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Billet de blog 4 août 2025

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Expulser pour mieux régner : quand l’État instrumentalise la morale

Loin de défendre les juifs, l’expulsion de l’étudiante gazaouie récemment accueillie en France révèle une stratégie politique cynique. Sous couvert de morale républicaine, l’État instrumentalise l’antisémitisme pour masquer son désengagement humanitaire. Une indignation sélective, plus soucieuse d’ordre que de justice.

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I. Une indignation mise en scène

L’affaire de l’étudiante gazaouie accueillie en France dans le cadre d’un programme d’évacuation humanitaire, puis expulsée vers le Qatar après la découverte de propos antisémites tenus plusieurs années auparavant, a donné lieu à une mise en scène soigneusement calibrée par le gouvernement français. Sous couvert d’une fermeté morale, l’État semble avoir trouvé l’occasion rêvée de se désengager sans le dire, tout en se drapant dans les oripeaux de la vertu. Il ne s’agit pas ici de défendre les juifs. Il s’agit de réaffirmer une autorité politique fragilisée, de réorienter la lecture publique d’un programme humanitaire critiqué, et d’offrir une posture rassurante dans un climat d’opinion saturé d’inquiétude.

II. L’humanisme comme écran

Car enfin, que révèle cette séquence si ce n’est l’extrême plasticité de l’indignation d’État ? Ce que l’on nomme ici "protection des valeurs républicaines" ou "lutte contre l’antisémitisme" n’est en réalité qu’un écran commode pour masquer une décision éminemment politique. L’étudiante, dont le parcours aurait dû relever de la politique d’asile, devient en un instant le paratonnerre parfait d’un embarras gouvernemental : comment continuer à accueillir des étudiants de Gaza tout en évitant l’accusation de naïveté ou de laxisme ? En la désignant comme l’exception, on justifie la suspension générale. En l’expulsant, on lave l’affront et l’on crédibilise une nouvelle exigence de filtrage.

III. Une défense juive à géométrie variable

Mais que l’on ne s’y trompe pas : si la défense des juifs avait été le véritable moteur de cette affaire, l’engagement de l’État contre l’antisémitisme ne se limiterait pas à cette seule opération de communication. Il se manifesterait par une politique cohérente, constante, exigeante, attentive à toutes les formes que prend cette haine : des actes violents dans la rue aux insinuations médiatiques, des propos d’extrême droite aux stéréotypes véhiculés au plus haut niveau. Il se traduirait par une protection réelle, par un refus intransigeant des ambiguïtés, par une reconnaissance sans faille des responsabilités historiques et contemporaines.

IV. Le geste politique derrière la vertu

Or ce que l’on observe ici, c’est tout autre chose : une instrumentalisation. L’antisémitisme devient une variable d’ajustement dans une stratégie politique plus large. Il s’agit de réaffirmer la frontière entre ceux que l’on accueille et ceux que l’on rejette, de produire un récit d’exemplarité nationale où la France sait ouvrir ses portes — mais sait aussi les refermer sans trembler, lorsque ses principes sont menacés. Le problème est que cette logique de tri s’opère au prix de la vérité, de la nuance, et surtout de la cohérence morale.

On aura beau répéter que les propos de cette étudiante étaient inadmissibles, ce qu’ils sont sans conteste, il faut aussi voir comment ils sont ici mobilisés. Ils deviennent le prétexte parfait pour interrompre discrètement un programme d’accueil déjà controversé, pour contenter une opinion publique lasse des dilemmes humanitaires, pour réaffirmer une autorité politique ébranlée. L’affaire est idéale : une jeune femme palestinienne, dont le profil concentre toutes les projections, et qui peut aisément incarner à elle seule l’erreur à ne pas reproduire. La morale n’est plus une exigence, elle devient un décor.

V. Une cause confisquée

Ce qui se joue dans cette affaire n’est donc pas tant la protection des juifs que l’usage politique qui est fait de leur cause. À travers l’expulsion de cette étudiante, l’État français ne défend pas une valeur : il se défend lui-même. Et c’est peut-être cela, le plus inquiétant.

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