Maxime N’ Debeka est né le 10 mars 1944 à Brazzaville.
Dramaturge, metteur en scène, conteur et poète congolais. Toutes ses pièces ont été jouées, enregistrées, diffusées en France, en Afrique , en Allemagne et aux États-Unis.

Directeur de la culture et des Arts de 1968 à 1972, il co-organise le premier Festival des Arts au Congo et fonde en 1969 le Centre de Formation et de Recherche d’Art Dramatique.
Condamné à mort une première fois en 1972 par les autorités congolaises en raison de son engagement pour la liberté et la justice, Maxime N’Debeka a dû à plusieurs reprises se contraindre à quitter son pays. Exilé en France dans les années 1980, il retourne au Congo en 1993 et deviendra Ministre de la Culture en 1996 .
En avril 2000, suite à la guerre civile congolaise, il a été accueilli en résidence "Ville Refuge" à Blois. Il a décidé d'y créer sa propre association : Afrique en Blois. Il est membre du Parlement international des écrivains.
Toi, le possible chimérique
suivi de
Les divagations de rêveur insomniaque
de
Maxime N’ Debeka
Le Manteau & la Lyre
Obsidiane 2015
Comme si la poursuite de la Beauté n’était possible qu’à l’intérieur d’un “magma informe “, d’une sorte de néant–vide, d’un désespoir profond, ce chemin que parcourt le poète Maxime N’Debeka, sans doute une chimère, mais aussi lieu d’émergences possibles de ce Vide ou de cette nuit, par leurs “friselis”, vibrations d’une parole naissante, ténue, à travers les réseaux des neurones, “cette inflexible tension vers la Beauté ce vivre douloureux
de croire sans fin
la Laideur dissoluble”.
C’est cette croyance qui fait le poète et la poésie.
Et c’est en même temps une voie d’accès au Bonheur. Car c’est du coeur des sensations, perceptions, sentiments et appels du désir que l’Etre se manifeste et d’abord du centre même du corps. Comme si toutes ses vibrations n’étaient déjà qu’un long agacement des nerfs et des structures anatomiques. Il faut remarquer qu’à cet égard le poète construit tout un réseau de métaphores, avec, en leur centre, “le massif vertébral de l’Etre”, soubassement de l’ensemble. Car la déliquescence du corps : chloroses, virosités, “smog du cerveau” est d’un même mouvement déliquescence du bonheur et de la beauté, mais aussi leurs réapparitions : “spin des ferments de la Beauté dans les ligaments articulaires / du rêve”. C’est de ce monde chaotique où la “poésie s’empêtre” que pourrait sans doute renaître la chimère, qui part de cet “émoi partout dans la chair” , ne seraient-ce qu’à travers ces “instants étroits gorgés de flux d’éternité”, désignant aussi bien la possibilité d’ouverture que la possibilité de poésie, bien nécessaires, ainsi que le souligne Maxime N’Debeka dans une troisième partie, face aux malheurs des temps et particulièrement de ceux de l’Afrique, ici associés en une présentation bilingue, une liste des tourments subis : “ pays des villages vandalisés / des greniers et silos razziés / Mayama des prés et des champs brûlés / Kinkala des assiégés / Boko des écrabouillés / Kindamba des esclavagés / Mindouli des corps incinérés …”, listes aussi longues qu’insoutenables. C’est ainsi que le désespoir peut être atteint.
Mais ce serait sans compter sur un “frisson” dans la moelle épinière, “ à la lisière de l’incorporel”, comme soubresauts d’une parole qu’on aurait cru dégradée, comme si ce pas rebroussait “le cours de la désespérance”. Ces exhalaisons, ces fluides, ces fragrances , ces portraits d’un moment de beauté, “l’élégante nature du corps, la simplicité du délinéament du visage la labelle luminescente du front la douce ligne de faîte du nez la moirure des yeux le subtil de l’alphabet des lèvres la suavité de la voix le cristallin de ton rire …” dépeignent ce que le poète nomme, à plusieurs reprises, la Promesse, le Futur et leur “lèvre fervente”.
C’est ce qu’évoque Maxime N’Debeka dans la seconde partie de l’ouvrage : Les divagations de rêveur insomniaque. Une explosion, un Big-Bang de ce que serait la vie, après cette longue errance dans le magma des corps et des choses, comme “un orgasme géant”. Passages lyriques assumés en un récit nouveau qui viendrait éclore : “Les océans les mers les fleuves les rivières et les étangs / la peau veloutée des nappes d’eau et les murmures des ruisseaux / les montagnes les dépressions les gorges les vallées et les plaines …”, une longue pastorale vérifiant la “polyrythmie stupéfiante du vivant et de l’humain”. Peut-être une autre chimère qui nous ferait espérer en “la fin de la barbarie”, vieux rêve de poète et vieille croyance de l’homme, à cette condition de ne pas rebrousser chemin, de résister “aux temps sombres”, de faire taire les lâchetés qui nous étreignent, de ne pas laisser s’éteindre les mots, “Laisse-toi pas s’assourdir / l’enclume du muscle cardiaque / le soufflet de forge des sens / qui vivifient l’espérance”.
