Ce texte est une première réflexion sur le bilan à tirer des deux dernières campagnes électorales du FdG et une critique du cours actuel du Parti de gauche. Le cours néo-gauchiste du P.G. ne me paraît pas à la hauteur des espérances qu'il a soulevées. Il s'agit d'une première partie, le deuxième texte arrivera par la suite.
1re PARTIE
De fin 2008 à aujourd’hui, le PG et le FdG auront affronté les élections européennes, régionales, cantonales, présidentielles et législatives… Cinq élections en quatre ans ! Durant ce cycle éprouvant, le Parti de gauche et le Front de gauche n’auront pas démérité. A gauche du Parti socialiste, il existe désormais un point d’ancrage crédible, une gauche de gauche unie, tant bien que mal. Il serait cependant imprudent de continuer sur notre lancée sans prendre le temps de réfléchir, d'établir un bilan, d'estimer correctement nos forces et nos faiblesses, l’état du rapport de forces, ce que nous tirons de la situation présente et comment nous voyons l’avenir. Ne serait-ce, entre autres, parce que les élections municipales de mars 2014 pourraient faire tanguer notre « autonomie conquérante ». Notre partenaire principal, le PCF, voudra légitimement préserver son communisme municipal, peut-être au prix de la reconduction de sa stratégie d’alliance avec le PS dès le 1er tour. Ce qui s’est produit lors du 2e tour des législatives 2012, où notre sigle Front de gauche fut laissé à la discrétion du PS et sa « majorité présidentielle », fut révélateur et est un signe avant-coureur de l'équilibre toujours difficile à trouver pour ne pas brouiller les repères. Relevons aussi que même si l’actualité immédiate continue de nous aspirer (traité budgétaire, plans sociaux, politique d’austérité, crise de l’euro,…), l’action ne pourra jamais suffire à elle seule.
Des résultats contrastés
Établir un bilan de la phase électorale qui vient de s’achever suppose de définir quels sont nos critères de jugement, quelle est la mesure-étalon nous permettant d’estimer objectivement le succès ou l’insuccès de notre engagement militant. Doit-on se fier à la décantation de la gauche de la gauche accélérée par la Présidentielle, qui a renvoyé le NPA et LO à leur isolement sectaire, et permis que beaucoup de collectifs militants dans cet espace politique nous rejoignent ? Faut-il retenir la qualité sociologique, politique de nos quatre millions d’électeurs et leur localisation géographique ? Ou doit-on rappeler la déperdition des voix qui s’est opérée lors des élections législatives qui ont suivi ? Parler de notre retentissement médiatique ? Des grands rassemblements organisés, de l’occasion qui nous fut donnée d’instruire les auditoires, de la qualité incontestable de notre candidat Jean-Luc Mélenchon, dont le courage doit ici être chaleureusement salué ? Ou faut-il plutôt se référer à la situation antérieure à la création du FdG, lorsque la gauche radicale faisait entre 9 et 14 % sur des candidatures dispersées 1 ? Ou doit-on, encore, juger ces résultats à partir des objectifs que le PG s’était lui-même assignés ? A savoir : arriver en tête de la gauche au 1er tour de la Présidentielle ; puis, soudainement dans le cours de la campagne, dépasser le Front national ; et puis, aux législatives, battre le FN à Hénin-Beaumont…
Tous ces éléments doivent être appréciés.
Cependant, l'essentiel est peut-être ailleurs.
Qu’il s’exprime ou pas en notre faveur, l’électorat demeure volatil, la crise de la démocratie en France (comme ailleurs) s’accentue : 47 % des électeurs du 1er tour de 2002, 37 % de 2007 et 42,8 % de 2012 n’ont vu aucune ou tout comme de leurs préférences partisanes siéger à l’Assemblée nationale, en plus de taux d’abstention que l’on sait exponentiels.
La situation économique et sociale va s’aggraver, car cette crise de la représentation démocratique permet à ceux qui ont été mal élus de faire ce qu'ils veulent du pouvoir considérable que la démocratie bourgeoise leur octroie.
Faire ce qu'ils veulent ?
C'est-à-dire :
— soit de ne presque rien faire, malgré des concessions qui rendront plus difficile notre combat… C'est l'orientation du Parti socialiste.
