Le conflit larvé entre le pouvoir de Peña Nieto du PRI lancé dans un train de réformes libérales au goût du jour et la société lassée de l’insécurité, de la pauvreté et de la corruption entame son bras de fer avec le mouvement des enseignants guidés par la CNTE (Coordinadora Nacional de los Trabajadores de la Educación) depuis six mois. Le rouleau-compresseur médiatique entraîné par Televisa et Televisión Azteca noie évidemment les revendications des maestros dans le ressentiment envers une corporation suspectée de visées égoïstes dont les méfaits consistent à bloquer la circulation par leurs manifestations et pour certains la grève.
En effet, la réforme de l’éducation qui se voit ainsi contestée n’est que le premier wagon d’un train de mesures qui comporte aussi une réforme énergétique et une réforme fiscale, revêtant de ce fait une importance stratégique dans la réalisation des objectifs néolibéraux du gouvernement. Mais plus que de réforme pédagogique il conviendrait de parler de réforme du travail étant donné que l’essentiel de son objet est de réguler le recrutement des professeurs et surtout leur licenciement. Concession aux protestations véhémentes, un amendement de la « loi générale du service professionnel enseignant » promet aux professeurs actuels qui seraient recalés aux examens de compétence une réorientation vers des tâches administratives ou une retraite anticipée, mais les jeunes recrues pourront être renvoyées après six mois à l’essai et quatre ans d’études ou seront à la merci d’une évaluation défavorable au cours de leur carrière. De même l’incontournable autonomie des établissements scolaires va liée à l’ouverture sur le monde de l’entreprise et le mécénat ce qui se résumera dans la plupart des cas par un appel aux parents déjà fortement sollicités de financer davantage l’établissement scolaire de leurs enfants.
Les trois poids lourds de l’espace politique mexicain, PRI, PAN et PRD ne se bousculent pas pour soutenir les professeurs en colère, bien au contraire ce qui ne saurait surprendre de la part des conservateurs PRI et PAN, mais surprend de la part du PRD qui se veut de gauche ou ce qui en reste après les diverses scissions (Movimiento Ciudadano ou mouvement citoyen, lopezobradoristes, cardenistes…). Cinq sénateurs PRD ont en effet voté pour la loi, semant la confusion. Or l’éducation est le pivot du développement et sa qualité demeure une question cruciale alors que dans les évaluations PISA – dont les critères sont parfois discutables- le Mexique se trouve souvent relégué à la dernière place («équité de l’éducation », »engagement des élèves »…). Aussi est-il facile de rendre les enseignants responsables de ces résultats au lieu de s’interroger sur les conditions de vie d’une bonne partie des élèves qui ne prédispose pas aux études (malnutrition, obésité, gavage télévisuel…) et dont sont responsables les autorités qui devraient garantir la santé des jeunes alors qu’elles se débattent entre l’ingérence du grand banditisme et la séduction mortifère de la corruption.
Sur quoi cet affrontement débouchera-t-il ? On pourrait augurer le passage en force de la loi malgré les concentrations et les manifestations dans la capitale et aussi dans certains Etats du pays (Oaxaca bien sûr, fer de lance du mouvement, mais aussi Veracruz, Chiapas, Quintana Roo ….) et un possible durcissement de la part des professeurs grévistes qui se voient pour la première fois privés de salaire : la coordination appelle à la désobéissance civile pacifique , mais comme ce fut le cas en France pour le mariage pour tous, la majorité conservatrice dans les deux chambres qui a permis d’adopter la loi sans heurts dans les hémicycles alors que la rue était en ébullition et surtout le gouvernement risquent de ne pas faire grand cas de l’opposition.
Comme le souligne l’appel des maestros à la société civile de soutenir le mouvement, il en va de l’avenir du pays confronté à un vaste projet de privatisation à marche forcée qui transcende les problèmes de précarité du statut des enseignants. Si la gauche ne réussit pas à s’entendre sur cette question, une radicalisation du mouvement débouchant sur une confrontation violente est à craindre.