Boris Carrier (avatar)

Boris Carrier

interculturel, langues

Abonné·e de Mediapart

99 Billets

13 Éditions

Billet de blog 31 mai 2014

Boris Carrier (avatar)

Boris Carrier

interculturel, langues

Abonné·e de Mediapart

Mexique: journalisme et chaos

Javier Sicilia, l’auteur de l’article dont le compte-rendu de lecture suit, est une figure emblématique du mouvement de rébellion citoyenne face aux fléaux qui secouent le Mexique, en particulier l’insécurité (son fils a été assassiné par le cartel du golfe, plus de 120 000 morts en six ans de mandat de Calderón) : auteur d’essais et de romans, journaliste, il a délaissé la poésie depuis le drame qui l’a frappé pour se consacrer au mouvement citoyen d’émancipation dont il est devenu la figure de proue.

Boris Carrier (avatar)

Boris Carrier

interculturel, langues

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Javier Sicilia, l’auteur de l’article dont le compte-rendu de lecture suit, est une figure emblématique du mouvement de rébellion citoyenne face aux fléaux qui secouent le Mexique, en particulier l’insécurité (son fils a été assassiné par le cartel du golfe, plus de 120 000 morts en six ans de mandat de Calderón) : auteur d’essais et de romans, journaliste, il a délaissé la poésie depuis le drame qui l’a frappé pour se consacrer au mouvement citoyen d’émancipation dont il est devenu la figure de proue.  Il y est question d’un entretien qui a eu lieu concernant  la question de fédérer les « autodéfenses » autour desquelles tourne la polémique sur la sécurité face aux déficiences de l’Etat.

Ces groupes d’autodéfense nés au Michoacán livré á la guerre des cartels se multiplient dans le pays mais le gouvernement tente de les désarmer et de les convertir en polices rurales , craignant une évolution á la colombienne qui a vu les groupes citoyens de défense dévoyés en groupes délinquants.  Aux dernières nouvelles la première réunion d’autodéfenses citoyennes á laquelle ont participé entre autres le père Solalinde défenseur des migrants centraméricains et le père Raúl Vera López (qui a baptisé une fille de couple lesbien) mercredi dernier  a reconnu le droit á la légitime défense et prétend agir dans les domaines de la sécurité et de la justice.

Il faut aussi avoir présent á l’esprit la terrible menace qui pèse sur les journalistes et leur famille livrés au chantage des cartels de la drogue : RSF ne comptabilise pas les morts non recensés officiellement « faute de preuves » mais les rapporteurs de faits divers sont particulièrement visés s’ils brisent l’omerta et rares sont les médias á anonymiser les articles sensibles comme le magazine Proceso dont J. Sicilia est un collaborateur.

Journalisme et chaos d’après Javier Sicilia : compte-rendu de lecture de l’article paru en espagnol dans Proceso (25 mai p44).

La violence que subit le pays est á mettre en corrélation avec l’accélération générale imposée par la révolution technologique qui a fini par convertir le journalisme en source de désinformation qui contribue au chaos.

A quelques exceptions près, notre journalisme se nourrissait non seulement de corruption mais aussi du sensationnalisme qui évolue dans le superficiel. Cette réalité a empiré dans le contexte de violence avec l’exigence de dire quelque chose de nouveau en temps réel. En effet si tous les médias ont déjà restitué et déformé la rumeur, comment produire du neuf pour vendre si ce n’est en l’amplifiant encore jusqu’á réinventer la réalité pour la transformer en virtualité qui s’impose ? Aussi les reportages sont-ils « agrémentés » d’images plus sanglantes les unes que les autres.

Contrairement au journalisme d’investigation qui se saisit d’un fait significatif pour l’approfondir en confirmant les données, la chronique actuelle s’adapte á la violence et au dictat technologique du virtuel qui efface la réalité et finit par la pervertir, générant des effets pervers imprévisibles. Que l’on se souvienne par exemple du hoax crée sur Twitter par une journaliste blaguant avec un hélicoptère mitraillant une école qui a créé une panique généralisée á Veracruz et envoyé son auteure en prison !

Javier Sicilia a ainsi été la victime d’une telle déformation des faits : une interview accordée á un journaliste de l’Excélsior suite á une réunion privée entre militants sociaux donna lieu á une brève affirmant ce qu’il n’avait jamais dit et était á moitié faux : « Sicilia proclame la création du front National d’autodéfense », et cela continuait en annonçant le départ d’une caravane sur le mode zapatiste censée traverser le pays pour mobiliser les gens á participer à des actions sécuritaires pacifiques. Bien plus grave que la note en soi est la divulgation de l’information erronée par les autres médias parmi les plus connus sans vérification auprès de la source, déclenchant toutes sorte de réactions.

Face à ces faits on en vient à douter sérieusement de la consistance des diverses nouvelles : dans un tel journalisme soumis á l’impératif de l’immédiateté la confusion prédomine. Si le journaliste ayant rédigé cette brève ainsi que ceux qui la reproduisirent avaient été plus respectueux de la déontologie, ils auraient découvert la vérité. Cette note qui ne restitue pas les propos tenus traduit par contre l’exaspération générale face au crime et l’absence de l’Etat et reflète la nécessité de créer un mouvement de résistance civil. C’est pourquoi Sicilia s’est rendu á cette réunion en représentant le mouvement qu’il a créé (Movimiento para la Paz con Justicia y Dignidad), réunion où a en effet surgi l’idée de fédérer les différents mouvements mais á laquelle il n’a pas adhéré, considérant qu’il fallait réunir un maximum d’organisations et aussi par réticence envers l’emploi du terme « autodéfense » véhiculant une connotation liée aux armes.

Les propos rapportés sont donc faux, il s’agit d’un abus irresponsable motivé par la recherche du sensationnel, la vérité cependant réside dans le fond et il aurait fallu renoncer à la course au scoop pour se pencher sur ce besoin impérieux qui s’étend sur tout le pays d’une opération de sauvetage national. Agir de la sorte reviendrait à nous rapprocher des fondements qui ont été perdus pour nous sauver au lieu de nous perdre dans le superficiel et le faux.

Cette chronique se termine par un rappel des demandes de Sicilia et de son mouvement : respecter les accords de San Andrés au Chiapas, libérer tous les Zapatistes, sauver un bâtiment historique menacé par un magasin de grande distribution, faire avancer les enquêtes sur les féminicides de Ciudad Juarez, interdire une mine hautement polluante, libérer les prisonniers d’Atenco, juger Ulises Ruiz ex-gouverneur accusé de violences contre des manifestants et des indigènes, revoir la stratégie de défense et indemniser les victimes de la narco guerre.

mise á jour fin juin: alors que la Tuta, chef du cartel de drogue des soi-disant chevaliers templiers au Michoacán court toujours, le docteur Mireles, leader d'un groupe d'autodéfense, a été arrëté fin juin pour ne pas avoir rendu les armes comme le stipule un accord entre les autorités et les principaux groupes d'autodéfense parfois officiellement reconvertis en "force rurale".

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.