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Billet de blog 2 octobre 2010

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Enseignement : Lettre ouverte à Etoile66 (et à Axel J.) à propos du billet "(...) jeunes enseignants lâchés devant les élèves"

Etoile, je ne connais pas votre parcours, vous vous limitez à vous décrire comme « indépendante » en lieu et place de votre CV et je ne fais pas mieux, me contentant d'un « curieux de tout » peu loquace. Mais apparemment nos conceptions de l'enseignement ne coïncident pas, moi étant donc de la vieille école « réac » et vous de la nouvelle « 68arde » (je schématise intentionnellement). Sommes-nous vraiment si opposés ?

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Etoile, je ne connais pas votre parcours, vous vous limitez à vous décrire comme « indépendante » en lieu et place de votre CV et je ne fais pas mieux, me contentant d'un « curieux de tout » peu loquace. Mais apparemment nos conceptions de l'enseignement ne coïncident pas, moi étant donc de la vieille école « réac » et vous de la nouvelle « 68arde » (je schématise intentionnellement). Sommes-nous vraiment si opposés ?

Vous confrontez dans un de vos commentaires deux photos très intéressantes d'écoles allemande et française, la première ouverte à tout vent (la vôtre je crois comprendre ?) et la seconde grillagée et munie d'un panneau « entrée interdite à toute personne étrangère au service » et Axel J. y voit la confirmation de notre « mentalité de détenus ». Certes. La raison d'être de cette déplorable interdiction vient probablement du sinistre épisode de l'école de Neuilly où eut lieu en 1993 une prise d'otages et il est admirable que les Allemands maintiennent la liberté de circulation dans leurs écoles malgré les tristes tueries qu'ils y ont subies ainsi qu'en Finlande d'ailleurs cher Axel (2002, 2006, 2007). Mais... avez-vous fait face à une classe d'adolescents ? Si tel est le cas, pourquoi ne pas offrir vos « recettes » alternatives de « dépannage d'urgence » aux nouveaux professeurs débutants dont il est question dans le billet pour faire face à la déplorable situation dans laquelle ils se trouvent en tenant compte de vos conceptions, disons libertaires de l'enseignement ? Il s'agit parfois d'une question de simple survie, le taux de suicide chez les enseignants débutants étant mieux occulté que chez Renault ou France Telecom et mon idée était de leur être utile. Nous vivons dans un contexte il est vrai déplorable dont il faut tenir compte dans l'immédiat.

Mais oui en effet, je peux m'imaginer et j'appelle de mes vœux des écoles sans barrières ni surveillants ni carnets de correspondance... , une école où le premier objectif serait le bien-être de la personne et la qualité de la convivialité et non le rendement et la sélection. Mais je souhaite aussi l'abolition de la guerre, de l'esclavage et des frontières. Je rêve d'un monde où les enfants vivraient une enfance heureuse et n'importeraient pas leurs problèmes à l'école, un monde où l'Etat n'enverrait pas systématiquement ses CRS « surveiller » les manifestations, un monde sans vigiles ni ghettos ni prisons. Et c'est ce rêve que je prétends transmettre à mes élèves. Malgré mes punitions: à la cinquième fois qu'un élève vous dit avec un large sourire qu'il n'a pas fait le travail demandé, que suggérez-vous de faire ? S'adresser à la famille, en effet, mais pour cela il faut demander un rendez-vous dans le carnet de correspondance dont vous demandez l'abolition pour ne pas « passer au dessus de la tête des enfants ». Reste le courrier électronique... .Je précisais d'ailleurs que ces punitions sont une arme à double fil car elles doivent être données avec discernement et toujours dans un souci de justice et d'équité, les enfants étant très sensibles sur ces questions.

