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Billet de blog 13 avril 2016

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Bêtise systémique antidémocratique Symptomatologie Perspectives de prises en charge 3

Dans une factualité incessante et amplifiée artificiellement, la question de l'attention des populations constitue un enjeu majeur des psychopouvoirs possesseurs des technologies. Trois philosophes contemporains interrogeant la gouvernementalité anti-démocratique et la symptomatologie liée constituent une base à la fois théorique et pratique structurante, parallèlement au projet du DiEM25.

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Théorie de la re-capacitation collective et démocratique

Je reprendrai comme transition vers les propositions annoncées l'autre article signé par Serge Halimi dans le même n° 744 « Le temps des colères » qui titre :

« Sur fond de crise économique persistante dans la plupart des pays occidentaux, l'émergence de nouvelles forces contestataires témoigne d'une grande impatience politique. »

Bernard Stiegler, dans son ouvrage de mars 2015 La Société Automatique proposait déjà des ouvertures en forme de système à créer, en forme d'organologie :

« Passer du rêve individuel à sa réalisation collective, c'est ouvrir la possibilité d'une individuation (c'est-à-dire d'une intégration des fondamentaux du nouveau système en soi, comme espoir et méthode d'action. La question du droit peut ainsi être posée à nouveaux frais par et avec la technologie de pouvoir que la “rétention tertiaire numérique” (mise en mémoire sur les supports informatiques et du web des mémoires vivantes collectives) rend possible comme gouvernementalité plus qu'algorithmique. […] Au stade actuel de la grammatisation (codages des informations de toute nature sur ces supports), la question du droit engendrée par l'automatisation se pose primordialement comme celle du droit du travail et du droit au travail »

et, introduisant son deuxième tome (à paraître très  bientôt), il écrivait :

« Les systèmes sociaux constituent un milieu social qui, par une boucle en retour, devient pour chaque individu psychique son fonds préindividuel d'individuation psychique et collective.1 […] L'interprétation polémique provient des individus psychiques et collectifs se co-individuant avec d'autres individus psychiques en formant avec eux, dans l'espace public politique rendu possible par la publication écrite, des groupes d'interprétations se confrontant à travers des règles de controverses, de disputes et de débats publics, c'est-à-dire devant l'opinion qui elle-même en témoigne dans la res publica parce qu'elle sait lire, et telle qu'elle n'est pas réductible à une audience. »

Analyse-programme s'il en est, concevant théoriquement les circuits, les modes de faire, l'organologie de la contestation d'un système mondialisé de coercition et d'esclavagisme technologique, et en défrichant par anticipation publiée les impasses et les ressorts :

« Des sociétés disparues (NB de l'auteur : en l'occurrence le néo-capitalisme moribond qui vire à la surveillance généralisée et prédatrice) ne peuvent hanter des sociétés actuelles et demeurer toujours là comme l'esprit d'une époque que parce que, revenant à travers les réactivations opérées par les circuits de transindividuation constitués par l'époque 2 , ces revenances en sont les potentiels de désautomatisation du futur […] et qui ont encore la puissance de venir interrompre ce qui est apparu bien après eux. »

 La quasi totalité des populations,constituant la proie de ces systèmes mondialisés, est en effet en difficulté de se re-capaciter 3 face aux idéologies dont elles sont imprégnées par les techniques cinématographiques (hollywoodiennes au sens du soft power), audiovisuelles, de marketing et issues de l'ubiquité “éternalisée” des dépendances numériques, environnement structurantet abêtissant que les psychopouvoirs ont tramé méticuleusement autour d'eux.

« L'enjeu est le commun 4»

L'action collective, juridique, sociétale et politique

C'est ainsi que Bernard Stiegler, avec les membres de l'association Ars Industrialis, prépare etplanifie la mise en actes de ce projet théorique comme il est possible d'en prendre connaissance dans cette longue et exhaustive vidéo mise en ligne le 15 mars 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=xu7a0tVD7lY (2h05) où il retrace l'ensemble du parcours de plusieurs décennies pour analyser le système dans sa globalité et y débusquer les “bifurcations” envisageables pour dégager les pistes d'une re-capacitation des individus psychiques et collectifs dans une organologie cohérente et réaliste, constitutive d'un nouvel ordre à bâtir sur les décombres de l'actuelle idéologie.

