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Billet de blog 6 février 2015

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Le Túmin, une monnaie solidaire au Mexique

Née en 2010 à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance et du centenaire de la révolution, cette monnaie locale a prospéré et s'est étendue à dix autres états mexicains grâce à un mouvement de solidarité venu à sa rescousse pour le soutenir face aux assauts des autorités qui voient en elle une menace à leur monopole: actuellement les membres du réseau échangent les coupures de 1, 5, 10 ou 20 Túmin (se prononce toumine) entre eux dans leurs transactions (équivalant à 6, 30, 60 et 115 centimes d'Euro) ainsi que les sympathisants de leur cause voire quelques touristes[1]  . 

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Née en 2010 à l'occasion du bicentenaire de l'indépendance et du centenaire de la révolution, cette monnaie locale a prospéré et s'est étendue à dix autres états mexicains grâce à un mouvement de solidarité venu à sa rescousse pour le soutenir face aux assauts des autorités qui voient en elle une menace à leur monopole: actuellement les membres du réseau échangent les coupures de 1, 5, 10 ou 20 Túmin (se prononce toumine) entre eux dans leurs transactions (équivalant à 6, 30, 60 et 115 centimes d'Euro) ainsi que les sympathisants de leur cause voire quelques touristes[1]  .

 Mais il convient de situer le phénomène dans son contexte, le Totonacapan qui est le berceau des Totonaques à l'est du pays berçant le Golfe du Mexique: les pyramides du Tajín érigées par leurs ancêtres jouissent d'une certaine notoriété en raison de leur architecture originale comprenant des niches. Région pauvre dont un des rares atouts, la vanille, est ignoré par l'industrie alimentaire ayant recours depuis longtemps déjà aux arômes artificiels, elle subit avec courage les affres du contexte sociopolitique délétère du pays qui accentue les difficultés quotidiennes. Túmin signifie argent en totonaque mais est dérivé du tomin espagnol qui servait d'étalon au début de l'époque coloniale pour les tributs. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une initiative populaire si l'on entend par là les agriculteurs et les artisans qui sont majoritaires en milieu rural: une convergence entre plusieurs acteurs intéressés par la promotion d'une économie solidaire aussi bien que par une interaction entre traditions indigènes et monde contemporain[2] a engendré cette dynamique dans le petit bourg de Espinal (moins de 5000 habitants) appelé à devenir la capitale du Túmin.

Alors en quoi cette monnaie est-elle solidaire ? Tout d'abord il s'agit de montants très faibles propres aux transactions concernant des produits de base: hygiène, nourriture, soutien scolaire... Dans ce contexte de pénurie généralisée d'argent, un sou est un sou et une remise de 5% sur les ventes aux tumistes à laquelle s'ajoute la possibilité de compléter le paiement en Pesos officiels avec de l'argent qui n'a rien coûté (10% du montant au moins) permet de surmonter les passages difficiles, les fins de quinzaine ou de mois étant réservées aux chanceux émancipés de l'économie dite informelle, celle de la survie. Cet argent en effet est distribué gratuitement à tout nouveau membre à hauteur de 500 T qui équivalent à 500 Pesos, soit 28 Euros au taux actuel. Ce qu'il faut bien comprendre c'est que le principe qui régit ce circuit monétaire « illégal » repose sur la confiance mutuelle et non en un système bancaire bancal: l'objectif est d'élargir les échanges de troc encore pratiqués dans certains marchés aux échanges entre tiers afin de s'émanciper de la relation bilatérale. Les tumistes de plus partagent ou s'initient aux valeurs de solidarité et de dignité malgré la diversité de leurs horizons d'appartenance comme le sont la confiance mutuelle et l'autonomie (mises à mal par les politiques d'assistanat et de prosélytisme électoral), l’entraide et le désintéressement ainsi que tous les idéaux jugés contre productifs par l'individualisme et la compétition capitalistes.

Les membres en effet viennent aussi bien des diverses religions solidement ancrées dans le pays, essentiellement catholique et protestante ainsi que certaines sectes, comme des formations politiques dites de gauche ou sont simplement indifférents. C'est ainsi que le maire (affilié PRI) s'est vu remettre le dossier du tumiste, tout comme le curé car il en va de la concorde du village et de son avenir. Et la maison du Túmin, centre opérationnel et lieu de rencontres et de vie, jouxte les locaux de la police faute de pouvoir se payer le luxe d'un loyer conséquent : de toutes façons les maisons libres sont rares et construire relève de l'utopie en raison des finances exsangues de cette coopérative d'achats menacée par l'absence chronique de fonds (rappelons qu'elle refuse toute subvention du gouvernement) . L'impression et la diffusion de son organe de liaison toutes les quinzaines représente à lui seul un énorme effort financier auquel s'ajoutent les rencontres avec les autres associations de défense civile ou d'économie solidaire : citons le Tláloc qui fut le pionnier dans la capitale mexicaine en 1997 mais qui diffère en ce qu'il constitue un bon d'échange dans les marchés à dates fixes à l'usage exclusif de ses membres, ainsi que le Cajeme (Sonora), le Penca (Coahuila), le Mezquite (Guanajuato), le compartienda (Aguascalientes)... ces monnaies seraient une quinzaine au Mexique.

Mais utiliser d'autres moyens de paiement que le Peso qualifié d'argent sale revient à défier l'ordre établi même si le désordre en est la caractéristique (dettes monstrueuses, indexation sur le Dollar lui-même déconnecté de l'économie réelle, fonds blanchis... pour le volet économique et narco-guerre pour le social). Le prix à payer pourrait alors s'avérer élevé au cas où ce petit village d'irréductibles Totonaques qui résiste encore et toujours en viendrait à irriter trop les banques, les multinationales et les tenants de l'économie spéculative. Mais foi garder en l'avenir il faut à l'heure où les monnaies locales étudient la possibilité de s'échanger entre elles au niveau international.

[1]  Son originalité est d’être échangeable au porteur sans conditions et il est possible de s'en procurer auprès des Tumistes (Túmistas) en leur demandant de faire l'appoint en Tumins au lieu de Pesos mais une des conditions á l'adhésion est de produire (biens ou services).

[2] bien que des associations comme la RUDH (Red Unidos por los Derechos Humanos) et la CIIDES (Centro de Investigación Intercultural para el Desarrollo), émanation de la très officielle UVI (Universidad Veracruzana Intercultural, organisme crée en 2003 en application d'un décret soucieux de rapprocher les communautés indigènes et les académies) ont participé au lancement, l'autonomie complète était une condition incontournable qui a même conduit l'ex-coordinateur du projet, Juan Castro Soto, à abandonner ses activités universitaires au sein de l'UVI.

Et pour prolonger :

kgosni signifie cœur en totonaque et c'est le titre du bulletin de liaison :

https://pedroecheverriav.wordpress.com/2014/12/25/kgosni-166-constituyente-ciudadana/ (espagnol)(cliquer sur le titre en minuscules en dessous de celui en capitales d'imprimerie)

dernier numéro: https://drive.google.com/file/d/0Bw7ymuucv6VWV0twR1JHblRBT00/view?usp=sharing 

un livre qui vient d’être publié sur le Túmin:

http://www.uv.mx/uvi/files/2014/12/Libro-Aceptamos-Tumin-version-final.pdf (espagnol)

un récit de visite en français:

http://poloapolo.net/fr/2013/06/05/tumin-une-economie-alternative-est-possible/

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