Il veut poursuivre la construction de l'Union européenne avec l'espoir de se donner des marges de manœuvre sur le plan social et économique, dans la veine mitterrandienne des années 80, notamment en impulsant un vaste chantier européen de transition énergétique ; comme si le façonnement d'un destin commun procédait seulement du développement économique et social. Mais, de toute façon, cet espoir est vain, tant l'Union européenne n'a jamais cessé de se construire à l'identique des modèles économiques qu'elle prétend concurrencer pour préserver sa part dans la division internationale du travail. Avec, de surcroît, la difficulté majeure de devoir se mettre à présent d'accord avec 27 (bientôt 28) États-nations différents.
— soit de réaliser le contraire de ce que nous voulons !
Ça a été la politique « libertarienne » du pouvoir sarkozyste contre le « modèle » républicain français (« la banalisation américano-libéralo-européenne pour liquider les particularités françaises dénoncées comme autant de handicaps », comme écrit Marcel Gauchet).
Pour le reste, les explications qui furent fournies pour comprendre nos résultats contrastés — attitude belliqueuse du PS à notre égard, réflexe du vote « utile », mode de scrutin antidémocratique,… — sont pour partie justes, mais parfois hasardeuses : pouvions-nous attendre d'un concurrent que nous avons malmené qu'il n'utilisât pas lui aussi les moyens de réduire notre influence?
Enfin, il est nécessaire de bien comprendre que s'il y a bien eu une dynamique favorable au Front de gauche à la Présidentielle, celle-ci s'est faite sans que la mouvance de la gauche de gauche se soit élargie. C'est là un véritable problème, difficile à esquiver.
En résumé, beaucoup de difficultés demeurent devant nous. Et aucun raccourci d'aucune sorte, pas même l'attrait de l'unité du FdG, ne remplacera une réflexion pointue et une stratégie de reconquête réfléchie.
Le P.S.
Quels furent les problèmes qui ont pu se poser durant les deux dernières campagnes ?
Voyons d’abord notre positionnement par rapport au Parti socialiste – désormais au pouvoir, ce qui ouvre une fenêtre par rapport à la période précédente.
Le P.S est une formation incontestablement sociale-libérale.
Le tournant de la « rigueur » de 1983 2 a entamé par seuil sa métamorphose.
De réformiste social-démocrate classique, trouvant des arrangements avec le Capital en faveur d’une amélioration de la condition des salariés durant notamment les « Trente Glorieuses », il est passé à l’accompagnement de la globalisation, sinon à ses louanges dans les moments les plus euphoriques. Ce ralliement au système capitaliste de libre-échange mondialisé s’est réalisé d’autant plus facilement que le bilan des projets historiques, « socialistes », qui s’opposaient à lui se révélait désastreux. Mais cette marche sans frein du Capital actuelle compromet en même temps tout espoir d’une amélioration un tant soit peu sérieuse et pérenne de la vie des peuples 3, et désoriente les classes populaires qui votaient traditionnellement pour la social-démocratie. Ce qui explique la marche forcée des P.S. vers une Europe fédérale, qui saura mettre des règles, croient-ils. D'où aussi, dans cette période transitoire où cette Europe n'est pas encore advenue, l'équilibrisme du P.S. de gouvernement, consistant d'un côté à faire retour à l'État (« l'État stratège »), de l'autre à transférer davantage de pouvoir aux instances européennes. Mesures aux effets contradictoires insolubles.
Bon courage, M. Montebourg !
Sur le plan de la pratique politique, cela donne l'exemple de Michel Rocard prétendant vouloir « moraliser » le capitalisme et se rendre en même temps au mariage de la fille du patron des patrons européens A.-E. Seillière ; un Jacques Attali écrire un ouvrage sur K. Marx tout en présidant une commission créée par N. Sarkozy, dont le rapport pour « libérer la croissance » préconise entre autres la rupture amiable du contrat de travail, la déréglementation de nombre de métiers et de la grande distribution, le travail le dimanche,… et recommande d’emprunter les standards anglo-saxons afin de faire de Paris « la » place financière de l’Europe4, ceci à quelques mois à peine avant la crise des subprimes ! ; Eric Besson, ancien directeur de cabinet de L. Jospin Premier ministre (1997-2002), pressenti pour remplacer F. Hollande à la tête du PS, avant de passer avec armes et bagages dans le camp adverse ; Jean-Pierre Jouyet, l’ex-directeur-adjoint du déjà nommé Jospin et ancien directeur de cabinet de J. Delors à la Commission européenne, nommé secrétaire d’État aux affaires européennes par N. Sarkozy avant de prendre la direction de l’Autorité des marchés financiers (A.M.F.), puis d’être rappelé auprès de F. Hollande, nouveau président de la France, et devenir Président de la Banque publique d'investissement (B.P.I.) ; Dominique Strauss-Kahn, candidat putatif du P.S. à la Présidentielle de 2012, proposé toujours par Sarkozy pour diriger le F.M.I., Christine Lagarde le remplacera ensuite avec l’aimable soutien… de Martine Aubry, alors secrétaire du PS. Un autre ex-directeur de cabinet de J. Delors et membre du PS est à la tête de l’O.M.C. Etc.
