La terre est ronde, n'est-il pas ? Non, il est en effet établi qu'elle est de forme ovale. Mais pour le génocide nazi, la conquête de la lune, la tragédie du 11 septembre... nombreux sont les négationnistes qui refusent les faits et voient des forces obscures à l'œuvre qui pour détruire la planète, qui pour s'emparer du pouvoir ou le corrompre. En version officielle, cela donne les armes de destruction massive visant l'occident, le complot judéo-maçonnique ou l'hydre Al Qaida à l'affût des mangeurs de porc.
Les dogmes ont la vie dure. La lente érosion due aux contingences ne vient pas à bout de leur infaillibilité et c'est ainsi que les évidences scientifiques se trouvent niées par le créationnisme, le refus du changement climatique ou le « bon sens » empirique . « Vérité » immuable, vérité qui tue, hors la religion point de salut ? La foi guide et sauve du vide existentiel en fournissant des repères dont l'inconvénient est de reposer sur des postulats non démontrés et leur exégèse. Prétendre s'émanciper du cadre préétabli revient donc à naviguer à vue et à établir des critères hétérodoxes qui peuvent être remis en question à tout moment. Au niveau d'une société de plus en plus agnostique de même que pour l'individu cela débouche sur une phase d'incertitude riche de tous les dangers : l'obscurantisme ou le nihilisme guettent et la multiplication des sectes, le prosélytisme arrogant font recette alors que la recherche débridée de jouissances matérielles entraîne une autre partie de la population dans une quête vaine d'un bonheur inassouvissable.
Dans un tel contexte comment éluder l'avènement d'un régime dont la principale ambition est de créer des richesses dans le mépris des valeurs historiques détournées de leur sens en fonction des besoins alors même que tout est remis en question ? Comment motiver une jeunesse privée d'idéaux ? Se complaire dans la dénonciation du malaise profond ressenti par le pays sans offrir de pistes ne sert qu'à ajouter au désarroi, mais alors vers quels horizons naviguer ? Choisir un cap dans l'espoir d'une terre promise relève du défi improbable, mais il faudra pourtant se résoudre à dessiner les contours d'une nouvelle éthique civile dénuée cette fois de prétentions universelles : l'Irak a démontré si besoin en était que les solutions occidentales n'ont pas cours partout. L'écologie tente bien de combler ce besoin de transcendance spirituelle en érigeant le néolibéralisme comme mal absolu. La question est de savoir comment convertir une contestation en modèle de rechange, les grands groupes s'étant déjà emparé de la noble cause en la pervertissant et la travestissant en « développement durable ». L'altermondialisme quant à lui est à la recherche d'un second souffle après la récupération de Porto Alegre par Lula et là non plus on ne voit guère de critique déboucher sur des propositions concrètes.
Oui, il est en effet facile avec les médias actuels de diffuser toute sorte de rumeur, de théorie ou de croyance qui aura d'autant plus d'impact que le public sera inexpérimenté ou inculte. La toile est un joyeux défouloir où fleurissent les buzz et autres hoax : désordre de l'humanité impossible à gérer et bouillon de culture idéal pour les fausses prophéties. Les tueurs fous y annoncent leur forfait à l'avance et les calendriers de réunions klu-kluxclaniques s'y diffusent en toute impunité. La liberté de parole se trouvant dévoyée au bénéfice de l'à peu près et de la médiocrité, où puiser des références solides ? Université et édition restent les bastions du sérieux et du savoir, à eux la tâche d'orienter la réflexion vers des idées innovantes, d'introduire pondération et rigueur dans les soubresauts d'une pensée contemporaine aussi mouvante qu'incertaine. La recherche scientifique qui a été le pilier de l'évolution humaine se voit investie quant à elle de la lourde responsabilité de donner des réponses aux grands questionnements : le défi de la faim, les maladies à vaincre, la naissance et la mort, le mystère de nos origines... mais là aussi dans la sérénité et sans se voir accuser sans cesse de tous les maux.
Les humains sont vraiment une drôle d'espèce qui se cherche sans jamais trouver, aussi use-t-elle de subterfuges comme le sont les religions ou les distractions pour assouvir son besoin d'exister, de suivre des normes et de repousser le spectre de la mort. Dans ce domaine la seule chose certaine, c'est que rien n'est certain : le relativisme a de beaux jours devant lui.