POUR UNE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE FÉDÉRALE
par Gérard BOUQUET
Vice-président du Parti Fédéraliste Européen – France
Conseiller municipal de Schiltigheim et de l'Eurométropole de Strasbourg
« La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire »
Cette affirmation de François Mitterrand en 1981 et qu'on retrouve dans l'exposé des motifs du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Loi NOTRe), garde toute sa force, à un moment où la structure institutionnelle, qui a fait la force du pays, est en train de le scléroser et où les réformes restent d'une grande timidité.
À l'heure où certains s'envoient à la figure des mots qu'ils jugent insultants pour l'autre, comme « jacobins » ou « autonomistes », il est temps de dépasser ce débat et de proposer une synthèse entre les valeurs de la République et le respect des cultures régionales historiques.
La réforme territoriale, avec la création de régions de stature européenne, est une chance qui doit être utilisé pour aller vers un approfondissement des pouvoirs des régions et une forme de fédéralisme interne.
Mais, au delà de freins institutionnels et corporatistes, cette évolution ne sera possible que dans certaines conditions.
L'unicité des institutions locales
Une France fédérale ne doit pas être un conglomérat de structures disparates, qui mettrait en danger la citoyenneté française.
Décentralisation ne veut pas dire liberté d’organisation et de fonctionnement.
Il est donc indispensable que les institutions régionales soient uniformes et d'éviter des expérimentations, qui viseraient à dissoudre l'unité de la République.
Ainsi, les départements - échelons de proximité indispensables dans les grandes régions - et les métropoles pourraient devenir progressivement des subdivisions des régions, à l'image des Landekreise et Kreisfreie Städte allemands.
Les autonomies régionales devraient donc être organisées dans des institutions qui préservent l'égalité des citoyens.
Le Sénat doit devenir de manière claire, la Chambre de représentation des Régions, à l'image du Bundesrat allemand ou du Sénat américain.
L'imprescriptibilité des valeurs de la République
L'autorisation de symboles locaux (devises, drapeaux) ne doit pas mettre en péril la suprématie et le respect absolu des valeurs qui ont fait la République : son drapeau, sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité », et son principe fondamental d'organisation : la laïcité.
Une nouvelle constitution fédérale devra donc imposer le strict respect unitaire des symboles et principes, qui ont fait la force du pays et garanti la paix civile.
L'éloignement de la religion dans la sphère privée restera la règle, aucun nouveau privilège ne pouvant être accordé aux organisations confessionnelles.
Le statut religieux d'exception provisoire de l'Alsace-Moselle devrait être appelé à disparaître progressivement, afin de l'harmoniser avec le reste du pays.
Français langue de la République et bilinguisme
L'apprentissage d'une deuxième ou troisième langue, dès le plus jeune âge, est un avantage aujourd'hui largement prouvé.
Par ailleurs, il est indispensable de favoriser l’apprentissage de la langue du voisin, tant pour des raisons culturelles, qu’économiques.
Les structures bilingues doivent être favorisées, qu'elles portent sur un enseignement français-allemand, français-anglais ou sur d'autres langues ; français-arabe notamment.
L'impérieuse nécessité dans le monde moderne de devenir bilingue français-anglais, milite pour un apprentissage « à la luxembourgeoise », avec la généralisation, en Alsace-Moselle, de l'enseignement bilingue français-allemand dès la seconde année d'école primaire et français-anglais avant la fin du cycle primaire. Le même principe pourra s'appliquer dans les autres régions frontalières avec l'espagnol, l'italien ou le néerlandais
Ces décisions seront prises par les autorités régionales décentralisées, dans le cadre d'une indispensable déconcentration de l'Éducation Nationale.
L'usage de l'allemand comme langue administrative, objet du débat sur la ratification de la Charte Européenne des langues régionales, ne pourra être autorisé que comme langue secondaire, tout citoyen français devant avoir la garantie absolu de pouvoir réaliser ses démarches en français dans toutes les régions de la République.
À titre général sera banni toute ségrégation notamment professionnelle, reposant sur la connaissance des langues locales.
Lutter contre le centralisme en relançant l’aménagement du territoire
Au-delà des aspects culturels, l'argument principal qui milite en faveur d'une fédéralisation de la France, est de nature économique.
Le poids de Paris, tant du point de vue économique et démographique, que de celui des décisions, est devenu insupportable.
La création des nouvelles régions doit s'accompagner d'une relance forte d'un aménagement du territoire délaissé depuis trop longtemps, notamment en zone rurale.
Cette politique doit renforcer les régions et les métropoles dans l'ensemble des domaines :
- économique : recherche d'un report des entreprises à haute valeur ajoutée de Paris vers la province,
- culturel : décentralisation total des budgets,
- audiovisuel: création de pôles de télévision forts en région, décentralisation réelle de France 3 ou création en région de chaînes à audience nationale,
- transports : renforcement des aéroports et pôles logistiques régionaux, « nationalisation - régionalisation » des sociétés d’autoroutes, qui doivent revenir au domaine public,
- universitaire : rattachement des universités aux régions, allègement, voire suppression de l'Éducation Nationale au profit d’administrations régionales de l'éducation,
- santé : arrêt de la désertification hospitalière, rattachement des ARS aux régions.
D'une manière générale, l'aménagement du territoire doit repenser totalement les politiques qui conduisent à une désertification progressive des zones rurales, en limitant la sur-densification urbaine abusive et en pratiquant la subsidiarité régionale.
L'État échelon fédéral européen
La fédéralisation souhaitable de la France autour des nouvelles régions ne doit pas faire oublier, que l'objectif géostratégique est la création d'une Europe puissance fédérale.
Or, il est souhaitable que cette nouvelle structure ne soit pas un regroupement de confettis identitaires ou de territoires trop limités pour avoir une véritable efficacité.
Il serait dangereux et probablement inefficace de vouloir, limiter les pouvoirs des États au profit des régions.
Ce sont donc les États actuels qui deviendront à terme les États fédérés de l'Europe fédérale.
Une France fédérale, dans une Europe fédérale
Dans les deux cas, la clef de la réussite de cette idée en France, passe par la conscience que les Français auront du respect de leurs valeurs communes.
Ces valeurs doivent donc être clairement défendues dans les deux directions : vis-à-vis des régions et vis-à-vis de l'Europe.
Dans ces conditions l'évolution indispensable sera possible et rien ne s'opposera plus à l'abandon d'un centralisme destructeur.
Comme l'exprimait très bien François Mitterrand, la France pourra alors se renforcer sans se défaire.