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Billet de blog 2 mai 2014

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L'humour avec des pincettes

Cela vous est probablement déjà arrivé, et pas seulement dans des forums de discussion : vous voulez détendre l’atmosphère et vos propos ironiques sont pris au premier degré, produisant l’effet contraire à celui recherché.

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Cela vous est probablement déjà arrivé, et pas seulement dans des forums de discussion : vous voulez détendre l’atmosphère et vos propos ironiques sont pris au premier degré, produisant l’effet contraire à celui recherché. Ou alors l’ironie est comprise comme ce qu’elle est : une petite pique qui se veut non méchante et l’auteur/e se voit chassé/e rageusement comme un moustique impertinent
car le destinataire se sent offensé, atteint dans sa dignité selon les uns ou drapé dans les atours de son orgueil selon les autres.

Mais l’humour c’est comme la musique ou les petits plats mijotés une question de goût, celle du « bon » goût qui peut devenir le goût bourgeois ou subversif selon la perspective. Car enfin, quelle est la nature de cet ingrédient de la communication ? La recherche de l’hilarité en est un élément dont la manifestation ultime est cette réaction nerveuse du rire, rire qui enjolive la vie mais qui peut aussi faire très mal : qui n’en a pas fait l’expérience pendant l’enfance oú l’absence justement de codes de politesse, ce vernis hypocrite pour certains, permet toutes les remarques blessantes ? De même l’image de soi projetée se voit-elle narcissiquement renforcée  lorsque les qualités oratoires se voient récompensées par des rires qui agrémentent le discours. Quant á l’effet blessant parfois obtenu en cas de dérision, il est préférable ne pas l’inclure comme caractéristique à moins de se placer dans une perspective misanthropique.  

Humour et libre expression ne font donc pas bon ménage, cela est particulièrement manifeste lorsque les sujets ainsi taclés se voient brutalement instrumentalisés comme ce fut le cas des caricatures de Charlie Hebdo ou des représentations de Dieudonné : opération de diversion des problèmes de fond, notoriété et beaucoup d’argent pour maintes personnes impliquées à divers titres. De là à dire qu’il s’agit d’une industrie de plus il y a un pas que certains n’osent franchir mais qui s’impose si l’on se lance dans une étude de marché : le marchandisage en use et en abuse pour écouler ses produits et doper le PIB. Cela conduit parfois à de douloureuses révisions de la nature humoristique des campagnes publicitaires, pensons á la disparition du célèbre profil humain de Banania (pour les plus jeunes, un homme noir caricaturé emblème de la marque de chocolat).

On ne badine pas avec l’humour, oser s’en prendre à la libre expression c’est prendre le risque de se voir qualifié de sbire de la police de la pensée ou de pourfendeur de la laïcité. Mais n’y aurait-il pas deux poids deux mesures si l’on compare le traitement réservé aux caricatures de Charlie hebdo sur Allah et les prestations de l’humoriste censuré sur les Juifs ? Dans les deux cas cependant, des croyants se sentent offensés et cet argument est balayé par l’affirmation que l’on peut/doit rire de tout et que les athées eux aussi admettraient faire l’objet de blagues ou de caricatures. Il semblerait cependant que les religieux ne ressentent pas le besoin de se moquer de ces derniers : nous-même, agnostique en contexte fortement catholique n’avons jamais fait l’objet de la moindre allusion à notre absence de foi dont nous ne faisons pas mystère. De même l’humour du fil de discussion sur le drame de l’Oklahoma oú un condamné à mort est décédé après une longue agonie administrée est certes noir mais en décalage total avec l’indignation soulevée par de tels faits.

Polir son discours pour rester poli et attendre un traitement réciproque serait donc participer à la répression de la police de la pensée, limiter l’envol créatif de la parole. Possible. Mais laisser libre cours à l’enjouement fait forcément des victimes surtout si l’on met un point d’honneur à viser « juste », c’est à dire là oú cela fait le plus mal. Des pincettes donc même pour les pince-sans-rire et des chaussettes pour les crevettes. 

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