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Billet de blog 14 novembre 2025

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Le brouillage des frontières : la méthode silencieuse des prédateurs

Avant la violence, il y a la méthode : mélanger professionnel et personnel pour désorienter et sidérer la victime.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À la lecture du témoignage de Margaux, stagiaire devenue victime de violences sexuelles au sein du cabinet de l’avocat Alex Ursulet, une idée s’impose avec force : la première arme du prédateur n’est ni la force physique ni la menace explicite, mais le brouillage systématique des frontières.


Entre le professionnel et le personnel.

Entre le public et l’intime.

Entre le “normal” et l’inacceptable.

Ce brouillage n’est pas un accident : c’est une méthode.

Professionnel / Personnel : faire de la zone grise un terrain d’emprise

Dès les premiers échanges, l’avocat glisse du professionnel vers des commentaires sur “l’énergie séductrice” de sa stagiaire. Il parle de lui, d’elle, de sexualité, tout en restant dans un espace censé être celui du travail.

Ce mélange volontaire crée une confusion : que répondre ? comment réagir ? que signifie ce qui se passe ?

Quand un supérieur hiérarchique introduit des éléments intimes dans un cadre professionnel, ce n’est pas une maladresse : c’est une prise de terrain. Un test. Une préparation.

Le prédateur cherche un espace où rien n’est plus clairement défini, où l’autre ne sait plus quelle règle s’applique ni quels droits elle peut mobiliser.

Intime / Public : déplacer la violence dans un décor banal pour en masquer la gravité

La scène racontée par Margaux est glaçante précisément parce qu’elle se déroule dans un cabinet d’avocat. Le lieu même, associé à la justice, à l’ordre, à la rationalité, devient scène de domination sexuelle.

Ce déplacement participe de la sidération : comment l’intime le plus intrusif peut-il surgir dans un endroit censé garantir la sécurité et la déontologie ?

C’est en brouillant ces repères que le prédateur neutralise la réaction de défense.

L’agression ne survient pas dans un lieu secret, périphérique, clandestin. Elle survient au cœur de l’espace professionnel.

La violence semble alors “hors catégorie”. Elle ne correspond pas à ce que la victime s’attend à reconnaître comme un danger.

Confondre les registres pour empêcher la résistance

Tout, dans le comportement d’Alex Ursulet tel que décrit par Margaux, relève d’un mélange toxique de domination, de pseudo-psychologie, d’autoritarisme, de confidences personnelles, de mission professionnelle.

L’objectif ? Que la victime :

  • doute de ses perceptions,
  • doute de la gravité de la situation,
  • doute même de son droit à dire “non”.

Quand les frontières sont brouillées, l’agression peut advenir “sans introduction”, comme si elle prolongait une relation ambiguë savamment construite.

Ce flou n’est pas une circonstance. C’est le dispositif même de la violence.

Après les faits : utiliser les sphères publiques pour protéger l’acte privé

Il est frappant de constater que, suite au départ de sa stagiaire, l’avocat utilise les outils institutionnels du monde professionnel pour la discréditer auprès de son école d’avocats.

Encore une fois : intime et public se mélangent.

L’agression sexuelle — fait privé et criminel — trouve sa suite dans des démarches administratives, professionnelles, institutionnelles, destinées à isoler la victime et à protéger l’agresseur.

Ce brouillage, ici encore, fonctionne comme une extension de l’emprise.

Le vrai pouvoir du prédateur : décider où commencent et où finissent les frontières

On imagine souvent le prédateur comme quelqu’un qui transgresse les limites. En réalité, il les redessine. Il impose ses propres règles, son propre cadre, son propre “réel”.

Là où il devrait y avoir des lignes claires — hiérarchie, déontologie, intimité, consentement — il installe un espace où tout se superpose et se contredit.

Dans cet espace mouvant, la victime perd ses repères, et c’est précisément ce qui permet l’agression.

Pour comprendre, pour prévenir, pour nommer

Si le récit de Margaux est si important, c’est qu’il met en lumière la mécanique réelle de nombreuses violences sexuelles, en particulier en situation hiérarchique : avant l’acte, il y a le brouillage.

Avant la violence, il y a la confusion. Avant l’agression, il y a la dissolution volontaire des frontières.

Nommer cette stratégie, c’est redonner de la cohérence au vécu des victimes. C’est aussi rappeler que la prévention ne consiste pas seulement à repérer les gestes explicites, mais à comprendre la structure insidieuse qui les rend possibles.

Parce qu’un prédateur n’avance jamais dans un cadre clair. Il commence toujours par le rendre flou.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.