L’article publié par Télérama porte un titre qui, à première vue, peut paraître innocent :
« Hafsia Herzi, de l’éclosion d’une actrice à l’explosion d’une réalisatrice »
Mais ce choix lexical n’est pas anodin. Il révèle la manière dont le parcours d’une femme artiste est encore souvent raconté à travers une narration d’« émergence » et de « déflagration » - une trajectoire subie plutôt que construite.

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L’éclosion, l’explosion, et le regard qu’elles supposent
Le mot éclosion évoque la fragilité, la douceur, la promesse. Il renvoie à une chose que l’on observe s’ouvrir, souvent avec tendresse.
Explosion, lui, suggère la perte de contrôle, la passion, la fulgurance.
Mis ensemble, ces deux termes racontent un imaginaire typiquement genré : celui de la jeune femme qu’on regarde éclore, puis s’enflammer. Un parcours chargé d’émotion, rarement de stratégie.
On n’écrirait pas : « Xavier Dolan, de l’éclosion d’un acteur à l’explosion d’un réalisateur. »
Ni : « Cédric Klapisch, de l’éclosion d’un jeune premier à l’explosion d’un cinéaste. »
Pour les hommes, la presse parle de confirmation, de maturité, d’ascension, parfois de consécration. Autant de mots qui évoquent la maîtrise et la continuité.
Le biais invisible du langage critique
Ce n’est pas qu’une maladresse : c’est une grammaire implicite du genre. La critique culturelle française continue de raconter les femmes comme des sujets d’émotion et les hommes comme des sujets de raison.
Les premières s’épanouissent, s’imposent, éclosent ; les seconds bâtissent, réalisent, confirment.
Et cette différence n’est pas seulement stylistique : elle dit quelque chose du pouvoir symbolique.
Décrire une artiste comme une fleur, c’est refuser de la décrire comme une architecte. Et tant qu’on réservera aux femmes des métaphores de nature et aux hommes celles de construction, on prolongera, même inconsciemment, une hiérarchie ancienne : celle qui place la création féminine du côté de l’instinct, non de la maîtrise.
Changer les mots pour changer le regard
La solution n’est pas de bannir un mot, mais de se demander : que produit-il ?
Pourquoi ne pas écrire :
« Hafsia Herzi, de l’affirmation d’une actrice à la confirmation d’une réalisatrice » ?
Les termes changent, le respect aussi.
Dans une époque où la presse revendique une vigilance sur les biais de genre, ce travail lexical est essentiel. Il ne s’agit pas de “policer” la langue, mais de lui faire dire enfin ce qu’elle tait depuis trop longtemps.
Le titre de Télérama n’est pas une faute isolée, mais un symptôme : celui d’un imaginaire qui a encore du mal à penser les femmes artistes autrement qu’à travers l’émotion ou la métaphore organique.
Hafsia Herzi n’a pas éclos ni explosé : elle a réalisé.
Et ce verbe, dans toute sa force, devrait suffire.