“Afghanistan. Un bombardement de l’Otan fait dix morts, uniquement civils”, suivent…trois lignes de « développement » de l’info dans le Monde du 14 février p7 précisant qu’il s’agit « en grande partie » de femmes et d’enfants. La viande de cheval quant à elle va s’étaler jusqu’à saturation dans les médias.
Rien de bien nouveau certes, deux poids deux mesures qui reflètent les orientations stratégiques des faiseurs d’opinion et la chape de plomb qui écrase la misère humaine ou l’injustice « contre lesquels on ne peut rien faire ma brave dame ». Qu’il s’agisse de crimes de guerre et non de dommages collatéraux peu importe, l’essentiel est que le consommateur ne soit pas berné par l’étiquetage.
Il en va de même du clochard ou du Rom sur son bout de carton qui fait détourner les regards : vite, pensons à autre chose qui anesthésie cette amertume que nous lance ce qu’on appelle notre conscience. Et pourtant il existe des responsables de cette misère qui dorment de leur juste sommeil : parents ayant mal fait leur boulot ou ex-époux ayant donné l’estocade à une union, employeurs ayant rejeté les bras qui ne demandaient qu’à faire un peu de travail, ou bien sûr le fameux « système » qui a bon dos, mais ici-bas c’est chacun pour soi et si t’es dans la mouise c’est bien sûr de ta faute, t’avais qu’à pas boire.
Et la violence dans les foyers dont il n’est jamais question ? Vivant en Espagne, nous connaissons depuis des années le chiffre exact des victimes mortelles du machisme (et parfois aussi du désespoir féminin) au jour le jour car il n’est pas un meurtre sans que l’on ne précise les circonstances exactes et, surtout, le nº d’ordre dans le macabre décompte annuel. De plus une campagne massive d’affichage avec des slogans dérangeants avait marqué les esprits il y a quelques années : croyez-moi, il n’est plus si facile de tenir un discours machiste dans l’Espagne de la crise.
Machisme donc, tabagisme, délinquance routière : il est possible d’agir. Il serait aussi possible de mobiliser l’opinion publique sur les exactions de la guerre comme il semble que ce soit le cas avec le débat autour des drones aux Etats Unis actuellement. Les médias jouent un rôle décisif et il nous semble que Médiapart dans ce domaine ne soit pas très volontaire, plus soucieux des scandales du monde de l’argent que de souffrances silencieuses : les reportages sur la jungle de Calais et les quelques contributions sur les scandales des pirogues et autres boat people ne sauvent pas la mise.
Certes, il est difficile de rédiger des articles de fond sur des sujets qui hélas semblent plus relever de l’anecdote routinière que du scandale porteur des personnalités déchues ou de la salubrité publique. Enquêter sur les bas-fonds de la prostitution ou de la traite humaine, sur les ventes d’armes et leur emploi ou encore sur les facteurs d’exclusion et les dispositifs de prévention est un créneau que négligent pourtant moins des sites comme Rue89 ou le Huffington Post que certains regardent de haut à cause de leur appartenance à des médias classiques établis et de leur recours aux couleurs et aux images.
La lutte contre la cruauté et l’injustice qui devrait guider notre réflexion civique et servir de prisme à tout regard critique sur notre monde se dilue trop souvent dans des contemplations politico-politiciennes à caractère personnel dans le cirque médiatique.