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Billet de blog 28 août 2014

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Inside l'école - Le Hussard Noir de colère - Lettre ouverte d'un professeur qui ne dort plus la nuit

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce soir, lecteur de Médiapart, je vais m'adresser à toi les yeux dans les yeux.

Regarder mon écran, c'est te voir.

J’ai envie de t’adresser une lettre ouverte. Tu sais bien, une lettre ouverte ! Le genre « missives enflammées » que les citoyens en colère écrivent généralement à leur ministre de tutelle…Quand ils ne sont pas contents de la politique suivie.

Quand leur feuille de paye n’a pas pris une ride depuis 10 ans. Qu’elle présente toujours la même face, inchangée, au niveau du salaire net.

Quand le petit cousin ne trouve toujours pas de travail malgré son BTS.

Quand « ils » suppriment des trains sur les lignes de TER et que y a pas de Vélib en Saône et Loire.

Quand « tout fout le camp (de Scout) », quand « y a plus de saison scolaire », quand « si j’étais pas de gauche, je voterai Marine »…

Je vais te raconter ton histoire ce soir.

Toi, Tu ne dors pas.

Tu en veux à Hamon de s’être esquivé pour partir en vacances avec son pote Nono. Alors que toi t’es en Zone B. Que c’est le 18 octobre que sonnera l’heure de ta libération de la classe et des enfants qui te prennent en otage (dis-tu). Et que les enfants de 2014, c’est plus ceux que t’as connu en 2000. C’est pas qu’ils étaient foncièrement différents y a 14 ans. Ils peinaient déjà sur l’orthographe. Et toi tu passais déjà tes soirées à corriger les fautes sur les copies, et à expliquer les règles de grammaire dans la marge.

T’es en colère. Parce que tes enfants de 2014, tu ne les comprends plus. Tu n’arrives plus à les éduquer, toi qui est toujours, au fond, bien au fond,  un hussard anonyme. Noir de colère. T’y crois à ta vocation éducative quasi divine. Quand t’es sorti de ce qui s’appelait encore l’IUFM. En septembre 2000. Tu ne connaissais pas encore Frangy en Bresse. Impossible de le placer sur la carte de ton territoire personnel. Et pourtant c’est là-bas que t’as obtenu ton premier poste. Et que tu es demeuré. « Si tu viens pas à Frangy. Frangy viendra à toi » comme le disent certains anciens.

Lis –moi. C’est ton histoire que je raconte. Celle d’un homme qui écrit  une lettre ouverte à son ancien ministre.

#Inside #LeHussardNoirdecolèreProf.

                                                        Frangy en Bresse, .    1h36

Cher Benoit Hamon,

Je suis professeur de Lettres modernes. Je travaille au Collège du Bois des Dâmes. Près de Frangy en Bresse.
J’étais là dimanche. J’étais un de ses anonymes qui était dans la foule venue nombreuse pour vous écouter, avec le ministre de l’économie, Monsieur Montebourg.

Je vous le dis sans fard. Je ne décolère pas. Ma colère est viscérale. Vous nous avez abandonné en rase campagne. C’est une désertion.

Mardi, je serai pourtant sur le pont. Pour accueillir de nouveaux enfants. Ceux de la République scolaire. Cette République née de Ferry. Et vous vous ne serez plus là.

La situation vous la connaissez pourtant. Elle est sinistre. Mot trompeur d’ailleurs, car on peut se remettre d’un sinistre domestique. Reconstruire après la crue sa maison.

Notre maison commune, l’école, connait la crue sans fin de l’échec scolaire. C’est un sinistre définitif.

L’échec scolaire. Oui. De plus en plus précoce. De plus en plus profond.

 Quitter l’école à 14 ans, sans bagage, c’est prendre le train de l’éxil. L’exil intérieur dans une République scolaire qui s’enlise dans ses conservatismes.

 L’échec de notre système éducatif, c’est l’échec de l’apprentissage des savoirs fondamentaux.

 Notre enseignement, trop académique, reste au fond inchangé depuis Ferry. Un professeur sur l’estrade. 30 enfants qui l’écoutent avec des yeux ronds. Avec des yeux éteints. Avec des yeux vides.

Je n’en peux plus de voir ces regards vides à longueur de temps et de trimestre.  C’est une hantise quotidienne que d’être rattraper par ces regards fantômes.

La nuit, le regard de ses enfants perdus de la République, les enfants de l’échec scolaire, sonnent l’hallali.

C’est la raison de mes insomnies. Car je dors peu et mal depuis quelques mois.

 Car, c’est le mal est en croissance.

Ils sont de plus en plus nombreux à sortir rapidement de l’école avec une « Dés – agrégation » de Lettres.

Notre école crève de ses conservatismes. De ses programmes qui changent tout le temps, pour des résultats qui eux, ne changent jamais. Elle crève de ses enseignants qui refusent l’innovation, car elle leur rappelle trop leur difficulté à porter des rêves, eux qui les ont souvent perdus sur le chemin caillouteux de leur carrière. Des carrières pierreuses. Semées d’embuches. Et qui conduisent à la retraite de nos illusions quand sonne l’heure  d’en finir.

Les enfants des milieux populaires font  les adolescents de l’échec scolaire. Réalité irrémédiable. Irrépressible. Comme l’hiver succède à l’automne.

Monsieur le ministre, je n’ose le dire, mais je vous en veux beaucoup.

Jeune. Admiré pour votre capacité à rouvrir des dossiers qui semblaient minés. Pragmatique. Volontaire. Vous aviez les qualités nécessaires pour déplacer le Mamouth.

Ce Mamouth, vous n’avez pas voulu, vous, le dégraisser, mais au contraire le nourrir.

Une société n’a jamais trop  professeurs. Même si certains de mes collègues fonctionnaires, travaillant dans des administrations sous contraintes budgétaires, nous envient et parfois nous jalousent, ces 60 000 postes en plus, ne sont pas des postes en trop. Mais l’état d’esprit de ces nouveaux recrutés, est un état de guerre.

Entendez, Monsieur le Ministre, la marche sourde de ces hussards en colère. Qui viennent rejoindre les rangs, des vieux grognards, qui, comme moi, sont des hussards noirs de leur souffrance.

L’échec de ces enfants, c’est notre échec. Nous le portons comme une croix laïque qui serait accrochée à notre cou. Nous trainons la mine basse à chaque fin d’année. Quand nous voyons « les décrocheurs » finalement décrocher.

Monsieur le ministre,

Je vous adresse ce soir cette lettre ouverte. Car je ne dors pas. Je ne dors plus. Mes nuits sans rêve succèdent à mes journées sans trêve sur un front éducatif où nous perdons toutes les batailles.

Monsieur le ministre,

Vous êtes déjà loin. Et notre échec lui est toujours près de nous, il nous guette comme un monstre qui épouvante les enfants. C’est un ogre malveillant, car il semble affamé. L’ogre de l’échec scolaire va encore dévorer des enfants cette année.

Ce sera une année longue, une année de peine.

C’est parce que la flamme fragile de l’espoir d’éduquer ne s’est pas encore éteinte tout à fait, que je vous adresse cette lettre. Qui ne vous parviendra pas. Mais qui me permettra d’entretenir la flamme encore, avant que ne vienne la suie.

Avec l’expression de mon profond respect républicain. Et mes regrets de votre départ vous en qui je plaçais tant d’espoir.

Un professeur en colère qui ne dort plus la nuit.

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