Quand donc une partie de la presse française cessera-t-elle de participer à l'abaissement du journalisme, que la presse étrangère constate et relève. Ne s'acharne-t-elle pas à ne pas traiter cette campagne présidentielle dans les sujets qui devraient être débattus en lieu et place de ce dont elle parle.
C'est ainsi qu'un éditorial, consacré en ce lundi 2 avril par Libération, non pas aux idées d'un candidat mais à son rabaissement à coups d'arguments puisés dans dictionnaire analogique, à l'index cosmologie, ne restera pas comme ce qui l'aura grandi .
Ce journal avait retrouvé sa grandeur, et je m'y étais en conséquence abonné. Cette campagne présidentielle la lui aura à nouveau fait perdre. Et je n'userai pas d'images puisées dans Tintin sur la lune pour parler de cet éditorial dont l'auteur se croit de surplus doué d'un pouvoir de pythonisse, annonçant des chiffres qu'il va puiser cette fois ci, non pas dans la cosmologie, mais dans la plus basse cosmogonie.
Libération aura tout fait, depuis des semaines, pour faire accroire à ses lecteurs, tout comme l'ensemble des autres médias, qu'il n'y a que deux candidats à considérer. Il se fait que l'un des extrêmes a démenti à ce jour les lignes de lecture. Cela présume de quelque arrangement prévisible du favori du quotidien avec le leader de l'ultra gauche ou ses soutiens. Dès lors les pages s'ouvrent, non pas sur l'analyse de son programme, car on serait amené, soit à écrire des phrases qu'on pourrait se voir reprochées plus tard, soit, au nom du passé ou d'un avenir déroutant par son imprévisibilité, à apporter son appui, forcément tactique car contrariant.
Reste à parler du candidat démocrate et centriste, François Bayrou, le seul candidat indépendant de tout appareil, libre de tout attachement aux cercles de la consanguinité des clans placés près des pouvoirs, et par la même insupportable, car dangereux dans les remises en causes qu'il propose. Notamment celles des 12 points de son referendum, dont les médias, en général, se gardent bien d'en faire explication.
Alors, comme il est connu que pour tuer un chien on dit qu'il a la rage, Bayrou est pour Libération le candidat pestiféré, dont on ne peut parler qu'en l'abaissant. Mais surement pas en commentant son programme, qu'on n'a pas du lire, ou ses discours, qu'on n'a pas pris le temps d'écouter, habitué désormais aux sources en 140 signes ou espaces.
Alors, haro sur le pestiféré, doublement pestiféré, puisqu’il semble qu'un candidat du centre ne puisse s'autoriser qu'à taper sur Sarkozy, mais surtout pas sur Hollande qui serait intouchable.
Alors, Libération, dont les sondages viennent plutôt de BVA, n'hésite pas à aller chercher ceux de l'Ifop, qui sont plutôt faits pour le Figaro, pour dire qu'il n'y aurait d'alternance à la droite que la gauche, "Ce qui laisse peu de place à François Bayrou".
Et de reprendre l'antienne des UMP à la ramasse qui font tout pour laisser penser que Bayrou les rejoindra. Sans comprendre, ou en comprenant trop bien, que Bayrou ne cherche qu'à regrouper les intelligences républicaines qui dans chaque camps, à droite comme à gauche, sont aujourd'hui prisonnières des clans et des appareils, condamnées en conséquence à espérer un changement dont il ne faut surtout pas parler, un changement que le peuple, comme il en a parfois eu l'inspiration, est capable de susciter, un changement que les gens en place, tous les gens, craignent et donc font tout pour l'empêcher.
Alors, on ramasse des mots, de petites phrases, supposés venir de l'entourage, pour montrer, pour justifier, qu'on peut donc y aller librement dans le dégommage puisque, mon cher monsieur, mes chers lecteurs, ces mots je les tiens, oui, de l'équipe même de Bayrou "qui ne ménage pas ses critiques".
Et, cerise sur le gâteau, puisque les sondages montrent que Bayrou bénéficie d'un pourcentage de confiance très fort auprès des français, il faut construire une digue salvatrice contre ce courant, car sait on jamais, il pourrait être la source de tourbillons invisibles, de baïnes dangereuses. Alors on change un peu sa méthode. On fait du micro trottoir. C'est vivant; On s'y croirait. De toute façon, c'est si facile de sélectionner dans ces interviews ramassées sur le trottoir les quelques qui vous arrangent, qui vont emporter le lecteur, lequel aime les histoires bien en chair. Un échantillon ? "Voteront ils François Bayrou ? dit l'intervieweur. "Ah ça... répond le premier (l'interviewé), je ne vois pas pourquoi. Il ne peut pas gagner, ça fera comme en 2007...". D'ailleurs, on vous cite aussi une militante "portant le foulard orange... dont elle cache le logo". C'est tout dire !
Sauf qu'on peut dire encore plus. Par exemple parler de la "guerre" entre le Modem et le front de gauche "sur les marchés". La "guerre" oui, c'est celle là, dont il faut parler. Mais pas de celle entre la droite de Sarkozy et la gauche de Hollande. Non, celle là n'existe pas, puis qu'on est d'accord sur l'alternance, répétitive, traditionnelle, obligée, annoncée, pronostiquée.
Alors, après tout ça il faut bien conclure les trois pages exceptionnelles consacrées à François Bayrou, en ce lundi de lendemain de 1er avril. Le mois d'avril va être brumeux comme l'annonce l'article d'Alain Auffray et Christophe Forcari. "Un entre deux tours en plein brouillard". Mais ce ne sont pas les médias ni les journalistes qui seront le soleil qui fait se lever ce brouillard. Reste à espérer que ce seront les français.