La quasi-volte-face d’un journal comme Libération au début des années 80 est emblématique de ce ralliement 5, avant que Le Monde prenne la suite deux décennies après. Intellectuel-éditorialiste engagé dans cette mouvance, Jacques Julliard a fini par admettre qu'ils étaient peut-être allés trop loin 6 …
Malheureusement, comme au poker menteur, plus l’impasse est patente, plus le joueur s’enfonce et trouve de bonnes raisons auto-réalisatrices pour continuer. En surplomb, Jacques Attali parle déjà d’un « gouvernement du monde ».
Mais, et ce « mais » est d'importance…, la caractérisation du Parti socialiste en une formation social-libérale est parfaitement insuffisante pour agir sur l’état des choses.
Vouloir réduire l'influence du social-libéralisme dans la gauche implique de prendre en considération aussi le fait que ce parti recueille encore un vote populaire de classe dès le 1er tour, apparaissant aux yeux de millions de gens comme le seul recours réaliste face à la droite antisociale, revancharde, au pouvoir. Autrement dit, ce qui survit de l’Histoire de la gauche et les contraintes d’un système électoral particulier qui privilégie le bipartisme ne peuvent pas être rayés d'un trait de plume ou par une formule magique même pleine d’esprit.
À la veille de la Présidentielle, le P.S. continuait par conséquent de représenter l’espoir simple de se débarrasser de Nicolas Sarkozy, comme l’avait indiqué la participation importante d'électeurs aux Primaires socialistes 7.
Rappelons pour compléter notre propos qu’il existe aussi en son sein une tradition de contestation interne, qui joue son rôle. Vigie et aiguillon, notamment incarné un temps pas si lointain… par un certain Jean-Luc Mélenchon.
La question est donc bien de savoir si le PS n’a plus rien à voir avec la gauche.
Un problème similaire s’était déjà posée, lorsque l’extrême-gauche, en vertu d’une analyse défaillante, passait plus de temps à dénoncer la duplicité du PCF, son soi-disant atavisme stalinien et réformiste, plutôt qu’à contribuer au rassemblement unitaire des antilibéraux et anticapitalistes. Le Front de gauche a su résoudre l’équation comme on sait !
En résumé, ce n’est pas la logique de deux gauches irréconciliables, au motif que le PS était passé dans le camp du social-libéralisme, qu’il fallait mettre en avant mais celle d’une gauche rassemblée, dont nous étions l'élément-moteur. Nous devions mener la bataille de l’unité autour d’un contrat de gouvernement de la gauche, et non un gouvernement du Front de gauche. Un contrat qui s’adresse à tous.C'est-à-dire qui hiérarchise les priorités, en prenant en compte l'état de conscience politique inégal de la société, la désorientation des esprits, les ravages du libéralisme, le renoncement social-libéral.
Pour le faire simple : nous ne pensons pas que la gauche soit réduite électoralement à 13 % (FdG + ext.-gauche) en France.
Aller au-delà de la gauche de gauche
Le caractère quasi-exclusivement tribunicien de notre campagne traduit cette erreur de positionnement. À part quelques revendications qui ont fait saillance, comme « le salaire maximum » (« au-dessus de 1 million d'euro, je prends tout ») ou la « planification écologique » (« la règle verte »), qu'ont pu retenir les électeurs du message du Front de gauche ? « La répartition égalitaire des richesses ». Or, précisément, à moins de croire que la société française a soudainement opté pour une voie anticapitaliste ou même antilibérale, ce discriminant indispensable pour fédérer les forces radicales devient insuffisant pour aller au-delà de l’étiage habituel de cette mouvance. Dès lors, prétendre arriver en tête était non seulement présomptueux, mais hors de portée.
