Il est beaucoup question actuellement de République que le PG voudrait faire changer de classe et sur laquelle l'UMP vient de réussir son OPA en se débaptisant. Associée à son corollaire français, la laïcité, celle-ci repose sur les valeurs bafouées en permanence gravées aux frontons des édifices officiels. La lutte pour leur réhabilitation, légitimation, rédemption... appelez ça comme vous le voudrez s'inscrit cependant dans un contexte plus large d'émancipation du mouvement globaliste néolibéral. Comme en religion, le dogme infaillible de l’État providence, seul susceptible de décliner lesdites valeurs au quotidien, se trouve proclamé à la française.
Il est pourtant bien loin le temps où le civil « monsieur » en détrônant le « messire » mettait les personnes au même rang dans un mouvement fraternel car son érosion joue, comment ne pas le reconnaître, en défaveur d'une révolution française largement mythifiée. De plus le retour aux sources revendiqué s'inscrit souvent en porte-à-faux de l’épistémè, l'air du temps actuel qui reçoit les influences du grand large : résurgence des religions, relativisme, individualisme et consumérisme qu'il est de bon ton ici de condamner en bloc la quarantaine passée. Renier les fondamentaux ? Non bien sûr mais les valeurs comme le reste ne sont pas immuables et évoluent au gré des circonstances. Prenons la liberté dont le passage du communisme[1]nous a enseigné qu'elle était vaine sans autonomie économique et que les religieux voient soumise aux impératifs supérieurs de la collectivité ( zakât, dîme, altruisme prôné) : elle tend de plus en plus à s'ériger en bastion de l'égoïsme légitimé et la recomposition familiale devenue la norme en a certes fini avec l'hypocrisie de la « petite maison » mais en se généralisant a isolé davantage les individus et généré mainte détresse. Les relations humaines des cultures concurrentes comme la musulmane ou cousines comme la latino-américaine ne sont-elles pas plus fraternelles par les liens de solidarité qui agissent localement comparées à notre redistribution sociale administrative?
Si les valeurs s'adaptent, elles se reflètent aussi dans les lois qui en théorie seulement sont le résultat des rapports de force entre les différents camps, les parlementaires ne votant pas selon les désirs de leurs électeurs dans la configuration constitutionnelle actuelle. Aussi la désaffection progressive de l'électorat qui en résulte est-elle condamnée à s'accentuer et conduit-elle Edwy Plenel à constater avec amertume que « Ce qui me préoccupe, c'est notre propre lassitude, désaffection et indifférence à l'exigence collective d'une démocratie vivante, d'une République vraiment démocratique et sociale, d'une politique en somme qui élève et rassemble »[2]. Les lois ne reflétant pas la volonté majoritaire perdent donc leur légitimité aux yeux des citoyens qui, forts des mauvais exemples de nos voisins corrompus plus ou moins lointains et surtout des oligarques dont les forfaits meublent les unes de Mediapart, se voient de moins en moins motivés à refuser le recours aux combines pour se sortir de la galère engendrée par « la crise ». Chacun pour soi et la République pour tous, c'est probablement la raison pour laquelle l'UMP s'est convertie avant-hier en « Républicains ».
Mais il y a plus grave encore : le dévoiement du socle de la République que constituent les droits de l'homme et du citoyen non opposables dans les faits comme dans le cas des droits de travailler lorsque la discrimination à l'embauche est subtile, de grève lorsque le service minimum est imposé ou d'asile avec les reconduites par la Frontex sans possibilité de dépôt de demande d'asile politique. Ces droits qui constituent le cache-sexe d'une politique impérialiste offensive soucieuse de s'approvisionner à vil prix et de vendre cher ses armes tout en prodiguant des leçons de démocratie à tours de bras se délitent au fur et à mesure du détricotage des avancées sociales de nos aïeux sous les coups de boutoir du néolibéralisme et tendent à se convertir en coquille vide de la République. Cédant au chantage de la Realpolitik, la gauche a déjà perdu son âme en abdiquant l'altruisme prolétaire rangé avec les autres vieilleries que constituent l'internationalisme, le pacifisme ou l'anticapitalisme.
Chercher une solution française à cette problématique en misant sur une refondation constitutionnelle a le mérite de l'action face à la léthargie qui semble s’être emparée du pays dans la fascination hypnotique du Front National. Mais il convient de se mettre d'accord sur la composante multiculturelle afin de procéder dans la foulée à un aggiornamento du corpus républicain qui, à la lumière de Charlie, est ce qui subsiste de notre patrimoine.
[1] on s'en serait rendu compte sans Marx mais dans l'histoire des idées son influence est incontournable.
[2] Commentaire à 11h51 le 29mai dans le fil de http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-marie-charron/280515/au-pantheon-le-peuple-absent