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Billet de blog 9 décembre 2025

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Critiquer la forme pour étouffer le fond : un vieux réflexe anti-féministe

Alors que l’entourage de Brigitte Macron dénonce la « méthode » des militantes de #NousToutes ayant interrompu le spectacle d’Ary Abittan, une mécanique bien connue se remet en marche : déplacer le regard du fond vers la forme, pour délégitimer la colère féministe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous savons ce qui se joue derrière ce mot : méthode.

À chaque fois que nous faisons irruption dans un espace où l’injustice est trop confortable, trop installée, trop protégée, on nous reproche non pas ce que nous disons, mais la manière dont nous le disons. La « méthode radicale » : voilà comment on nous renvoie à notre supposée démesure, pour éviter de regarder en face la démesure des violences que nous dénonçons.

Dans l’affaire récente où Brigitte Macron a qualifié de « sales connes » des militantes de #NousToutes venues interrompre le spectacle d’Ary Abittan, l’entourage de la Première dame a immédiatement mis en cause « la méthode » de ces militantes. Tout y est : le trouble ne viendrait pas, selon eux, des violences sexuelles dénoncées, ni des mécanismes d’impunité que nous connaissons trop bien, mais du geste lui-même. Comme si un masque, quelques secondes d’interruption, une irruption brève dans un espace public suffisaient à renverser symboliquement la violence — pour faire des victimes celles qui dérangent, et non celles qui subissent.

C’est le grand renversement bourgeois : accuser la forme pour ne jamais avoir à regarder le fond.

Car la critique de la forme est la dernière ligne de défense d’un ordre social qui refuse de se penser violent.

La bourgeoisie morale — qu’elle soit politique, médiatique ou culturelle — a perfectionné cet art : ne jamais dire ouvertement que notre colère est illégitime ; plutôt dire qu’elle est mal présentée. Ce n’est pas la dénonciation qui les dérange, c’est qu’elle advienne dans un lieu où ils ne l’avaient pas prévue. Ce n’est pas le message qui choque, c’est qu’il déchire le décor.

On nous veut polies, réclamant doucement la fin des violences. On nous veut patientes, pédagogues, disponibles pour expliquer encore ce que des femmes disent depuis des années.

On nous veut réglées, calibrées, intégrées au format qui ne trouble ni le spectacle ni la tranquillité de ceux qui continuent d’en tirer bénéfice.

Lorsque nous interrompons le temps social, lorsque nous déplaçons le cadre, la bourgeoisie brandit immédiatement l’accusation suprême : la méthode.

C’est un mot qui permet tout : éviter le sujet, renvoyer les militantes à l’irrationalité, préserver les habitudes, maintenir l’ordre.

La méthode est un piège rhétorique. On la critique pour ne pas critiquer la violence. On la montre du doigt pour épargner l’agresseur présumé ou l’institution qui l’a protégé.

Dire que notre méthode est radicale, c’est tenter de nous renvoyer à une extrémité dangereuse pour disqualifier ce que nous rendons visible.

Or ce qui est radical, ce ne sont pas nos actions : ce sont les violences qui continuent.

Radical, c’est le nombre de plaintes classées.

Radical, c’est l’indifférence sociale.

Radical, c’est l’impunité.

Nous n’avons pas à rendre des comptes sur la forme.

Nous n’avons pas à prouver que notre indignation respecte le protocole d’une société qui n’a jamais respecté nos corps.

La forme n’est jamais neutre : elle est réglée par ceux qui ont le pouvoir de dire quand, où et comment la parole peut surgir. Et chaque fois que nous déplaçons cette scène, on nous accuse de déborder.

Mais nous ne débordons rien : nous révélons ce qui déborde depuis des décennies — les violences, les silences, les protections et les complicités.

Nous ne devons plus accepter cette stratégie d’inversion.

Nous ne devons plus laisser croire que la question est notre méthode alors que la question est leur confort.

Nous n’avons pas à nous excuser de troubler un spectacle quand c’est la société entière qui est troublée par les violences faites aux femmes.

Nous continuerons donc à parler, à interrompre, à occuper, à déranger.

Nous continuerons à utiliser toutes les formes que le réel exige.

Parce qu’aucune lutte n’a jamais été gagnée en se pliant aux règles de ceux qui voulaient l’empêcher d’exister.

Si notre méthode semble radicale, c’est peut-être que la réalité l’est davantage.

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