Par ailleurs, en quoi une répartition plus égalitaire des richesses règle-t-elle la généralisation des O.G.M. dans nos plats ? Ou la privatisation de France Télécom, de La Poste, d'EDF-GDF, de l'A.F.P.A., etc. ? Ou bien la qualité de nos programmes télé ? En quoi la répartition égalitaire des richesses règle-t-elle la primauté du droit européen sur le droit décidé par notre législateur ? Le statut de la B.C.E. ou les contraintes que fait peser l'euro fort ? En quoi règle-t-elle la financiarisation de notre économie ? La répartition égalitaire des richesses est un point important, cristallisant le conflit de classe que cherchent à nier les sophistes de tous poils ; mais est loin de répondre à tous les problèmes posés et à leur enchevêtrement .
Il eût été plus pertinent d’avancer les réponses appropriées aux problèmes urgents dans lesquels sont plongés nos compatriotes. En particulier, d’énoncer un temps avant les autres quelle politique économique nous proposions à la France afin de résoudre le problème de l'emploi. Mettre en avant les éléments structurants d’une politique économique alternative, dont la définanciarisation est l'un des éléments, aurait fait levier de manière plus complète et exhaustive que l’axe qui fut avancé. Plus largement, il s'agissait d'éclairer nos concitoyens sur les dispositifs du FdG pour desserrer l'étau libéral et libre-échangiste afin de leur permettre de reprendre la main sur leur vie, de recouvrer leur souveraineté, ce qui aurait permis d'embrasser un champ bien plus vaste — y compris de décliner la problématique du conflit de classe. Sans s'interdire, en outre, de disputer à la droite les notions de « liberté » et de « responsabilité » !
En somme, de la même manière que l’activité d’un militant ne peut plus seulement consister à distribuer des tracts, qu’il doit aussi prendre connaissance des dossiers pour proposer et agir sur le terrain, il était indispensable de pouvoir décliner les mesures-phares d’un programme de gouvernement, pourquoi pas avec un calendrier, de sorte que soient rendus crédibles notre positionnement et notre capacité à faire l’union et à gouverner.
Ces positionnements stratégiques pourraient paraître subtils et échapper à la vigilance de militants encore peu aguerris, qui ont surtout leur enthousiasme pour eux. Mais ils ne peuvent pas être éconduits d’un revers de main par une direction lucide sur les conditions difficiles de la lutte des classes aujourd’hui. La campagne du Front de gauche n'a pas réussi à s’extraire d’une certaine tradition, consistant à s’abandonner à la facilité de la propagande, de l’incantation, de l’idéologie. Pourtant, la tonicité n'est pas incompatible avec la profondeur de champs d'une pensée anticapitaliste.
De quelques erreurs d’appréciation
Cette erreur d’appréciation n’est pas neuve.
Au moment de la bataille contre la réforme des retraites, nous avions signalé en quoi le P.G. avait quelques difficultés à apprécier l’état des choses et à tenir sa route.
Tout en avançant avec justesse le mot d’ordre de « Référendum », plus en phase avec l’état de la société et l’état du rapport de forces que des revendications incantatoires du style « Grève générale illimitée » ou « Dissolution de l’assemblée nationale », notre parti ne s’était pas donné les moyens de porter conjointement avec le P.C.F. cette revendication auprès du mouvement social.
Pourtant, peut-être alors le mouvement contre la réforme des retraites n’aurait-il pas connu le sort funeste qui fut le sien ? S’en emparant, le mouvement social aurait pu se donner peut-être le moyen de s’élargir, de s’adresser sous cette forme au reste de la société, et par là il aurait mis le doigt sur ce qui faisait la fragilité du pouvoir de l’époque : son manque évident de soutien populaire pour réaliser une telle « réforme ».
Mais voilà ! le « Référendum » ne fut jamais autre chose qu’un bout de papier à distribuer en quelques milliers d’exemplaires, vite remplacé par de nouvelles idées géniales, condamnées au temps de vie d’un claquement de doigt.
