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Billet de blog 30 novembre 2017

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une offensive idéologique contre l'agence pour l'enseignement français à l'étranger ?

Le renforcement de la privatisation de la gestion du réseau d'établissements pour l'enseignement français à l'étranger est-elle en préparation? Chercher à décrédibiliser la gestion de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger en lançant fausses rumeurs, informations fallacieuses ou approximatives sur sa gestion semble être la 1ère étape de la réforme.

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Une vilaine rumeur mensongère se répand insidieusement dans les coulisses de l'assemblée nationale et des cabinets ministériels ces derniers jours : Créée et diffusée par des députés de la majorité LREM représentants les français de l'étranger, elle vise à décrédibiliser la gestion publique de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, opérateur du ministère des affaires étrangères, qui gère un vaste réseau de presque 500 établissements scolarisant plus de 300 000 élèves français et étranger dans le monde...

"Calomniez il en restera toujours quelque chose", nous disait Beaumarchais.

Quand on saisit l'opinion publique de questions budgétaires, et quand on parle "chiffres", il est si facile de multiplier les approximations ou les bêtises sans être contredit... Le néo-poujadisme des partisans de la privatisation de pans entiers de l'Etat, celui des "bébés Darmanin" qui voudraient tailler dans les effectifs de fonctionnaires sans discernement, semble avoir des émules dans les rangs de LREM à l'étranger (LREM a fait élire 10 députés sur les 11 circonscriptions de l'étranger aux élections de Juin)...

L'A.E.F.E. souffrirait donc ainsi de "mauvaise gestion" comme l'écrit sans s'embarrasser de grande précaution stylistique la député Anne Génetet qui représente les français d'Asie, d'Océanie et de Russie.

Même son précédesseur, le député Thierry Mariani, peu connu pour son sens diplomatique,  n'avait osé aller si loin...

Mme Paula Forteza (Français d'Amérique centrale et du Sud) l'affirme aussi, péremptoirement,  sur son blog "l'agence connaît des soucis de gestion comptable depuis quelques années, ce qui l'oblige à mener une restructuration pérenne"...

D'autre apprentis sorciers de la gestion privée, tels les députés Frédéric Petit (Français d'Allemagne et d'Europe centrale) et Alexandre Holroyd (Français d'Europe du Nord), diffusent également d'autres informations profondément fallacieuses :

Holroyd, dont le passage dans un cabinet de conseil aux Etats-Unis semble lui avoir donné une matrice de pensée à la texane, avait dès cet été évoqué les "économies colossales" qui pouvaient être réalisées au niveau du ministère des affaires étrangères (et on imagine de ses opérateurs). Gestion budgétaire en santiag le colt à la main, sans doute. Évidemment, aucun début de proposition à l'appui. Donnons l'Etat et sa gestion en pâture à l'opinion publique. Puis ensuite, courage, fuyons.

M Frédéric Petit répand quant à lui l'information fausse que la baisse brutale de crédits décidée cet été par le gouvernement (-33Millions d'euros amputés sur le budget de l'AEFE, une baisse sans précédent) ne concernerait que les autorisations d'engagement et pas les crédits de paiement et serait donc en quelque sorte, indolore... M Petit étant membre du conseil d'administration de "Campus France", on lui conseillera donc de retourner sur les bancs d'une bonne fac' de gestion afin de parfaire ses connaissances budgétaires et comptables. On se demande en tout cas où il a déniché cela (rien ne le laisse entendre dans aucun document budgétaire diffusé par l'Agence ou par ses administrations de tutelle).

Samantha Cazebonne (Français d'Espagne, Portugal, Andorre et Monaco), nous fait le coup de"l'héritage", un "grand classique" et renvoie quant à elle les difficultés actuelles de l'Agence et la coupe de subvention afférente, aux efforts demandés par la Cour des comptes et au budget supposément "insincère" laissé par les vilains socialistes après leur départ des affaires...

Mme Cazebonne, Ex chef d'établissement et proviseur d'un lycée français à Palma de Majorque,  semble cependant une des rares dans les rangs LREM à posséder une expertise sur le sujet AEFE.

Le secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères,, Jean-Baptiste Lemoyne évoque quant à lui des "recettes" de 64 millions d'euros qui seraient bloquées dans un certain nombre d'établissements à l'étranger (en Tunisie, Algérie, Maroc etc...), laissant penser à un gisement de recettes nouvelles découvertes comme par magie par la nouvelle majorité.

Jean-Hervé Fraslin, conseiller consulaire à Madagascar et membre de l'Assemblée des français de l'étranger, "Marcheur" de océan indien, s'inquiète quant à lui du déficit de 116 millions d'euros de l'agence cette année et semble convaincu que les salaires des expatriés pèsent grandement dans la balance et qu'il faut s'y intéresser de près... Un fonctionnaire, n'est-ce pas, cela coute toujours beaucoup trop cher.

Alors où est la vérité budgétaire dans tout cela ?

- Un déficit  qui reste problématique  :

Le déficit prévisionnel de l'AEFE pour 2017 est pour l'heure de 116 Millions d'euros (chiffre du Budget rectificatif numéro 2 voté au dernier conseil d'administration du 27 novembre) : Il intègre les  -33 millions de coupe brutale des crédits décidée par Bercy et le ministre Damanin cet été.  Il comporte 68 M d'investissements. Hors coupe budgétaire exceptionnelle et investissement ,le déficit de fonctionnement serait  donc  ramené à 15 Millions.  Il y a là un déficit chronique lié à l'incapacité de l'Etat ces dernières années à financer grâce à des ressources publiques le développement d'un réseau, "victime de son succès". 

