Prendre la victoire de Trump comme un violent upercut dans la tronche.
Et, comme d'autres, avoir la tête douloureuse depuis Jeudi. Car c'est bien la tête qui était visée: La victoire de Trump c'est la victoire contre les "têtes pensantes", contre ce qu'on nomme là bas"l'establishment" : soit un conglomérat relativement indéfini formé par "les élites", "les riches", "les gagnants de la mondialisation", "les éduqués","les insérés", les "tenants du cosmopolitisme"...
Ironie de l'histoire : C'est précisément le tenant de ce que l'establishment américain peut produire de pire (quelqu'un qui s'est seulement donné la peine de naitre en héritant d'une immense fortune, qui a triché avec le fisc, précarisé des travailleurs dans le milieu du BTP, qui est raciste et homophobe malgré ses études universitaires), qui est désormais devenu le champion de ce que l'on pourrait appeler de ce côté ci de l'Atlantique, le "prolétariat".
Et ce sont donc les "progressistes", ou ce que l'on appelle ici en Europe la gauche, qui sont sommés de s'expliquer, de se remettre en question, presque de culpabiliser. Vae Victis. Rien ne sera épargné aux perdants.
Quand je suis dans le doute, j'ai une méthode pour me redonner du courage, et pour repartir de l'avant : Je me plonge dans les livres.
Hasard de la vie, j'avais croisé cette semaine dans un troquet du 10ème arrondissement où j'ai mes habitudes en semaine, Virginie Linhart, pour une discussion de comptoir autour du livre de son père, "l'Etabli". Livre que je ne m'étais jamais donné le temps de lire. C'est désormais chose faite.
Si la gauche a une responsabilité, un devoir, c'est de ne pas oublier le combat pour la classe ouvrière, pour les plus pauvres ou les plus précaires. C'est ce que rappelle ce livre. Qui me parait terriblement actuel. A l'heure où le FN est depuis quelques années déja, le premier parti ouvrier de France.
Car les cols bleus n'ont pas disparu comme les dinosaures. Toutes les usines ne sont pas devenues des centres d'art contemporain. La désindustrialisation française a accouché de la "tertiarisation" de l'économie, et si les cols bleus sont moins nombreux sur les chaines de montage automobiles (qui sont parties s'installer à l'Est de l'Europe), l'économie des services a produit de nouveaux prolétaires en nombre, comme l'ubérisation progressive qui engendre de l'auto-entrepreneur au bord de la précarité.
"Notre monde enfoui jaillit et se déverse sur l'autre. comme un continet perdu brusquement mis à jour, et le raz de marée que provoque son émersion. la vieille société, tétanisée, voit, incrédule, se répandre une joie inédite, incompréhensible. Nous briserons les murs de l'usine pour y faire pénétrer la lumière et le monde" (pages 98-99)
Les mobilisations fortes contre la Loi El Khomry doivent nous interroger. Comment la gauche et le PS peuvent être parler aux travailleurs quand le langage du seul réformisme n'est pas entendu et compris ? Le salut peut surement venir de la promotion d'un autre modèle d'organisation du travail, sur le modèle de l'économie sociale et solidaire, porteuse de sens collectif et qui laisse moins de monde sur les marges. Faut il reprendre le chantier du partage du travail ? Il faut en tout cas être intraitable sur la lutte contre la souffrance au travail, un véritable fléau, et bien entendu, obtenir plus de résultat sur le front de la lutte contre le chomage.
Une chose est sûre, à la lecture de ce livre, les "solidarités concrètes" se construisent par les luttes communes. C'est par le combat que les frontières sociales s'estompent momentanément. "S'établir" ? un état d'esprit; Quitter l'entre soi. Se tourner vers les autres, en particulier au travail. Et donc d'abord se syndiquer. S'ouvrir aux problèmes et aux souffrances des autres sur le lieu de travail. Se serrer les coudes. Défendre les droits de tous. Et bien sûr militer dans des partis politiques. Qui ne sont pas uniquement composés d'un ramassis d'apparatchik obsédés par leur carrière, mais aussi des lieux de formation, d'émancipation, d'apprentissage des uns des autres, de création de pensée commune.
Définitivement, il faut nous "réétablir" dans la réalité sociale. Aux côtés des précaires. Des sans grades. Des étrangers. Des réfugiés.
Sous peine que la réalité sociale nous pète à la gueule. Car la colère sociale vise toujours la tête.