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Billet de blog 9 octobre 2009

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Acoustic Pleasure

ACOUSTIC PLEASUREPerformance de Tal Beit-Halachmi & Pascal MaupeuLe mardi 13 octobre à 20h30 au Studio-Théâtre de Vitry-sur-seine 

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ACOUSTIC PLEASURE
Performance de Tal Beit-Halachmi & Pascal Maupeu
Le mardi 13 octobre à 20h30 au Studio-Théâtre de Vitry-sur-seine

"...me vint en songe une femme bègue,
aux yeux louches, aux pieds tordus,
les mains coupées, de couleur blême.
Je la regardais; et comme le soleil
ranime les membres froids engourdis par la nuit,
ainsi mon regard lui déliait la langue,
et la redressait tout entière,
en peu de temps, comme on veut l'amour,
et colorait son visage éperdu.
Dès qu'elle eut ainsi recouvré la parole,
elle se mit à chanter si bien qu'avec peine
j'aurais détourné mon regard d'elle.

« Je suis », chantait-elle, « je suis douce sirène,
qui charme les marins au milieu de la mer;
tant je donne de plaisir à m'entendre!
Je détournais Ulysse de son chemin errant
grâce à mon chant; et qui s'approche de moi
me quitte rarement, tant je l'enchante! ».

... »
Dante choisit comme monde pour la sirène le purgatoire.

Ils sont deux sur scène. La lumière oscille d'une intensité àl'autre. Presque imperceptible, un léger tremblement, une perceptiontremblante. Ce que nous voyons, le musicien et la danseuse assis àgauche.

Première vision

Elle, vêtue de noir, aux cheveux de feu se lève, elle se lève, commese lever est plonger. La scène se couvre de noir, seul reste éclairéson corps devant le micro, une île de lumière. Elle se tient immobile,et dans cette immobilité laisse fuir de ses entrailles Gloomy Sunday [ilparaît qu'un homme désespéré, nommé Seress et profondément désespéré,écrit ses paroles il y a quelques années. Mais il faut croire qu'il yeut plus désespéré encore, celle qui les inspira, paraît-il, les lu etse donna la mort]. La langue se délie pour mieux nous lier, lesouffle s'élève et nous voici déjà sidéré à cette bouche. Puis lesilence et la pénombre qui recouvre tout le corps. [la mélodie deGloomy Sunday fut interdite, son sillage sonore aurait eu le mêmemouvement que les voix des sirènes. Et beaucoup furent comme Boutès, deceux qui se jettent à la mer, et répondent à cet obscur désir.]
« Pourquoi la musique est-elle capable d'aller au fond de la douleur ? Car elle y gît.
Lechant qui se tient avant la langue articulée plonge – simplementplonge, plonge comme Boutès plonge – dans le deuil de la Perdue. »

Dans l'odyssée il est dit, les sirènes possèdent un savoir que les hommes ignorent, et dont elles leurs font la promesse.

Seconde vision

D'un visage à l'autre, notre regard s'inverse, il trouve sonaccroche sur le corps à l'écran, ce que je regarde me regarde. L'imagese greffe à l'espace mental, l'image me hante comme je la fabrique.Danse de Yehudith Arnon. Assise sur une chaise, corps fragile, chaquemouvement soulève quelque chose, déplace un peu d'air, contredit lagravité. Etre assis est difficile, être debout est difficile. Quedémène cette danse? « O prince de l'exil, à qui l'on a fait tord,/Et qui, vaincu, toujours te redresse plus fort »D'étranges forces sont en mouvement, les yeux de Yehudith les voient,elle se dresse et épuisée s'écroule sur la chaise. Nous la voyonsseule, mais notre regard fait défaut, ne voit pas suffisamment. Cettedanse qui agite le monde des morts afin qu'il viennent hanter le mondedes vivants.