Car l'enseignement "à la française" attire : Le réseau connait une hausse annuelle de ses effectifs d'élèves de 2%. La qualité pédagogique des enseignements est reconnue (taux de réussite au Bac de 96% et nombre de mentions incalculables....)

Même si la scolarité coute en moyenne 5300 euros dans le réseau, il est encore considéré comme "abordable" au regard des tarifs pratiqués dans d'autres réseaux internationaux d'enseignement, et notamment dans les réseau des établissements américains ou britanniques.

Il est jugé "abordable" car la France consacre par ailleurs 103 millions d'euros pour favoriser la démocratisation à son accès. 25657 élèves bénéficient d'une  bourse, soit environ 1 élève sur 5 scolarisé dans un des établissements du réseau à l'étranger.

- Des recettes bloquées qui ne sont pas des recettes nouvelles  :

Les 64 Millions d'euros évoqués par le secrétaire d'Etat Lemoyne, ne sont en réalité que de 48 millions d'euros (chiffre cité par l'Agent comptable de l'AEFE au CA du 27 novembre), et ne constituent en rien une recette nouvelle.

Clairement identifiés (et titrés) dans la comptabilité de l'Agence, ils constituent un "manque" en trésorerie, mais sont déjà intégrés dans les comptes de l'Agence, comme "recette en attente d'encaissement".

L'absence de remontée vers les caisses de l'agence est liée aux problèmes de changes  (monnaies non convertibles) et de fiscalité fixe (ces recettes prélevées par les lycées français dans des pays étranger pourraient être soumises à une taxation des autorités locales) et des solutions doivent être trouvées, en coopération avec les autorités locales, pour résoudre cette problématique existant déja depuis plusieurs années. C'est donc autant un sujet diplomatique que de trésorerie qui se pose ici.

Le déficit, pour l'instant prévisionnel (le déficit réel est connu après la clôture des comptes de l'année), est  lié avant tout à l'incapacité de l'Etat à financer par des ressources publiques le développement d'un réseau qui connait chaque année une hausse de ses effectifs d'élèves de 2%/

L'Etat  a également du mal à assurer le financement des projets immobiliers (construction et rénovation soit 135 millions d'euros de programmation pluriannuelle) et ne le fait, en grande partie, que grâce à des prélèvements sur son fond de roulement. Au delà de 2020, le financement public des projets immobiliers n'est plus assuré.

Enfin, le "glissement vieillesse technicité" (GVT) lié à la masse salariale d'une agence AEFE employant 6169 agents publics détachés (sans compter les agents employés sur des contrats locaux), provoque mécaniquement le creusement du déficit alors que la dotation publique versée à l'agence est en baisse depuis plusieurs années (2014 : 411 M€, 2015 : 402 M€, 2016 : 395M€, 2017 : 354M€ ).

La masse salariale compte pour 786M€, représentant 71% du budget et on voit donc que la dotation publique ne couvre même pas 50% de cette dernière.

Le réseau est donc, pour l'heure, déjà largement financé par des ressources privées (les frais d'écolage des familles et autres recettes propres représentent 53% du budget de l'AEFE).

L'enjeu de la réforme : Préserver l'opérateur public d'abord.

L'enjeu de la réforme, qui semble inévitable, sauf à ce qu'enfin une volonté politique forte s'attache à refinancer ce réseau par des ressources publiques à la hauteur, est de préserver un fonctionnement "en économie mixte", où le coeur de la gestion de ce réseau restera public :

Un opérateur public est le "gardien" de la coordination pédagogique d'ensemble, pour un enseignement de qualité, avec une formation des personnels harmonisée. 

L'opérateur public offre des "gardes fous" en terme de gestion R.H. :  Avec une gestion des personnels encadrée par des règles statutaires (pour les fonctionnaires détachés) ou des cadres d'emplois restant globalement harmonisés (pour les agents employés selon des contrats locaux).

Avec des processus de gestion associant les familles (à travers leurs représentants dans les conseils de gestion pour les établissements conventionnés), les agents d'encadrement (DAF et chefs d'établissements) et les autres partenaires locaux (représentants des personnels...). Les "dialogues de gestion" engagés dans les établissements du réseau se déroulent globalement positivement.  Les conseils d'établissements offrent aussi informations et moment de débat dans une culture "concertative" qu'il faut préserver, les parents étant considérés comme les "principaux partenaires" du réseau.

Enfin, préserver la gestion de ce réseau par un opérateur public c'est se donner les moyens d'assurer la mise en oeuvre de "mécanismes redistributifs" des ressources, notamment vers les établissements fragiles, sous forme de subvention, mais aussi à travers une carte des emplois détachés (postes de résidents et expatriés)  pilotée depuis l'Agence.

La qualité du "service public de l'éducation " à l'étranger, dépend grandement de ces différents paramètres.

Les bourses, enfin, pour un montant avoisinant 103 millions d'euros, restent le principal mécanisme pour favoriser  la "mixité sociale" des élèves. Réajuster les critères d'attribution serait nécessaire pour éviter l'éviction de familles de la petite classe moyenne notamment, qui voient les "restes à payer" de frais d'écolage, après bourse, encore trop importants.

L'opérateur public AEFE doit donc rester au coeur de toute réforme de ce réseau qui réclamera plus que des déclarations fracassantes. Un travail de concertation avec tous les acteurs attachés à ce magnifique outil de notre rayonnement éducatif et francophone devra être enclenché dans la transparence et le respect des points de vue de chacun.

Illustration 1

Boris Faure

1er secrétaire fédéral

Fédération des Français de l'Etranger du PS.

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