Dans un article de Libération daté du 18 mai 2015, Bernard Stiegler détaillait au micro d'Amaelle Guiton le projet désormais enclenché pratiquement à Plaine Commune  sur deux axes :

1- Réinventer les plateformes du Web

« Existe-t-il des pistes concrètes ?

Nous allons entrer dans une période de transition, d’expérimentations. En Seine-Saint-Denis, nous avons proposé à la communauté d’agglomérations de Plaine Commune un programme de territoire contributif pour les dix ans à venir, qu’elle a adopté. Le but est de tirer parti du droit à l’expérimentation qui est inscrit dans la Constitution pour tenter de dégager de nouveaux scénarios possibles.

Nous envisageons, sur ce territoire, de réinventer les plateformes du Web, qui sont aujourd’hui un système à produire des big data, à automatiser sans aucune possibilité de désautomatiser - c’est-à-dire de décider. Or, cela, on peut très bien le changer : ce sont les Européens qui ont fait le Web. Et c’est aussi l’avenir de l’Europe qui est en jeu. »

« Nous voulons aussi développer sur ce territoire ce que nous appelons de la recherche contributive pour que les jeunes chercheurs travaillent avec des habitants à véritablement inventer de nouveaux modèles pour faire face à ces défis. »

2- Inventer un autre modèle de redistribution, industrielle et d'enseignement

http://www.ventscontraires.net/article.cfm/14806_bernard_stiegler___le_web_peut_toujours_etre_une_plateforme_pour_le_bien_public_.html

« On doit inventer un autre modèle de redistribution et nous, nous pensons que ces instruments dont je parle sont des instruments qui permettent de redistribuer en fonction des capacités de production de néguentropie 5 que les gens sont capables de produire en tant qu'ils ont acquis des capacités. Et un territoire organisé comme ça est un territoire extrêmement dynamique qui valorise ses habitants, qui ne les voit plus comme des consommateurs ou comme des emmerdeurs – parce que surtout dans des régions comme la Seine-Saint-Denis, on voit surtout les populations comme des problèmes. Moi, je dis « non, c'est pas des problèmes ». Déjà parce que beaucoup d'immigrés ont des capacités absolument incroyables, beaucoup plus grandes que les sédentaires de s'adapter. Dana Diminescu qui est une Roumaine a magnifiquement bien montré ça, elle a étudié beaucoup la manière dont les immigrés s'emparent de toutes ces techniques, par exemple.

Je pense qu'il y a là des choses magnifiques à mettre en œuvre mais ça suppose une politiqueindustrielle qui véritablement s'attache à le faire, ça suppose aussi d'ailleurs de repenser très en profondeur l'enseignement public, l'enseignement supérieur en particulier.

Le projet que nous avons en Seine-Saint-Denis, c'est aussi de créer des chaires de recherche, d'enseignement supérieur et d'enseignement professionnel pour faire en sorte que la prise en charge de ce genre de démarche par un territoire devienne aussi un objet de capitalisation, de formation, de recherche, de thèses. »

Dans cette vidéo synthétique (9:04), vous pouvez écouter le Président du Conseil Territorial de Plaine Commune 6, Patrick Braouezec7 détailler la stratégie d'expérimentation sociétale en cours et l'engagement politique qu'il y associe :

https://www.youtube.com/watch?v=jV372fWkjes

Comme tout projet qui vise à repenser les bases d'un ordre ancien, « Si les sujets politiques antagonistes n'ont pas le courage de penser contre eux-mêmes, c'est-à-dire de “lutter contre soi-même”, pour utiliser les mots de Deleuze 8, et donc d'admettre que sa propre bêtise est la condition pour penser différemment, alors la pensée va rester fermée et va contribuer malgré elle à la situation d'incurie généralisée dans laquelle nous sommes plongés.»

DiEM 25

Je terminerai ce billet – en forme d'appel à rassembler les forces vives de la reconstruction démocratique et technologique – par un autre projet d'envergure, présenté le 3 puis le 9 février 2016 par Médiapart 9, mais qui vise à fédérer les énergies au niveau de l'ensemble de l'Europe, sans utopie, arc-bouté sur des fondamentaux indispensables à restaurer par la rédaction d'une nouvelle Constitution qui reformule les bases en légiférant sur les dérives actuelles systémiques afin de les exclure.