Comme nous l’avons dit, beaucoup pensaient en fait secrètement que ce mouvement pouvait précipiter « la crise de régime », et même anticiper sa fin… Craignant que l’idée de référendum soit en deçà de l’exigence du mouvement social, de sa dynamique possible, il devenait délicat de le porter pleinement. Nous escomptions, déjà, qu’un évènement soudain nous ferait gagner, tout comme l’actualité d’aujourd’hui pourrait, selon les mêmes, nous mettre en situation !
Personne ne possède de boule de cristal et la « science » politique n'est pas exacte. Avec la crise financière, la grande volatilité des marchés, les plans d'austérité, la crise de la zone euro, l'impasse de l'Union européenne, il n'est jamais exclu que l’on puisse assister à des évènements ascendants. Ce qui se passe en Grèce, en Espagne, dans les pays du Sud pourrait finir par un trop-plein de servitude, menant les gens dans la rue. Des jacqueries ne sont pas exclues. Mais escompter qu’une fronde montante vienne opportunément nous porter à l'assaut du ciel, dans une version idyllique et messianique, serait grave de conséquence, comme le retour à la réalité de nos 11 % face aux 18 % du Front national, ou notre presque effacement de l'Hémicycle !
C'est donc avec beaucoup de scepticisme que nous avions déjà interprété, entre autres exemples, certains éléments du texte d'orientation adopté au congrès de Mans (janvier 2011) qui, voyant l'impasse de civilisation du capitalisme, posaient sa fin comme inéluctable et presque à échéance rapide. Or, pour ne prendre que ce simple exemple, la crise écologique n'est pas nouvelle ni le caractère « exterministe » de certaines forces productives (armes, nucléaire,…). Si la situation s'est dégradée depuis leur dénonciation dans les années 70, notamment avec les gaz à effets de serre et la commercialisation du nucléaire à travers le monde, le capitalisme s'est entretemps mondialisé, ce qui rétrospectivement démontre que sa civilisation mortifère avait encore du ressort.
Pour aborder l'avenir proche d'une manière plus circonspecte, il est nécessaire de bien comprendre les effets induits sur la conscience de classe par les transformations du capitalisme contemporain, à la fois destructeur des collectifs salariés, porteur d'un individualisme consumériste peu propice au projet collectif, colporteur du mirage de la « liberté », notamment entrepreuniale, et qui précipite en même temps les gens dans la paupérisation. On comprend alors mieux la récurrence de mouvements sociaux qui débraillent depuis au moins une décennie pour exiger… davantage de sécurité dans les quartiers et dans les transports ! Pourquoi aussi il existe trois fois moins de syndiqués aujourd’hui qu’hier. Pourquoi l'individualisation des licenciements (les plans de départ volontaires) obtient un franc succès par rapport aux obligations collectives de la loi des Plans de sauvegarde de l'emploi (plans sociaux). Les salariés avalent tout ou presque. La situation ne les pré-dispose pas à la mise en autogestion de leurs entreprises mais plutôt à la négociation, la mort dans l'âme, pour obtenir des reclassements erratiques et une prime de licenciements. Trois décennies de désengagement de l'État social, d'extension du marché ont conduit nombre de nos concitoyens à s'accrocher au système D, à se rétracter sur la cellule familiale, ou/et la communauté, quand ils n'ont pas déjà intériorisé la logique du libéralisme dans leur choix de vie… La clairvoyance commande de bien appréhender la crise de l'engagement citoyen.
Le délitement des résistances, déjà peu incisives par rapport aux couleuvres que l'on fait avaler aux populations, est une option moins improbable que la « révolution citoyenne ». Y compris en Espagne, où le mouvement des Indignés laisse revenir la droite au pouvoir sans que la gauche de gauche augmente sensiblement ses résultats…
La lutte contre le F.N.
Dans notre analyse critique de l'orientation actuelle du P.G., nous observons aussi que le F.N. paraît être devenu l'ennemi principal. Le F.N. pourrait, croit-on (éditorial de « À Gauche », 16 mars 2012), permettre à la droite de reprendre le pouvoir dans le cas où celle-ci serait conduite à « revenir à un projet national traditionnel de compétition économique entre les États » dans un contexte marqué « par la dislocation de l'euro, puis de l'Union européenne elle-même ». Il est toujours bien de reconnaître que l'issue de la crise n'est en effet pas donnée et que la « révolution citoyenne » pourrait prendre des allures inattendues. Il n'est donc, aussi, pas tout à fait certain que « nous arriverons au pouvoir dans les dix ans » (dixit Jean-Luc Mélenchon). Toutefois, en plus du fait qu'une nouvelle fois c'est l'hypothèse la plus cataclysmique aux yeux de l'auteur qui est évoquée, cette assertion, qui expliquerait pourquoi Mélenchon est parti à Hénon-Beaumont, suggère plusieurs éléments d'analyse fort discutables.
