Au-delà de la polémique stérile concernant le rétropédalage de M Rocard qui aurait réussi à faire passer le fameux « mais la France doit savoir en prendre sa part » comme étant la suite de sa phrase à postériori, la place qu’elle a pris dans l’imaginaire français mérite qu’on la médite à la lueur des données actuelles.
Il conviendrait de désamorcer d’entrée de jeu le « toute » (la misère) qui, plus qu’une exagération constitue une manipulation des esprits incités à imaginer un raz-de-marée humain en provenance du tiers-monde avide des bienfaits de notre Etat-providence. Ce procédé insidieux efface du tableau l’existence d’une misère autochtone, le quart monde, ainsi que d’une misère morale, les taux de suicide étant curieusement plus élevés dans les pays riches que dans les pauvres (1). Il passe aussi par pertes et profits les profondes valeurs culturelles altruistes, qu’elles soient labellisées judéo-chrétiennes (amour du prochain) ou républicaines (devise) en mettant tous les miséreux dans un même sac.
Bien sûr on ne se désintéresse pas de la misère, pour cela il y a les politiques d’aides publique au développement (APD) afin d’éviter en partie les départs. Soit, sauf que l’objectif défini en 1970 par les Nations Unies et confirmé à plusieurs reprises d’y consacrer au moins 0,7% du PNB n’est respecté que par la Norvège, le Danemark et le Luxembourg, la moyenne se situant dans une tendance à la baisse actuellement à … 0,31% ! Si on compare les dépenses militaires à l’aide au développement, on arrive à des résultats éloquents : « tous les donneurs, sauf le Danemark, consacrent au moins le double du budget de l’aide aux dépenses militaires. Le Royaume Uni lui consacre huit 8 fois son budget d’aide en dépenses militaires, la France 9, l’Italie 15, la Grèce 23, les Etats Unis 33 »(2). La France consacrerait actuellement à l’APD 0,46% de son PNB mais des accusations de manipulation de ce chiffre pèsent sur le gouvernement (3). Restent les ONG qui suppléent du mieux qu’elles peuvent aux défaillances des Etats et dont le travail est en effet essentiel pour tenter de compenser les déséquilibres nord-sud mais qui face à la démesure des besoins ne représentent qu’une goutte d’eau : « toute » la misère, comment la chiffrer ?
« La France doit en prendre sa part », pourquoi ? Rappelons qu’elle se veut la patrie des droits de l’homme et terre d’asile, principes mis à mal par le discours xénophobe ambiant. Il existe des procédures prévues permettant aux personnes persécutées dans leur pays de solliciter l’asile mais elles sont contournées par la reconduite immédiate aux frontières (par la Frontex ou au moyen du subterfuge des laissez-passer européens) et aussi par l’externalisation de la politique migratoire aux pays comme le Maroc ou la Libye qui les empêche de venir présenter leur demande. L’immigration économique quant à elle se voit encouragée par le gouvernement dans les secteurs de pointe (informatique, football, chirurgie…) au plus grand bénéfice de la société dans le cadre de son « immigration choisie », ce que les anglo-saxons nomment la fuite des cerveaux triés ensuite sur le volet : brain drain. Les emplois de nettoyage, de soins aux moribonds ou de plonge dont personne ne veut sont couverts par les immigrés régularisés dans le meilleur des cas : ceux-là sont tolérés dans la mesure où ils ne font pas de vagues et se fondent dans le paysage. Une part raisonnable donc limitée à nos besoins et pas au-delà selon un consensus établi car sinon le flux ne serait plus maîtrisable et engendrerait le chaos. Est-ce si sûr ?
Si la France se porte plutôt bien démographiquement comparée à ses voisins en étant le seul pays avec l’Irlande à dépasser de justesse les 2% de taux de fécondité, elle n’atteint pas encore le seuil de renouvellement des générations qui se situe à 2,10% et la fin du creux de vieillesse masculine dû à la deuxième guerre de notre pyramide des âges qui se verra remplacé par le baby boom des trente glorieuses transformé en papy boom condamne le pays au vieillissement. Faire des enfants certes, mais à défaut un contingent de jeunes immigrés prêts à tout pour s’intégrer et travailler permettrait de suppléer les déficiences de notre élan vital et de donner un coup de pouce au financement des retraites. Pas d’emplois ? Il est démontré que l’immigration génère des emplois, créant des circuits spécifiques (alimentation, agences de voyage, services propres) et d’autres qui viennent s’insérer dans le système productif existant. Ce sont souvent les plus dynamiques et les mieux dotés qui émigrent, avec parfois un petit pécule de départ insuffisant cependant selon les critères draconiens d’immigration (300 000 Euros pour la carte compétences et talents !) ; on pourrait aussi distribuer des microcrédits pour stimuler la création de PME. Les exemples des rapatriés d’Algérie ou des Cubains de Floride prouvent que l’économie se dilate en fonction des besoins.
Certes, la crise incite au repli sur soi et à la prudence, les délocalisations n’agissant pas dans le sens d’un accueil de demandeurs d’emploi. Mais on est loin de l’invasion agitée en épouvantail : avec 10,7% d’immigrés en 2010, la France se situe au 54ème rang bien loin derrière des pays comme Singapour (41%), l’Australie ou le Canada (22 et 21% respectivement) ou la Suisse (23%) (4). Les cas des émirats en tête du classement qui flirtent avec les 80% serviraient plutôt de contre-exemples étant donné leur tendance à la discrimination des travailleurs immigrés. Mais de toute façon l’émigration reste un phénomène marginal à l’échelle planétaire, seuls 3,2% de la population mondiale tentent le grand saut, et 66% parmi eux se rendent dans des pays en voie de développement. Il ne faut pas oublier non plus qu’une partie de l’immigration est compensée par des Français qui, de plus en plus nombreux, vont tenter leur chance à l’étranger en se heurtant, eux, à nettement moins d’entraves : en incluant les non inscrits dans les consulats, environ deux millions résideraient à l’étranger.
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_de_suicide
(2) The reality of aid 2002, An independent Review of Poverty Reduction and International development assistance , IBON Books, Manila (Philippines), 2002, p. 155.
(4) http://www.ined.fr/fichier/t_telechargement/49628/telechargement_fichier_fr_publi_pdf1_472.pdf
LIENS EN RAPPORT AVEC LE SUJET
La phrase de M Rocard:
http://www.ina.fr/video/CAC90043039/extrait-7-7-michel-rocard-video.html
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-09-30-Rocard
Citoyenneté universelle :
chanson de Manu Chao:
http://www.youtube.com/watch?v=0TamvrMZl4g
Volumes de migrants et données chiffrées :
http://www.mediapart.fr/content/immigration-trois-films-danimation-contre-les-idees-recues
http://migrationsmap.net/#/FRA/arrivals
http://www.migreurop.org/IMG/pdf/map_36.3_perilleuses_traversees.pdf
organisations de soutien (français)
http://www.gisti.org/index.php
http://www.educationsansfrontieres.org/
http://www.migreurop.org/?lang=fr
organisations de soutien (anglais ou espagnol)
http://www.iom.int/cms/en/sites/iom/home.html
http://clandestino.eliamep.gr/
articles de Mediapart sur le sujet
http://www.mediapart.fr/journal/france/120511/plus-de-garde-vue-pour-les-sans-papiers
http://www.mediapart.fr/content/immigration-la-contre-expertise-0