Juste de passage, fugitif, le temps et l'espace d'un instant vous laisser entrevoir ce qui oeuvre en secret dans notre ville de Tours.
Là n°1 Reprise culturelle from Delisle Fabien on Vimeo.
Que l'un de nous décide de vivre une expérience sensible qui ne soit pas ordonnée au type d'expérience sensible qu'il est supposé avoir d'après sa place dans la société, et c'est alors le pouvoir, celui de ceux qui ont pour mission de faire régner l'ordre de ce partage, qui se manifestera.
A Tours le Centre Chorégraphique National dirigé par Bernardo Montet a proposé à la population, à l'anonyme, croisé dans la rue même, de s'exprimer avec son corps devant la présence d'un seul témoin. Une expression du corps sans légitimité sociale, sans titre artistique ou de pratique amateur. Mais, et c'est sans aucun doute le tour de force de la proposition, le témoin, celui qui pouvait témoigner, c'est-à-dire attester de la réalité de cette expression, ne l'était qu'à condition que lui aussi, à son tour, s'exprime également devant un autre témoin. C'est le principe d'égalité de n'importe qui avec n'importe qui, sans lequel aucun commun n'est possible, qui fut éprouvé, et c'est ce principe-là que les tenants du pouvoir politique refusent d'accepter. L'accepter serait pour eux quitter la place du jugement et de l'évaluation qui est la leur, pour dialoguer d'égal à égal avec ceux qui vivent des expériences insoupçonnables. L'accepter serait de ne pas nier ce qui s'est joué dans cette suite d'expressions corporelles comme recouvrement de dignité, de déliaison des corps au rythme du monde et ainsi comme expérience d'un temps à soi, d'un rythme à soi, d'où un regard libre peut contempler le monde et en avoir une compréhension intime, une saisie singulière.
Que ceux qui détiennent le pouvoir politique n'admettent pas que chacun puissent avoir une conviction intime sur les choses, une conviction aussi vraie est légitime que n'importe qui, n'est pas étonnant. Car leur pouvoir se fonde sur la fable de l'élection démocratique qui fait croire à chacun qu'elle est l'expression d'un corps social divisible en parts où s'exprimeraient les points de vue des ouvriers, des employés, des commerçants, des homosexuels, des immigrés, des jeunes...etc. Mais ce compte s'enracine sur un mécompte fondamental, celui qui énonce que l'ouvrier n'est jamais uniquement un ouvrier mais toujours autre chose qui échappe à la totalité des compte, et il en est de même pour l'homosexuel, l'immigré ou tout autre division du social. Ce qui échappe au compte démocratique qui fait l'élection et sur lequel se fonde le droit de juger de l'élu, c'est justement l'expérience sensible qui détermine les singularités. Ainsi l'élu n'aura de cesse de nier cette expérience afin de ne pas affronter l'erreur du jugement qui est le sien et de maintenir son pouvoir.
Il faut entendre le témoignage de ceux qui, pour la première fois, se sont exprimés par le corps, en s'échangeant des gestes, sans légitimité autre que celle d'avoir un corps et en ont retiré une connaissance d'eux-mêmes augmentée, un plaisir inouï, une libération, une relève d'eux-mêmes, une force. Et que cette expérience sensible se soit faite à partir de cette égalité de droit des corps comme corps sensibles par-delà leurs distributions dans l'espace social, voilà l'apparition du scandale auquel le pouvoir politique s'empresse d'y mettre un terme. Cette négation est en marche. A nous d'y opposer notre marche.
Bien sûr ces négations sont courantes, mais elles ne tiennent tant qu'il s'agit de faire face à des cas isolés, tant qu'il sera possible d'en circonscrire le désordre apparent. Mais au-delà d'une certaine limite le pouvoir politique ne pourra empêcher qu'éclate le scandale de la vie, d'une vie n'obéissant qu'à elle-même, libre et a-moral. Cette limite, il est de notre responsabilité qu'elle s'impose au pouvoir politique dès les premiers signes de négation, afin de ne pas sombrer dans la barbarie.