée ou numérique, a trois rôles spécifiques majeurs dans l’espace public. Le premier est de donner à l’information le recul de la lecture : alors que la presse audiovisuelle se vit dans l’instant, la presse écrite se lit et, pour cette raison même, elle s’articule à la réflexion, à une certaine distance. Le second rôle de la presse écrite est l’articulation de l’information et d’une opinion revendiquée : comme la presse écrite n’est pas immédiate, elle est aussi assumée par ceux qui l’élaborent et qui, en la signant, la situent dans l’espace politique. Enfin, la presse écrite st plurielle : c’est ce pluralisme de la presse qui est garanti par les conditions dans lesquelles les titres sont diffusés dans l’espace public.

 L’égalité dans la presse et dans l’information

C’est alors que la question de l’égalité devient une question majeure. De la même manière que l’égalité entre les citoyens et entre les acteurs de la politique fonde la démocratie, en assurant que le démos, le peuple, soit réellement porteur du kratos, du pouvoir, l’égalité de la diffusion de la presse assure l’égalité entre les idées et entre les opinions et fonde, ainsi, une démocratie réelle dans le champ des engagements et des identités politiques. Dans La Marseillaisedu 26 juillet, P. Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône, tire la sonnette d’alarme : c’est qu’il y a urgence. Si la diffusion de la presse est livrée au marché, c’est l’égalité entre les titres qui est menacée, t, au-delà, les journaux qui ne pourront pas faire face aux contraintes imposées par le marché ne pourront plus être diffusés et disparaîtront. Cela porte un nom : cela s’appelle la censure. C’est qu’il existe une véritable censure économique de la presse qui va se mettre en œuvre si l’égalité est menacée comme elle le sera si le projet de loi macroniste en cours de débat est finalement adopté.

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