Une lame de fond secouerait la société ravagée par le discrédit des politiciens et de tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à une antienne des « élites parisiennes ». La langue de bois ne date certes pas d’hier, mais une lassitude s’empare de tout observateur soumis au gavage médiatique officiel qui devient la proie des agitateurs de miroirs aux alouettes se définissant comme antisystème.
Ici même la phobie du formatage incite á lyncher tout ce qui s’apparente á une pensée unique en résonance avec les grands thèmes de la propagande ce qui est plutôt salutaire dans la mesure oû ce n’est pas pour verser dans un autre conformisme. Certes, on échappe à la dictature du point Godwin interdisant toute mise en perspective historique mais certains terrains sont considérés comme conquis de haute lutte et malheur á qui ose défendre l’Europe (un dangereux néolibéral), les sans-papiers (un bisounours) ou qui souhaiterait donner une chance au nouveau gouvernement (un UMPS).
Nous devons pourtant au politiquement correct qui indispose tellement les secteurs franchouillards le bannissement de termes ouvertement offensants ainsi qu’un traitement décent des minorités. Certes, il s’agit d’un frêle garde-fou de la décence puisqu’il n’évite en rien les stigmatisations á la Valls ou Sarkozy mais il sert de préservatif aux éructations haineuses qui se voient confinées à des cercles restreints ainsi qu’aux sous-entendus lourdauds : la vie de xénophobe n’est décidément pas facile, vivement que ça change donc haro sur l’ "establishment".
L’impact du langage sur les mentalités n’est plus à démontrer, un site excellent comme Les mots sont importants ( http://lmsi.net/ ) s’emploie à déjouer les pièges multiples des lieux communs. Autant que la politique qui le ficelle pour mieux le manipuler ou l’éducation qui tente de le démocratiser, il est un des leviers principaux du progrès des mœurs et de la convivialité. C’est pourquoi les politicien/nes redoutent les dérapages irrécupérables ou tentent des coups de poker en lâchant un « pauvre con »(NS), un « sous-homme » (Georges Frêche) ou un « salaud » (Mélenchon).
Voici deux aspects contradictoires du vocabulaire supposé faire consensus :
- Prenons la « reconduite à la frontière » qui se distingue de la déportation par les suites supposées non létales : euphémisme poli pour emballer une réalité cruelle que l’on atténue . Il est possible aussi de se référer aux « expulsions » qui omet le c.o.d.
- Le «couple pacsé » par contre a relégué les « concubins » aux oubliettes de l’époque oû la « mère célibataire » devenue « parent élevant seul son enfant » perd un peu de sa supposée indignité.
Dans le même registre il est une expression qui nous tient á cœur car elle assimile des groupes distincts á un groupe dominant : nous nous référons á l’accaparement par la minorité étasunienne de l’appartenance au continent américain alors qu’il comporte 35 nations. Dire que l’on est Européen à l’étranger attire inéluctablement la question concernant la nationalité alors qu’un Américain ne se verra pas immédiatement interrogé sur son essence identitaire. Vivre est un village de son côté était parti en légitime croisade pour le bannissement du terme de vichyste en relation au régime de Pétain. Un autre exemple concernant une expression dont se sont saisis justement les croisés antisystème : droits de l’homme stigmatisés comme droit-de-l’hommisme : pour notre part nous préférons les droits humains qui tendent á se généraliser (la formule seulement hélas).
La liberté d’expression aurait alors des limites ? En général ce sont celles que chacun se fixe et fixe aux autres, cela est particulièrement manifeste dans le registre de l’humour qui a fait récemment l’objet d’un aggiornamento suite aux gesticulations narcissiques d’une vedette du genre, mais ce dernier n’a fait qu’enfoncer un clou déjà travaillé par les caricaturistes de Charlie Hebdo. Rire, provoquer oû est le mal ? Cela ferait aussi progresser les choses et détruirait les clichés. Les dérapages n’y sont guère contrôlés et l’on invoque la police de la pensée pour jeter son fiel sans contraintes
Adapter son langage aux situations est pourtant un comportement de tous les jours qui se réalise inconsciemment, laissant une autocensure qui tient du surmoi exercer sa contrainte inlassablement. Pourquoi devrait-elle être abolie dès qu’il s’agit de réseaux sociaux ou de politique ? Eviter certaines expression ne permet pas seulement de ménager quelques susceptibilités mais aussi de transmettre une image du monde plus conviviale.