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Billet de blog 13 octobre 2025

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Effacer les Palestiniens : la fabrique médiatique du vide

Dans la couverture du conflit dit israélo-palestinien, les Palestiniens sont omniprésents comme victimes mais absents comme sujets. Cette invisibilisation, loin d’être accidentelle, participe d’une entreprise symbolique plus vaste : faire de la Palestine une terre sans peuple, donc une terre à prendre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I. L’effacement lexical : un conflit sans colonisés

Les mots font l’histoire autant qu’ils la racontent. Or, dans le lexique médiatique dominant, le conflit israélo-palestinien se trouve dépolitisé par le choix des termes : « affrontements », « ripostes », « escalades ».

Autant d’expressions symétriques qui placent les deux parties sur un même plan, comme si l’on assistait à un désaccord entre États égaux.
Le mot colonisation, pourtant documenté par le droit international, disparaît presque toujours.

Le terme occupation n’est mentionné que dans les notes de bas de page ou les interventions de chercheurs minoritaires.

Cette neutralisation du langage produit une illusion d’équilibre : elle efface la dissymétrie fondamentale entre un pouvoir occupant et un peuple colonisé.

C’est le premier acte de ce que le philosophe Edward Saïd aurait nommé une mise en récit impériale : la fabrication d’un monde où l’occupé n’existe que dans le miroir du dominant.


II. L’effacement médiologique : l’invisibilité comme méthode

Cette neutralisation lexicale se double d’une stratégie médiologique d’effacement.

Sur les plateaux de télévision, dans les colonnes des quotidiens, la parole palestinienne est raréfiée.

Les interlocuteurs autorisés à commenter la situation sont le plus souvent des diplomates, des militaires, des géopoliticiens — rarement des journalistes, des intellectuels ou des chercheurs palestiniens. Leur expérience du quotidien, leur compréhension historique, leur regard sur la société palestinienne contemporaine sont relégués à la marge.

L’espace médiatique occidental se structure ainsi selon une hiérarchie implicite : Israël parle, la Palestine est parlée.

L’un est sujet du discours, l’autre objet du commentaire.

À ce titre, l’absence de voix palestiniennes n’est pas un accident mais une condition de possibilité de la narration dominante : celle d’un conflit sans peuple, d’un territoire vidé de subjectivité.


III. L’effacement cartographique : la géographie comme idéologie

Les cartes diffusées dans la presse achèvent ce processus d’abstraction.

La bande de Gaza y est souvent représentée comme une enclave sans habitants ; la Cisjordanie, comme un territoire administratif morcelé. Les frontières mouvantes, les zones « A », « B », « C » issues des accords d’Oslo, les colonies illégales, les checkpoints : tout cela se dilue dans une géographie graphique simplifiée, lisible, mais amputée de sa réalité.

Cette cartographie aseptisée, présentée comme objective, participe d’une idéologie visuelle : elle prépare les imaginaires à considérer la Palestine comme un espace à redessiner, à réorganiser, à réattribuer.

La carte devient un instrument de dépossession symbolique.

Ce que la carte efface aujourd’hui, la politique pourra effacer demain.


IV. De l’invisibilité à la vacance : la terre comme fiction

L’effacement du peuple palestinien ne relève donc pas d’un simple biais médiatique : il constitue une opération de pouvoir. Car dans les régimes de représentation, rendre invisible, c’est rendre possible. Un territoire sans visage, un peuple sans voix, une histoire sans narrateurs : autant d’éléments qui préparent l’idée d’un espace vacant.

Cette logique trouve ses racines dans la rhétorique coloniale classique, celle de la terra nullius — la terre sans maîtres, que l’on peut occuper au nom du progrès, de la civilisation ou de la sécurité.

Invisibiliser les Palestiniens, c’est les replacer dans cette fiction du vide : un vide à remplir, à sécuriser, à posséder.

L’effacement médiatique devient alors le miroir d’un effacement territorial.


V. Conclusion : la fabrique du vide

Loin d’être un simple effet de cadrage, l’invisibilisation des Palestiniens participe d’une construction idéologique plus large : celle d’un monde où la Palestine n’existe que comme décor d’un drame géopolitique.

Dans ce monde-là, les Palestiniens ne sont ni auteurs ni témoins, mais variables d’ajustement. Or, toute invisibilisation est performative : elle prépare le terrain — symboliquement d’abord, matériellement ensuite — à la dépossession. Ainsi, derrière la mise à distance, la prudence lexicale et la neutralité feinte se profile une idée redoutable : celle d’une Palestine perçue comme terre vide, donc terre à prendre.

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