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Billet de blog 17 avril 2014

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Dans le bunker. Récit du conseil national du PS

La salle Victor Hugo est située au troisième sous sol des locaux de l’Assemblée nationale rue de l’Université à Paris ; le huis clos est décrété. Une meute de journalistes attend au niveau de la rue sans possibilité d’accès au lieu des débats où se déroulera un CN annoncé comme houleux. On y descend comme on rentre dans un bunker, avec la sensation que nos débats seront protégés, mais avec l’impression diffuse qu’une menace oppressante existe à l’extérieur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La salle Victor Hugo est située au troisième sous sol des locaux de l’Assemblée nationale rue de l’Université à Paris ; le huis clos est décrété. Une meute de journalistes attend au niveau de la rue sans possibilité d’accès au lieu des débats où se déroulera un CN annoncé comme houleux. On y descend comme on rentre dans un bunker, avec la sensation que nos débats seront protégés, mais avec l’impression diffuse qu’une menace oppressante existe à l’extérieur. Le contexte politique est, il est vrai, particulièrement dégradé et pèse comme un couvercle  :

Exfiltration d’Harlem Désir au gouvernement. Passage de témoin décidé en haut lieu à Jean Christophe Cambadélis. Mauvais Chiffres du chômage. Annonce d’un plan d’économie de 50 milliards. Nomination d’un gouvernement Valls perçu comme celui de la dernière chance. Espoir d’un sursaut. Inquiétudes sur la ligne politique qui sera suivie.

Le Présidentialisme forcené de nos institutions n’incite pas à l’optimisme : les choix capitaux pour le pays semblent décidés plus que jamais en petit comité, le parlement est largement domestiqué. La fronde de 88 parlementaires courageux en témoigne.

Tout cela rappelle les heures sombres de notre parti. 1994 et le « champ de ruine » dont parlait Michel Rocard. Choc du 21 avril 2002 qui nous avait laissé collectivement sonnés avec un parti à relever.

Je rentre au CN animé par un esprit de responsabilité, mais avec mes convictions solidement arrimées aux tripes :

Le souci d’être d’abord le porte parole de la fédération : j’ai un mandat clair confié par les membres du Conseil fédéral de la FFE que j’avais appelé à débattre de la situation du Parti le dimanche 12 avril.

Ma feuille de route  : Demande d’organisation d’un congrès, appel urgent à un PS qui redeviendrait un laboratoire d’idées et une force de proposition, rappel de nos valeurs pour un socialisme promoteur de plus de justice sociale (Cf le lien vers le CR du CF et la motion adoptée).

Je rentre dans la salle animé par une exigence de transparence : nous organisons avec Amandine Courtin un « live tweet ». J’enverrai pendant tout le temps du CN des commentaires et informations sur le déroulé des débats par twitter. Le compte twitter de la fédé les relayera. Il n’y a rien à cacher aux militants. Tout doit être mis sur la table.

Je m’installe au cinquième rang de la salle. A gauche de la travée du milieu. Comme un symbole.

Christophe Borgel fait le tour de la salle pour saluer tout le monde. Il glisse à l’oreille d’un de mes voisins « il se prépare depuis tellement longtemps » « il en a tellement envie ». La candidature de Jean Christophe Cambadélis est un secret de polichinelle.

J’interpelle Alain Fontanel sur l’existence d’un secrétariat national aux français de l’étranger dans la future direction nationale : il m’indique qu’il n’y en aura pas.

Jean Christophe s’installe sur la large tribune bien avant que tout le monde soit installé ; Il prend déjà possession du parti ; Harlem Désir arrive quelques temps après, au pied de la tribune. Le passage de témoin est ficelé.

Pas de convocation pour ce CN. Pas d’ordre du jour annoncé par avance. Nous ne savons pas si le nouveau premier secrétaire sera un intérimaire. Si une direction collégiale sera mise en place. Si une ratification du vote de désignation du premier secrétaire sera soumise aux militants. Si un congrès sera convoqué.

Faut il craindre à ce point de donner la parole librement aux militants ?

Trop d’interrogations à mon sens pour un parti qui se veut démocratique. Trop de choses décidées déjà en coulisses, dans le secret de quelques uns.

La séance s’ouvre vers 17h45. L’ordre du jour est enfin annoncé. Le CN votera bien pour l’élection du premier secrétaire. Il y aura une présentation préalable des candidatures ( ?), un débat général qui suivra ; Puis un vote.

Une motion d’ordre est immédiatement déposée. Demande d’organisation d’états généraux pour donner la parole aux militants. Demande de tenue d’un congrès pour élire un premier secrétaire ; Demande de mise en place d’ici là d’une direction collégiale.

Cette motion d’ordre va dans le bon sens. Je décide de voter pour, comme un peu moins de 40% des membres du CN. Elle est donc rejetée.

On en arrive assez vite à la présentation des candidatures. Celle de Jean Christophe, sans surprise. Celle du jeune premier fédéral de la Nièvre depuis 2011, Sylvain Mathieu, issu d’une famille de gauche du Morvan. Je découvre ce militant de 38 ans à la tribune. Je n’étais pas informé de sa candidature au préalable.