Vous reprochez aussi aux professeurs et aux surveillants de « surveiller », action que vous associez visiblement à la répression. Il m'est difficile de ne pas verser dans la dérision en me souvenant de mon petit camarade auquel un autre avait coupé le lobe de l'oreille en classe à l'insu de notre maîtresse et d'épisodes délirants vécus dans mes cours, aucun aussi grave heureusement. Mais au fait : qu'est ce qu'éduquer sinon surveiller ? Surveiller que l'enfant se développe harmonieusement sans nuire aux autres et en s'épanouissant ? Surveiller qu'adolescent, il ne succombe pas aux sirènes des paradis artificiels ou aux défis stupides à nos yeux d'adultes (« pas chiche » : rodéo en mobylette, vol à l'étalage, punaise sur la chaise du professeur...). Surveiller , dans cette perspective, est faire preuve de responsabilité et aussi d'amour envers la jeunesse. C'est surtout ne pas démissionner.

Vous accusez aussi le système éducatif français d' « humilier » les élèves. Oui. C'est vrai, il est des professeurs qui prennent un malin plaisir à ridiculiser les enfants devant les autres : le « t'es nul » que mentionne Peter Gumbel. Mais croyez-vous qu'ils soient les plus nombreux ? Croyez-vous réellement que ce soit le propre de cette institution ? Bien sûr, il suffit d'un adulte irresponsable pour faire de gros dégâts. Mais l'enfant est confronté au cours de sa scolarité à de nombreux professeurs qui représentent un échantillon d'humanité : du meilleur et du pire et souvent il se trouve un/e adulte pour réparer les séquelles des prédécesseurs. Vous ajoutez aussi que le système français ne respecte pas le futur adulte (en devenir) et ne le responsabilise pas pour qu'il puisse prendre sa vie en mains : en effet, le déséquilibre que pourtant je pratiquais moi-même entre le tutoiement envers l'élève et le vouvoiement de rigueur envers le professeur m'a toujours gêné, mais je n'y ai pas trouvé de remède : jeune enseignant, cela permettait de marquer des limites, le professeur ne pouvant par définition pas être le copain de l'élève (sinon, pourquoi ne donnerait-il pas le sujet du prochain examen ? Bon, il faut abolir les examens, oui, mais même les Allemands les utilisent encore) et ensuite du haut de mes cinquante ans, comment ne pas m'enrober de ma « dignité » (nous y revoilà !) de vieux monsieur ?

La clé du futur est à l'école, aussi les passions s'envolent-elles à son propos. Il est légitime de revendiquer un lieu de vie serein pour nos enfants afin qu'ils s'épanouissent, et là commencent les altercations : pour les uns il s'agit de la libre expression dans le respect des autres de sa personnalité propre et pour les autres il s'agit du silence et du recueillement permettant la concentration et l'effort intellectuel s'opposant à la spontanéité naturelle de l'enfant que le premier veut stimuler et le deuxième canaliser. Les parents n'étant pas d'accord entre eux, comment les enfants le seraient-ils ? Le monde est diversité et confrontation, l'école aussi. La modeler à l'image de nos idéaux supposerait que ces idéaux concordent or, à l'ère du sarkozysme dominant le discours autoritaire a le vent en poupe comme le démontre l'expérience pilote lamentable des policiers « conseillers » envoyés dans une cinquantaine d'établissements.

En conclusion et en écho à votre commentaire concernant le livre de Peter Gumbel je voudrais souligner que je ne m'exprime pas par « nationalisme malsain ou aveuglement » mais parce que je souhaite défendre toutes celles et tous ceux qui luttent au quotidien dans des conditions souvent difficiles pour éduquer une jeunesse dans l'espoir d'un futur meilleur. Si certains ont abdiqué en partie à cause des défauts du système il faut le reconnaître, la plupart sont je l'espère animés du feu de la vocation, qu'elle se soit forgée peu à peu ou qu'elle ait été à l'origine de leur choix de vie. J'imagine qu'il en va de même dans les pays auxquels vous vous référez, mais le prestige de nos établissements à l'étranger semble plutôt démontrer le contraire.

URL du billet dont il est question : http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/etoile66/010910/cest-la-rentree-de-jeunes-enseignants-laches-devant-des-eleves-sans-aucune#comment-662555

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