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Billet de blog 19 avril 2014

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Le Sous Marin ou la vie en cabinet (épisode 2)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La vie par trois mille mètres de fonds dans une boite d’acier offre de grands moments de solitudes. La vie en cabinet c’est pareil. Le récit de trois  grands moments de désarroi  et d’émotion :

  • Quand écrire un discours revient à vider le tonneau des Danaïdes :

21H30 au cabinet. Je livre enfin la 6eme version corrigée du projet de discours prévu pour le lendemain. Cette fois ci j’en suis sûr c’est la bonne. Pas un mot de trop. Les citations qui font mouche sont là. J’ai donné le meilleur de moi-même. J’envoie le cœur battant ma copie par courriel. La réaction ne se fait pas attendre : je suis convoqué dans le bureau de la ministre séance tenante. Je redresse la tête tel un chien fidèle prêt à recevoir un sucre de son maître. Le verdict tombe : tout est à revoir. Rien ne va. Je suis renvoyé à la niche qui me sert de bureau. Il faut tout recommencer. Il y aura donc,  péniblement écrite, une 7eme puis une 8eme version au petit matin blême. Au moment où le discours est finalement prononcé devant un parterre d’Ambassadeurs étrangers et tout ce que Paris compte d’amis de la Francophonie, je découvrirai finalement une 9ème version ressemblant furieusement à la V1 du discours. Tout ça pour ça. Solitude du conseiller ministériel.

  • Avant l’heure c’est pas l’heure :

14H50 au cabinet un jeudi : tout le monde est sur les dents. La ministre est attendue aux Questions aux gouvernements au Sénat pour répondre en séance à  une sénatrice écologiste. Même si le chauffeur de la ministre est un as du volant, même si le gyrophare fait des miracles quand la circulation est ralentie, cela va être sportif d’arriver à l’heure au Palais du Luxembourg.  14H57 : nous partons enfin du Quai d’Orsay et je m’apprête déjà à assumer la honte d’une ministre absente quand son tour viendra de répondre. Mon téléphone sonne : « Vous en êtes où ? on vous attend ». C’est la conseillère de Vidalis, ministre aux relations avec le parlement, qui s’inquiète légitimement de ne pas voir la ministre déjà installée sur les bancs réservés aux membres du gouvernement ; Je mens bien sûr effrontément, pour protéger ma ministre « on est parti depuis 10mn au moins, on est pas loin, on arrive ». 15H05 : la même conseillère « envoie moi ta réponse par courriel. On la fera lire par Pascal Canfin ». Horreur et malheur. 15H10 : la berline débouche dans la cour du sénat. J’ai bu trois cafés de trop. J’ai la nausée. J’arrive tout de même à donner le bras à ma ministre pour lui faire monter plus vite les 70 marches qui conduisent à l’hémicycle.  Tout est fichu, Canfin doit déjà être en train de faire résonner la réponse ciselée comme de l’orfèvrerie fine par mes soins.  15H12 : ma ministre débouche enfin dans la salle, accompagnée par un huissier à chainette. Miracle parlementaire : Jean Marc Ayrault ayant pris le temps de répondre longuement à une interpellation de la droite, la ministre débouche juste à temps sur le banc pour répondre à la sénatrice. Je m’écroule en sueur sur une des épaisses banquettes rouges du sénat. Tout ça pour ça. Solitude du conseiller ministériel.

  • Ecrire un discours au Kivu sur un clavier suédois :

Le convoi débouche dans un épais nuage de poussière dans la cour de l’hôpital de Panzi au Sud Kivu. Le docteur Mukwege,  ce « docteur qui répare  les femmes »   victimes de viols est là pour accueillir la ministre et la première dame de France qui ont fait le voyage depuis Paris pour apporter de l’aide humanitaire et soutenir celui dont la tête est mise à prix par les groupes armés soutenus par le Rwanda.  Le moment est solennel et émouvant :  Ces femmes qui ont eu à subir les pires outrages entonnent des chants joyeux et invitent les personnalités françaises à découvrir les bâtiments où se trouvent plusieurs centaines de victimes de la barbarie des hommes. Ici on soigne les corps et les âmes blessées. Ici on résiste sous la protection des troupes de l’ONU, face à des milices qui terrorisent les populations de cette région de l’Est de la République Démocratique du Congo.

Je n’ai pas le temps de rester avec la délégation ministérielle. La ministre a corrigé jusqu’au dernier moment les épreuves du discours qu’elle doit prononcer quelques minutes plus tard devant le personnel de l’hôpital et les représentants du corps diplomatique. Je dois donc trouver un ordinateur pour procéder à la mise au propre. On m’ouvre les bureaux attenants et je découvre un mac flambant neuf qui, hélas, comporte un clavier…Suédois. La course contre la montre est enclenchée. J’ai une dizaine de pages à retaper. La ministre a copieusement caviardé mon projet de discours. Je m’escrime sur le clavier sous le regard compatissant d’une jeune doctoresse blonde que mes efforts et mon stress manifeste attendrissent. Les caractères suédois sont comme des barbelés qu’il s’agirait d’éviter. C’est comme si les fautes de frappes m’écorchaient les doigts. Je suis en surdose de stress. En « Sur Stress » suédois. Enfin, après avoir lutté un bon quart d’heure avec le clavier et alors que l’imprimante crache enfin la dernière page du discours, je fonce à l’extérieur du bureau climatisé pour retrouver la chaleur de la cour de l’hôpital où la délégation arrive. Le discours sera prononcé avec une manifeste émotion. 

 je me suis depuis promis d'apprendre à parler le Suédois. Pour dire merci à la doctoresse de m'avoir prêté son portable. Pour lui dire surtout merci d’aider le docteur Mukwege à continuer inlassablement à « réparer ces femmes » victimes de la barbarie des hommes.

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