« O Satan, prends pitié de ma longue misère! »
Prièreinversée, qui s'abaisse vers le monde des ténèbres, il n'y a plus quecet en-deçà, toutes idéalités réduites au néant du feu des armes,toutes idéalités empestées par l'odeur des corps affamés, brûlés.Profération dont l'épuisement fend la terre, ne nous laisse que sabéance. Et la chute de la danseuse terrassée par son propre chant,vidée de la présence qui s'était emparée de son corps. Alors au sol surle flanc gauche, mouvements des jambes plier replier jusqu'au ventre,des bras plier replier du ventre jusqu'à par dessus la tête. De cetappel insoutenable, de la danse des morts, le corps traverséirrésistiblement par les convulsions.
« Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os/De l'ivrogne attardé foulé par les chevaux, »

Troisième vision
aux pieds tordus,
les mains coupées

Entreterre et mer, boue et air, s'en suit une marche sur le bord, errancedécidée, les chaussures sur la lisière de l'ombre et de la lumière [cercle de lumière au sol ou île de lumière, c'est pourtant à l'eau qu'elle se jette] la danseuse échoue, sirène aux pieds tordus, dont la verticalité fugace [moitié du corps hors de l'eau et l'autre moitié bat de la queue dans les eaux] mouvement bifurque et fourche, langue bifurque et fourche, une femme bègue,
aux yeux louches
piedstordus et queue de poisson et corps d'oiseau, le mouvement de la sirèneest l'agitation du sens, une désorientation parce qu'elle offre tousles orients possible, plus qu'un sens directionnel, un sens sentant,une direction qu'elle dérobe pour toutes les autres. Langue fourche etbègue c'est la résonance plus que la raison, c'est une intensité de lalangue plus que son articulation, c'est pourquoi le texte d'AdrianaCavarero s'énonce d'abord, articulé puis il est comme vrillé par lemembre buccale de la danseuse, qui déchaîne les intensités, texte desvainqueurs et des vaincus, la victoire des uns, leur pouvoir est dit àquel point insupportable par les défaits, mais dans ce chants vrillésles victoires bien assises sont balancées par cette langue qui lesfaits sursauté, qui semant dans le logos sonore et corporelle,l'effroi. Et le corps vient dans sa défaite, un retour du fer et durefoulé. Ce qu'on a caché, soigneusement mis à l'écart, hors de la vueet des oreilles, nous fait face dans toutes sa monstruosité. Cet autre.une femme bègue,

Quatrième vision
Le volume sonore caresse l'espace, lemurmure des éléments, nous accompagne vers la fin des visions, ladanseuse qui s'est peu à peu reculée, jusqu'au fond de la scène, achèvesa venue, chaque pas mène à la disparition,
sur un écran noir, lenégatif de notre regard, le corps s'y presse, invente ses lignes. Nousvoilà seul, avec ses impressions, ses traces qui survivent au geste etappelle les gestes à venir

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Celle qui ôte le retour : Tal Beit-Halachmi
Particulessonores : Pascal Maupeu joue de la guitare « C'est alors qu'Orphéemonte sur le pont du navire et s'y assoit. Il pose sa carapace detortue sur ses cuisses. Il tend avec force les cordes... seul le bruitdu plectre »
Les Litanies de Satan de Charles Baudelaire
Le Purgatoire de Dante
Les correspondances secrètes d'Acoustic Pleasure : Boutès, de Pascal Quignard
Lespectateur un soir en novembre 2008 : « ...quitte le rang des rameurs,renonce à la société de ceux qui parlent, saute par-dessus bord, sejette dans la mer. »

Infos complémentaires :

Vendredi 9 octobre, samedi 10 à 20h30 et dimanche 11 à 16h, au studio-théâtre devitry-sur-seine vous aurez la possibilité de découvrir le travailde Tal Beit-Halachmi et de Benoît résillo : Twittle. TalBeit-Halachmi a participé comme assistante chorégraphique àplusieurs création de Bernardo Montet, elle est aussi danseuse dansla compagnie de B. Montet et chorégraphe.

Lien : En écoute sur la revue radiophonique A Bout de Souffle, entretien avec Tal Beit-Halachmi et Pascal Maupeu, à propos de la pièce Acoustic Pleasure.

Studio-Théâtre de Vitry-sur-seine

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