En premier lieu, qu'on sache, la construction de l’Union européenne n’a pas empêché toute compétition entre États. Et rien de tangible n’indique qu’il en serait différemment dans une Europe fédérale, ni même si les États laissaient la place à des régions par exemple.
Deuxio : le retour à un capitalisme national serait loin d'être une catastrophe, car cela signifierait un retour à des protections économiques qui ouvrirait la possibilité d'un rapport de forces plus favorable au salariat ; ce serait un moindre mal par rapport au vent dérégulateur du marché actuel. De ce point de vue, si d'aventure F.N. et U.M.P. trouvaient un terrain d'entente sur cette base-là, ils rempliraient une mission de salubrité publique inattendue. Ce à quoi nous ne croyons pas du tout : rappelons par exemple que, sous les gouvernements UMP, les grandes entreprises ont selon les calculs un taux d’imposition effectif de dix à vingt points inférieurs à celui des P.M.E tout comme elles échappent largement à l'impôt sur les bénéfices des sociétés 8, grâce à « l'optimisation » fiscale.
Tercio : l'éclatement de la zone euro et de l'U.E. ne seraient pas non plus la catastrophe annoncée, car s'opérerait une recomposition des deux structures sur une autre base (pour le dire vite : sur la base d'un noyau dur et non par l'élargissement perpétuel). Dénoncer l'absence de démocratie dans le processus de construction de l'U.E. depuis trois décennies et sous-entendre que son éclatement serait une horreur terrible n’est pas cohérent ; la construction européenne compte-t-elle plus que la démocratie ? Non, l'éclatement de l'U.E. repositionnerait l'ordre des priorités. Pour nous, revenir à l'origine de la souveraineté populaire telle qu'elle s'exprime depuis qu'à l'échelle de notre vie nous la connaissons, c'est-à-dire par excellence dans son espace national, est un préalable à tout horizon commun des peuples. Aucun projet révolutionnaire ne peut faire l'économie de ce rappel à l’ordre. Rien n'est possible en effet si on lâche la proie pour l'ombre.
Quatro : de pareille idée, nous comprenons que les raisons qui ont conduit à accélérer dans les années 80 l'idée européenne et la construction de l'U.E. sont bien mal analysées. Ce sont les bourgeoises nationales qui ont précédé l'Acte unique de 1986 — le grand marché européen —, les gouvernements des principaux pays d’Europe se mettant ensuite à leur remorque, suivant des modalités propres et inégales. Pourquoi les bourgeoisies « nationales » reviendraient-elles ensuite à la case départ alors qu'elles tirent désormais l'essentiel de leurs revenus des marchés financiers et de la vente à l'international ?
Si l'U.M.P et le F.N. s'alliaient, ce serait plus probablement sur des accords ponctuels et circonscrits, ou au pire sur des mesures communes touchant la fiscalité, la sécurité, l'immigration (encore que le patronat pourrait préférer une armée de réserve corvéable comme le sont les sans-papiers), bien loin de la politique économique de dé-mondialisation, de sortie de la zone euro et de l'Union européenne que prône actuellement le F.N. Si le F.N. renonçait à ces orientations-là, il démontrerait son insincérité. Qui prendrait alors la place ?
(Fin de la 1re partie)
(2e partie : le F.N. (suite), l'immigration/intégration/citoyenneté, la sécurité, l'Europe, la réindustrialisation, la politique de civilisation, les médias, quel parti ?, quelle politique d'ouverture du FdG ?,…)
1. Présidentielle de 1995 : la gauche « radicale » (PCF + ext.gauche) réalise 14 % avec 21,62 % d’abstentions. En 2002, elle obtient le même score, sans comprendre les 5,33 % de J.-P. Chevènement avec une abstention de 28,40 %, soit l’équivalent de près de 3, 9 millions de voix sur 29,5 millions de votants. En 2007, avec une abstention de 16,23 % et 37, 2 millions de votants, elle obtient 9 %. Enfin, en 2012, avec une abstention de 20,52 % et 36,5 millions de votants, le FdG + NPA + LO réalisent 13 % et 4,6 millions de voix, dont près de 4 millions pour le FdG.