Bernard Demandre
TEXTES
1 – Déliquescence
entre désir de Beauté et jours à outrance contretemps
des termites chimères à l’ouvrage
jusqu’à chlorose du massif vertébral de l’Être
un filament de sève vireuse flétrissure les viscères du rêve
un smog de cerveau embrouille le pôle magnétique de
l’horizon fertile
ainsi il s’épand un fluide caustique qui chaotique la terre
utopique
ainsi il survient une ère glaciaire qui lapidifie les bron-
chioles de l’espérance
(1ère partie)
8 – Dérive (extrait)
… l’éternité ça dure tant
un long temps
sans doute trop longtemps
a very long time de l’ici présent
d’attendre le Continent concret du Bonheur
bipe-lui le spin de la fraternité
de rythme digital infini
le temps compacté de là-bas
la galaxie ya Bemba et le cadet Sony
rattachés rassemblés réunifiés
ainsi longtemps ça dure peu de temps
des instants étroits gorgés de flux d’éternité
à l’évidence
la phratrie régénérée hâte le chemin de la Beauté
10 - Émerveillement
flux … flot …
flotte
flac … flac …
flaque
flot … flotte …
bruine … semis …
ceci semaille en mi
en si aussi
et d’infimes bruits
en ré et en sol
si voisins du fa et du do
en sorte un récit en fado
au diapason du la primitif
et de la tellurure primordiale
*
bruits semenciers
graines initiales prodiges
petit à petit des photons de vitalité empoussièrent le Rien
l’espace les galaxies les astres les planètes les roches les
atmosphères l’air les vents
les bulles d’eau les terres les sillons les poissons les plantes
ainsi
donc
quelque chose
quoi
l’Incroyable
un friselis du Vide
2- Saisissement (extrait)
… un halo se découpe sur le fond de la nuit antérieure au sursaut un noyau de chaleur devance la proue de la surprise le rai de l’espoir articule les organes des sens des fragrances anticipent la saveur délicieuse du bonheur
*
l’allure de l’écho solaire l’harmonie de la tache la mélodie des courbes un souffle violone le crin tendu du silence une fulguration dénude l’obscurité la silhouette se précise une onde de fraîcheur verdure les cartilages du désir l’exhalaison du futur s’épand dans les catacombes de l’émoi un gué d’espoir s’exonde de la détresse
ce fluide manifeste du bonheur
aujourd’hui en vérité c’est toi qui varappes l’abrupt de la déréliction
son instinct te reconnaît tant
l’élégante nature du corps la simplicité du délinéament du visage la labelle luminescente du front la douce ligne de faîte du nez la moirure des yeux le subtil de l’alphabet des lèvres la suavité de la voix le cristallin de ton rire ta présence concrète témoigne le rêve en parfaite coïncidence avec l’écho de l’âge de frondaison.
(2ème partie )
(Extrait)
mavuela ba vuazakasa
pays des villages vandalisés
bitalaka ba tsangamasa
des greniers et silos razziés
Mayama maya na mpiâya ni yâ
Mayama des prés et des champs brûlés
Kinkala ba kanzakasa
Kinkala des asségés
Boko ba bokozola
Boko des écrabouillés
Kindamba ba kakasa mu kingamba
Kindamba des esclavagés
bisi Mindouli ni dziki dziki
Mindouli des corps incinérés
mafuabala ma Mpangala ni tati tati
Mpangala des masures calcinées
Bîba bia Vinza ni pati pati
Vinza des dieux lares avilis
quoi comment où
ni ye ni bue ni kue
l'abîme des jours où s'abîme la dorsale du Futur
(Abjection - 3ème partie )
(les divagations de rêveur insomniaque )
Laisse-toi pas fossiliser
les filandres de tes désirs
et les nerfs de rébellion
qui charpentent le corps de l'âme.
Laisse-toi pas détoxiquer
les bacilles d'indignation
les venins d'insoumission
en ces temps sombres de pilleurs
et d'invétérés jouisseurs.
Laisse-toi pas s"assourdir
l'enclume du muscle cardiaque
le soufflet de forge des sens
qui vivifient l'espérance ..
Laisse-toi pas se taire les mots
tes mots périr d'aphasie
sans eux tu nous handicapes
sans toi-même tu nous abîmes.
Étreins l'âme de ta jeunesse
exhume tes restes en verbes crus
carillonne-les tous en branle
pour régénérer ta passion
de fameux bouilleurs de cru
de désirs irrépressibles.
Laisse-toi pas te dépouiller
de ton brasier intérieur
contamine-nous ta pépie
de forgeur de socle du rêve.
Élément de bibliographie
Le Destin de l'immortel Fouabiss, théâtre, éd. Présence africaine, 1987, diffusée par RFI en 1990. Equatorium, éd. Présence africaine, théâtre, 1987, diffusée par RFI en 1989. Les lendemains qui chantent, théâtre, éd. Présence africaine, 1983, diffusée par RFI en 1992. Le Président, éd. Oswald, 1970, théâtre, réédition L'Harmattan, 1988, traduction allemande en 1978, diffusée par Radio Berlin Est.
L'Arbre à bouteille, théâtre, 1989 et 1990.
Maria Santana, pièce écrite au cours de la résidence à Limoges, en 1999.
Le Diable à la longue queue, théâtre Éditions Lansman, 2000.
Quelque part, ailleurs, nulle part, pièce présentée à la Halle aux Grains en mai 2002
La danse ensorcelée de N'kumba, poèmes, éd. Publisud, 1988. Paroles insonores, poésie, éd. L'Harmattan, 1994. Soleils neufs (poèmes), Clé, 1969. L'Oseille / Les Citrons (poèmes), P.J. Oswald, Paris, 1975. Les Signes du silence (poèmes), Saint-Germain des Prés, Paris, 1978.
Vécus au miroir, nouvelles, éd. Publisud, 1991. Sel-Piment à la braise, roman, éditions Dapper, 2003.