« Yanis Varoufakis lance à Berlin un mouvement de refondation des institutions européennes : DiEM25, pour “Democracry in Europe Movement 2025” » 10.

extrait du billet de Ludovic Lamant :

« Après les premiers pas du “plan B” à Paris en janvier, à l’initiative notamment du parti de gauche, c’est au tour de l’ex-ministre Yanis Varoufakis de tirer les leçons du fiasco grec de 2015, dont il fut l’un des acteurs de premier plan.

L’universitaire s’apprête à […] rassembler des activistes et intellectuels de premier plan, autour d’un slogan : « L’UE doit être démocratisée. Sinon, elle se désintégrera. »

Première étape : le Manifeste (extraits de la version longue) 11 :

Nous retrouvons dans l'introduction les mises en garde de nos philosophes et leurs dénonciations, centrées ici sur les politiciens européens en réseau :

« Quelles que soient les inquiétudes que leur inspirent leur compétitivité mondiale, les flux migratoires et le terrorisme, un seul risque terrifie vraiment les Pouvoirs qui tiennent l’Europe: la démocratie ! Ils parlent au nom de la démocratie, mais dans la pratique ils la nient, ils l’exorcisent, ils la suppriment. Ils cherchent constamment à récupérer, esquiver, corrompre, mystifier, usurper et manipuler la démocratie pour briser son énergie et arrêter ses potentialités»

Comme le mentionnaient les références à Kant et aux Lumières (note 2 du billet 2), ils écrivent :

« L’Union européenne aurait pu être une lumière pour le monde, montrer à toute la planète qu’il est possible d’arracher la paix et la solidarité aux mâchoires du conflit et de l’intolérance. »

 «Une confédération de politiciens myopes, de hauts fonctionnaires candides en économie et d’ experts incompétents qui n’entendent rien à la finance se soumet servilement aux diktats de conglomérats financiers et industriels, ce qui discrédite l’Europe et provoque un dangereux choc en retour anti-européen. On est en train de dresser des nations fières les unes contre les autres. On réveille le nationalisme, l’extrémisme et le racisme.[…] L’une après l’autre, les économies de la zone euro sont précipitées dans l’abîme de l’austérité compétitive.

[…]

Notre mouvement, DIEM25 , veut appeler à cette irruption (cf. la néguentropie de B. Stiegler). La démocratisation de l’Union européenne doit commencer immédiatement, car sans démarrage rapide il sera peut-être impossible de surmonter la résistance institutionnalisée à temps, avant que l’Europe ait franchi le point de non-retour.

Notre objectif, démocratiser l’Europe, est réaliste. Il n’est pas plus utopique de la démocratiser qu’il ne l’était au tout début de la construire. En fait, il est moins utopique de la démocratiser que de tenter de maintenir en vie l’actuelle Union européenne antidémocratique qui se fragmente.

Notre objectif, démocratiser l’Europe, est d’une urgence extrême. Nous lui donnons dix ans: horizon 2025. Si nous n’avons pas démocratisé l’Europe à cette date, si les pouvoirs autocratiques de l’Europe réussissent à étouffer la démocratisation, l’Union européenne s’effondrera sous sa propre arrogance, sous son hubris, elle éclatera, et sa chute infligera de terribles épreuves dans le monde entier – pas seulement en Europe.»

«Patiemment, méthodiquement, un processus de dépolitisation de la prise de décision s’est mis en place. […]

Un gros mensonge est donc tapi au cœur de la bureaucratie de l’Union européenne: elle prétend que sa façon opaque et verticale de décider est apolitique, et elle exige que nous la traitions tous comme telle.

En réalité, ses procédures sont ultra-politiques, puisqu’elles tentent de tuer la démocratie en assimilant les décisions politiques à des problèmes techniques.

Les règles devraient être au service des Européens, pas le contraire.

 • Les monnaies devraient être des instruments, pas des fins en soi.

Un marché unique n’est compatible avec la démocratie que s’il comprend des mécanismes communs, choisis et construits démocratiquement, pour protéger les Européens les plus faibles et l’environnement.