2. Dont les débats de l'époque sont encore si peu étudiés par notre mouvance alors qu'ils restent d'actualité, et pour cause !
3. Il n’est pas inutile de rappeler ce qu’écrivait là-dessus un certain libre-penseur dans son Discours sur le libre-échange (1848) : « Pour nous résumer : dans l’état actuel de la société, qu’est-ce donc que le libre-échange ? C’est la liberté du Capital. Quand vous aurez fait tomber les quelques entraves nationales qui enchaînent encore la marche du capital, vous n’aurez fait qu’en affranchir entièrement l’action. » Ajoutant plus loin : « La fraternité que le libre-échange établirait entre les différentes nations de la terre ne serait guère plus fraternelle. Désigner par le nom de fraternité universelle l'exploitation à son état cosmopolite, c'est une idée qui ne pouvait prendre origine que dans le sein de la bourgeoisie. Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître à l'intérieur d'un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l'univers » (Karl Marx).
4. Extraits du rapport Attali (2008) : « Objectif : faire de Paris une place financière majeure » : « L’industrie financière croît depuis 2001 en Europe trois fois plus vite que le PIB. Elle joue un rôle déterminant dans la croissance, en raison de son poids dans l’économie et en tant qu’organisateur du financement de l’ensemble des secteurs. Elle représente en France 4,5 % du PIB et 730 000 emplois. La France [y] dispose d’atouts remarquables.
(…) De fait, l’attractivité de la place financière de Paris pâtit de plus en plus d’un environnement fiscal dissuasif. Si la suppression de l’impôt sur les opérations de bourse a permis d’améliorer la situation, les entreprises du secteur sont toujours soumises à la taxe sur les salaires, à hauteur d’environ 2 Md € par an…
(…) Proposition 97 : Harmoniser les réglementations financières et boursières avec celles applicables au Royaume-Uni pour ne pas handicaper les acteurs français par rapport à leurs concurrents internationaux européens.
(…) Proposition 103 : « Modifier la composition des associations, des commissions et des collèges de régulateurs, pour que les champions de la finance, toutes classes d’actifs confondues, puissent s’exprimer et influencer la position du Haut Comité de place. »
5. Le rôle de la critique dans ce ralliement, par laquelle le capitalisme tente de trouver des réponses et ainsi renouveler sa légitimité, a été bien étudié dans l'ouvrage de L. Botanski et A. Chiappelo, Le Nouvel Esprit du capitalisme. L’étude de cette somme de près de 850 pages serait une excellente approche pour apprendre aux jeunes générations militantes la plasticité du capitalisme, sa force brutale mais aussi sa capacité d’absorption, les justifications individuelles et collectives qui expliquent qu’on s’engage dans le capitalisme. Cela permettrait de mieux comprendre comment Nicolas Sarkozy, en dépit du vent dérégulateur qu’il a fait souffler, a obtenu 48, 5 % des voix au second tour de la Présidentielle de 2012. (Le Nouvel Esprit du capitalisme, L. Botanski et A. Chiappelo, Gallimard, Paris, 2000).
6. In Médiapart : http://www.mediapart.fr/journal/france/230310/jacques-julliard-oui-la-greffe-neoliberale-contamine-la-social-democratie
7. Il est important de retenir à ce propos la passivité du FdG durant toute l’opération des Primaires socialistes, prétendument « citoyennes », alors que l’occasion nous était offerte de développer par voie de tract ou campagne nationale sur un mode d’éducation populaire notre analyse sans concession de ce dévoiement marketing, fait sur le dos de la vie démocratique du PS, encourageant davantage sa transformation en un parti démocrate à l’Américaine, avec son leader, ses communicants et ses supporters, indépendamment de toute élaboration d’un projet collectif. Primaires auxquelles songe à présent la droite.
8. Selon un rapport du Sénat datant de juillet 2012, la fuite fiscale est estimée à près de 50 milliards d'euros en 2011, dont plus de la moitié releverait de l'impôt sur le bénéfice des sociétés (I.S.). Ainsi, sur les 12 000 entreprises françaises de plus de 2 000 salariés, 500 seulement acquittaient l'I.S., soit moins de 5 % (4,1%).