 Jean Christophe vient au micro. Il annonce une feuille de route en 6 points pour le Parti. La convocation d’Etats généraux. Une bonne chose. En revanche la perspective de l’organisation du congrès est repoussée à l’automne 2015. Pourquoi attendre si longtemps ?.

 «L’entre soit »dans lequel vit le parti est fustigé. Mais l’inflexion sociale de la ligne du gouvernement n’est qu’effleurée, sans que l’on sente la volonté réelle d’autonomiser un tant soit peu le parti.

 « Pourquoi voulez vous qu’à 62 ans j’entame une carrière de béni oui oui ? » lâche plein de malice un Jean Christophe jouant habilement des références au gaullisme et de son art consommé de la formule.

 Cette intervention me laisse partagé.

 Certes la feuille de route est ambitieuse sur le papier. Jean Christophe à l’expérience et le sens politique nécessaire pour répondre à la situation de détresse dans laquelle les militants sont plongés. Il sent les remous de la base. Mais faut il croire à la rénovation du PS quand elle est décidée sans que les militants ne soient convoqués en congrès ? les états généraux permettront ils d’interroger la ligne suivie au gouvernement ? Fallait il accélérer à ce point la convocation de ce CN sans prendre le temps de donner un ordre du jour et une procédure précise pour la désignation du premier d’entre nous ?

 Sylvain Mathieu monte à la tribune. Il parle avec sincérité de son engagement socialiste ; il se présente comme le représentant des militants. Sylvain rappelle les engagements du Bourget. « les gens de gauche ne nous ont pas élu pour mener la politique que nous conduisons ». « Notre électorat nous a laché ». Il demande la mise en place d’une direction collégiale et l’organisation d’un congrès.

 19h. Le vote a lieu à bulletin secret.

 Je prends le temps de m’isoler. De réfléchir. De mesurer les termes de la délibération du Conseil fédéral pour coller au mieux à la ligne définie en collectif. Nous n’avons pas parlé des deux candidatures ce dimanche, puisqu’elles n’étaient pas connues. Je devrais donc décider en conscience.

 Je sors prendre l’air. Les journalistes à la surface sont en train de préparer leurs caméras pour croquer les premières réactions du futur premier secrétaire.

 Après avoir respiré un bon coup l’air frais de ce mois d’avril, je redescends au sous sol voter.

Ma conviction est faite : ce sera l’abstention. Je ne peux pas voter pour Jean Christophe qui n’a pas convoqué de congrès alors que c’était le souhait unanime des membres du CF. Je ne doute pas de sa volonté de redresser le PS. Mais je sens qu’il sera cadenassé par le présidentialisme de nos institutions. Ecrasé par l’Elysée et Matignon. Trop peu d’engagements politiques sur l’inflexion sociale souhaitée par les membres de notre conseil fédéral.

Je ne voterai pas pour Sylvain, même si au fond j’en avais le désir : sa candidature surprise a été préparée au dernier moment ; je ne suis pas sûr que ce serait rendre service au Parti et à ce jeune militant courageux de lui confier les rênes du PS dans la situation où nous nous trouvons. Je pense en revanche que le fond de son intervention était juste ; Qu’elle est l’expression d’une majorité de militants.

 C'est une abstention aiguillon : nous ne sommes pas des béni oui oui.

 C’est aussi une abstention vigilante : au congrès de l’automne 2015 si le PS ne s’est pas redressé, je ferai des choix tranchants.

 C’est une abstention responsable : je souhaite bonne chance à Jean Christophe, élu par un peu plus de 60% du CN.

 La direction nationale qui est annoncée nous livre deux bonnes nouvelles pour nos amis de la fédération : Corinne Narassiguin devient porte parole. Je me réjouis pour notre camarade qui trouve un rôle à sa mesure. Philip Cordery devient responsable des questions européennes : c’est la récompense de la compétence et de la conviction pro européenne de tous les instants. Un regret cependant : Pouria Amirshahi quitte la direction nationale et la francophonie et la coopération perdent ici un camarade pétri de talent et qui paye là sa liberté de ton critique.  

 Je quitte le CN dans l’air frais de ce soir d’avril sur Paris. Je passe devant l’assemblée nationale puis j’arrive boulevard Saint Germain à côté de Solférino, non loin de la rue de Varennes où siège le premier ministre.

 La géographie parisienne nous livre une leçon politique : le pouvoir en France est très, trop, concentré. Redonner un rôle au Parti, redresser le pays, c’est accepter de déconcentrer et décentraliser le PS : redonner la parole aux militants sera le premier acte fort pour stopper l’hémorragie des effectifs et redonner de l’espoir à ceux qui militent et continuent à se battre. Des états généraux en 2014. Vite. Et un congrès en 2015.

 Nous jugerons sur actes la nouvelle direction et le nouveau Premier secrétaire.

 Affaire à suivre

 Boris Faure 1er secrétaire fédéral de la Fédération des français de l'étranger du PS. Membre du Conseil national

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