La démocratie est essentielle pour restreindre les pires élans autodestructeurs du capitalisme et pour ouvrir une fenêtre sur de nouveaux horizons d’harmonie sociale et de développement durable.»

Un premier calendrier :

DANS LES DOUZE MOIS: Une offensive contre la crise économique en cours, en utilisant les institutions existantes et dans le cadre des traités européens existants.

La crise actuelle de l’Europe se déroule simultanément dans quatre domaines:

• la dette publique

• les banques

• l’insuffisance de l’investissement, et

• la montée de la pauvreté.

DANS LES DEUX ANS: Une Assemblée Constituante.

Les Européens ont le droit d’examiner l’avenir de l’Union, et le devoir de transformer l’Europe (à l’horizon 2025) en démocratie pleine et entière, dotée d’un Parlement souverain qui respecte l’autodétermination nationale et partage le pouvoir avec les parlements nationaux, les conseils régionaux et les conseils municipaux.

L’Assemblée constituante sortie des urnes aura pouvoir de décision sur une future constitution démocratique, qui remplacera tous les traités européens existants dans les dix ans.

Nous avons quatre principes:

• Aucun peuple européen ne peut être libre tant que la démocratie d’un autre est violée.

• Aucun peuple européen ne peut vivre dans la dignité tant qu’un autre en est privé.

• Aucun peuple européen ne peut espérer la prospérité si un autre est précipité dans l’insolvabilité et la dépression permanentes.

• Aucun peuple européen ne peut se développer sans biens élémentaires pour ses citoyens les plus modestes, développement humain, équilibre écologique et détermination à s’affranchir totalement des énergies fossiles dans un monde qui change ses modes de fonctionnement – et pas le climat de la planète.

J'invite tout lecteur, de façon indépendante et volontaire, à se positionner en son âme et conscience, au vu de mon argumentaire emprunté à ces chercheurs en démocratie authentique et partagée, et à poursuivre.

Voici quelques liens :

http://diem25.org/rejoignez-nous/

https://you.wemove.eu/campaigns/transparence (pétition du DiEM25)

http://diem25.org/manifeste-version-longue/

* * * * *

1 Bernard Stiegler La société automatique Fayard mars 2015 p. 260 et 261

2 Note de bas de page, page 272 « J'entends une telle réactivation au sens husserlien, c'est-à-dire comme une anamnèse au sens socratique »

3 Valeur générée par une nouvelle forme de ce que le Prix Nobel d’économie Amartya Sen appelle la “capacitation”, du savoir social - qui, à notre époque, est favorisé par la mise en réseau.

4 Ibid. page 275 / 431

5 Néguentropie : lutte contre l'entropie, c'est-à-dire à la fois contre le désordre, la dissipation d'énergie et la désorganisation des organes (psychiques, sociaux, sociétaux et techniques), en remobilisant les énergies par leur réinvestissement, tout en sachant que cette quête réactive de modes de bifurcation par rapport à la norme imposée créera elle-même des remèdes et de nouveaux poisons, à chaque échelle, comme toute entreprise humaine :, des pharmaka.

6 Sous le statut d'EPT (Établissement public territorial), Plaine Commune regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis : Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse. 408 000 habitants vivent aujourd'hui sur les quelques 5 000 hectares du territoire, soit la moitié de la surface de Paris.

7 M. Braouezec y est également conseiller métropolitain “Stratégie territoriale et coopérations territoriales”: « De par son développement démographique et économique sans précédent, Plaine Commune s'inscrit comme un territoire stratégique du Grand Paris dans lequel elle est identifiée " Territoire de la culture et de la création ". La politique communautaire de stratégie territoriale œuvre à affirmer la place de l'agglo[mération] en Île-de-France et à garantir les retombées du développement pour le territoire et ses habitants. »

8 G. Deleuze, Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993, voir le chapitre sur Artaud, “Pour en finir avec le jugement” cité par Paolo Vignola et Sara Baranzoni, cf. note 7 du billet 1.

9 https://www.mediapart.fr/journal/international/030216/l-europe-que-dessine-yanis-varoufakis

https://www.mediapart.fr/journal/international/090216/die-linke-rassembler-les-mouvements-sociaux-pour-democratiser-leurope

10 http://diem25.org/home-fr/

11 http://diem25.org/wp-content/uploads/2016/02/diem25_french_long.pdf

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