"Projet de loi asile et immigration. Attention matière radioactive - Nos devoirs de gauche"
Qu'il est devenu difficile de débattre sereinement en France de "ces sujets qui irradient". L'immigration. L'asile. Comme avec les matières radioactives, il faut plonger nos esprits dans la grande piscine d'eau froide de la raison pour commencer à y voir plus clair sur le sujet et ralentir le réacteur nucléaire des passions mauvaises qui polluent le débat depuis que le FN a imposé dans les années 80 ces thèmes au coeur du débat national.
Premier constat : On peut être d'un grand réalisme et totalement favorable à l'immigration. La loi de 1927, portée par le gouvernement Poincaré, loi "référence" car favorable à l'immigration et qui pose l'assouplissement des conditions de naturalisation, se fait dans un contexte où la France cherche à attirer les travailleurs pour renforcer son économie alors que les USA dans le même temps commencent à appliquer des quotas stricts et ferment peu à peu leurs frontières. C'est la peur du déclin démographique qui milite alors pour le recrutement d'une main d'oeuvre étrangère. Toute politique migratoire doit donc s'entendre comme une politique pensée à l'échelle globale, pour se placer à l'échelle de flux migratoires qui ne connaissent pas de frontières.
La France de 2018 doit stimuler sa démographie de peuplement. Même si notre démographie demeure plus élevée qu'en Allemagne, elle connait un tassement. Le leadership européen c'est aussi celui de l'accueil, ce n'est pas le concours Lépine des mesures de fermeture. De manière réaliste, nous avons toujours besoin d'immigrés en France. Pour des raisons économiques, politiques et humanistes.
Comme l'écrit Ouest France dans un article daté du 16 janvier 2018 "le solde naturel (différence entre le nombre de naissances et de décès) : +164 000 personnes.Ce nombre est néanmoins « historiquement bas », précise l’institut dans son bilan démographique, qui n’a pas de soldes naturels aussi faibles « depuis l’après-guerre »"
En clair, la France voit un coup d'arrêt à ce ce qui était sa dynamique au niveau européen, sa natalité soutenue, son solde naturel avantageux, qui faisait de la France une championne européenne de la démographie. C'est un coup de semonce important. Desserrer l'étau des contrôles migratoires, naturaliser et s'ouvrir d'avantage à l'immigration, pourrait s'imposer rapidement comme des solutions pragmatiques pour retrouver de bonnes performances démographiques et éviter le spectre d'un déclin démographique "à l'allemande".
Deuxième constat : Etre de gauche au 21ème siècle c'est toujours veiller à l'équilibre entre devoir absolu d'ouverture ( nécessité philantropique, impératif juridique d'asile posé par les textes européens et internationaux) et réalisme propre à l'exercice (limites des capacités d'accueil de chaque nation, logique de sécurité).
Si l'on regarde les principales lois adoptées en matière d'immigration ces trente dernières années, la gauche a plutôt cherché à assouplir les critères d'accueil plutôt qu'à les fermer. La loi Guigou de 98 corrige ainsi les excès des lois Pasqua de 93. Si l'on regarde la dernière loi sur l'immigration adoptée en France, la loi de 2016, elle introduit une mesure "d'l'immigration choisie" grâce à "l'introduction du passeport talent" (pour les chercheurs, les artistes etc...) sans révolutionner l'architecture législative globale sur le sujet. Si la gauche sous le quinquennat précédent, a faillli, c'est sur le plan symbolique avant tout : La déchéance de nationalité pour les binationaux post attentat de novembre 2015 reste le symbole absolue d'une gauche dévoyée qui emprunte une mesure défendue jusque là par la droite sarkozyste notamment. Mais la mesure dans ses effets a toujours été très limitée : La déchéance existe depuis 1927. Le nombre de personnes frappées de déchéance au plan national est ridiculement faible depuis toujours.
Et le projet de loi Collomb me direz vous ? en gardant un regard froidement chirurgical, disons qu'il marque un net recul pour le droit d'asile. Qu'il durcit. Et entretient les ressorts de la peur de l'invasion dans l'opinion. Non la France n'est pas menacée par le grand remplacement. Pas plus que par le grand débordement de vagues de réfugiés envahissants. La France fait seulement son devoir d'accueil. Et à minima. Elle le fait plus mal depuis les circulaires Collomb de décembre qui crispent et ne donnent aucunes solutions de gestion de l'accueil des réfugiés.
En conclusion,
Il est impératif que la gauche refuse de se laisser embarquer dans des débats "symboliquement" pollués. Nos valeurs nous interdisent la confusion idéologique.
Etre digne. Ouvert aux autres. Courageux. Sans sombrer dans l'angélisme (mais qui peut l'être encore dans une époque de menace terroriste quasi-banalisée ?). Réalistes pour valoriser le besoin d'immigration qui peut être une solution plus qu'un problème. Voilà nos vrais devoirs.
Boris Faure
Conseiller consulaire des Français de Belgique
1er secrétaire fédéral de la Fédération des Français de l'Etranger du Parti Socialiste.
PS : Sur le sujet, je ne saurais trop conseiller la lecture de "l'histoire mondiale de la France" sous la direction de Patrick Boucheron. Une somme. et notamment l'article consacré à la Loi de 1927.