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Le sociologue José Claudio Alves né au début des années soixante, est professeur titulaire à l'université fédérale rurale de Rio de Janeiro (UFRRJ). Il étudie le monde des milices depuis plus de vingt-cinq ans.
Extraits traduits de son interview, publiée le 30/10/25, menée par les chercheurs liés au remarqué et remarquable site internet Instituto Humanitas Unisinos.
En 2003, le sociologue a publié la première édition d'une enquête qui fait toujours référence : " Dos barões ao extermínio: Uma história da violência na Baixada Fluminense.
Une 2e édition, entièrement revue et augmentée, a été publiée en 2020.
Ses autres analyses sur ce massacre du 28 octobre 2025 ("Quand on envoie 2 500 hommes dans deux zones de favelas contrôlées par l'organisation criminelle Comando Vermelho (CV), c'est un massacre annoncé. Ils sont déjà entrés là-bas pour tuer") sont toutes sans appel.
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IHU – Les habitants des favelas "Complexo do Alemão" et de "Penha" ont rapporté la haine policière lors de l'opération policière Contenção, qui s'est manifestée par des agressions physiques et verbales, des incendies et des invasions de domiciles. De son côté, l'organisation criminelle Comando Vermelho (CV) a réagi rapidement, ordonnant la fermeture des routes et des commerces et lançant des bombes à l'aide de drones. Qu'est-ce qui ressort de cette opération ?
José Cláudio Alves – Il s'agissait d'une opération très bien calculée, à un moment précis où le groupe politique auquel Cláudio Castro est lié, de droite et d'extrême droite, est en déroute et incapable de réagir. Je vois cette opération comme une nécessité de maintenir leurs rangs unifiés autour des discours « un bon bandit est un bandit mort », « nous devons mener des opérations parce que nous luttons contre le crime », « nous sommes les héros et eux sont le mal, c'est pourquoi nous allons les exterminer ». L'opération a été menée à une échelle encore jamais vue à Rio de Janeiro, avec une grande létalité. Quand on déploie 2.500 hommes dans deux zones de favelas contrôlées par le CV, c'est une déclaration de massacre. Ils sont déjà entrés là-bas pour tuer.
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–La haine dont font état les habitants est celle d'une organisation de sécurité publique qui a été conçue pour être ce qu'elle est depuis la dictature militaire.
–Mais aujourd'hui, c'est comme s'ils avaient libéré toute la haine qu'ils avaient nourrie pendant toute cette période. Cette haine est cultivée quotidiennement, à travers des opérations de moindre envergure. Dans la pratique, les troupes de police sont entraînées quotidiennement à de petits événements constants de mort, de haine et de ségrégation des populations pauvres. C'est la fonction de ces chiens de guerre. Ils sont entraînés pour cela.
Avec le discours de coopération véhiculé par la PEC (proposition d'amendement constitutionnel) sur la sécurité publique [en novembre 2024], ils ne feront probablement pas ce qui a été fait en 2007. En 2007, Paulo Vannuchi était secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, directement lié à la présidence de la République, alors Dilma Rousseff. Il a constitué une commission d'experts et l'a envoyée à la favela "complexe do Alemão" pour analyser les 19 corps assassinés. À l'heure actuelle, nous sommes à un niveau de mortalité bien supérieur à celui de 2007. À l'époque, la commission d'experts avait identifié que 73 % des perforations sur les 19 corps étaient situées dans le dos et la tête des personnes. Les experts ont été convaincus qu'il s'agissait d'une exécution sommaire à grande échelle. À ce moment-là, une commission devait être envoyée pour établir le rapport d'autopsie de chacun de ces corps, afin d'identifier la cause du décès et de confirmer ce que les habitants affirment, à savoir qu'il s'agit d'une exécution sommaire et collective à grande échelle, qui est occultée par le discours de lutte contre le crime organisé.
Un grand écran de fumée a été créé. Ces morts seront oubliés et enterrés dans le passé de cette ville. Rien de concret ne sera fait pour rendre les responsables de ce massacre. Malheureusement, nous sommes dans une période historique très différente de celle de 2007, qui était plus propice à la lutte contre ce type de crime commis au sein même de la structure de l'État, directement par des agents publics. Aujourd'hui, la situation est bien pire. Chaque État veut mettre en place ses propres troupes d'opérations meurtrières. Depuis 2019, le pays connaît une baisse des homicides volontaires, mais, à l'inverse, les décès causés par des agents de l'État ont augmenté. Aujourd'hui, bien plus que l'établissement de partenariats entre les gouvernements des États et le gouvernement fédéral, il est urgent de mettre en place un contrôle de cette létalité des agents de l'État.
Je connais très bien la structure de sécurité publique de Rio de Janeiro. Elle est compromise ; c'est plutôt un groupe armé qui négocie avec les autres groupes armés. Le contrôle territorial par les groupes armés représente l'obtention d'une source de ressources financières, de votes et de contrôle de la circulation dans ces zones dans leur ensemble. Chaque groupe armé a ses liens politiques et économiques et, lorsqu'ils agissent comme hier [28-10-2025], dans le cadre d'une action du groupe armé étatique et d'une réaction du groupe armé non étatique, ce qui est en jeu, c'est le nouvel accord qui va s'établir là-bas, car ils vont continuer à agir.
Il ne sert donc à rien que le gouvernement de Rio de Janeiro s'associe au gouvernement fédéral si ce dernier vient renforcer la position d'un groupe armé étatique qui entretient déjà des relations de longue date avec le groupe armé non étatique, tous deux générant des bénéfices pour les groupes économiques et politiques présents sur ce territoire. La situation est devenue beaucoup plus difficile. Il ne sert à rien de penser que des policiers armés vont résoudre ce problème. La question se situe à un autre niveau. Il faut discuter du type de politiques publiques qui permettront de mettre fin à ces actions. Si le choix se porte sur un déficit zéro, il n'est pas possible de faire quoi que ce soit.
–Dans des opérations comme celle-ci, on met souvent en avant la quantité d'armes et les tonnes de drogue saisies, ainsi que le nombre de personnes arrêtées et tuées, mais on parle peu des relations humaines impliquées dans cette escalade de violence, qui génère de la souffrance, alimente la haine, la colère et le désir de vengeance. À partir de cette opération, quels sentiments seront alimentés au quotidien et pourraient contribuer à accroître l'escalade de la violence dans les communautés ? Que constatez-vous à ce sujet à partir de vos recherches ?
–C'est vraiment cruel de voir comment ces gens sont traités et privés de protection. Un massacre de cette ampleur va causer des souffrances inimaginables. Il n'y a pas d'études là-dessus. Il faudrait des études menées par les réseaux de santé pour analyser l'augmentation des maladies qui vont apparaître. Le marécage où tout cela a été construit n'a pas été signalé. Il est toujours là, avec une inégalité brutale, une criminalité croissante, des groupes économiques et politiques qui ont intérêt à cette structure criminelle parce qu'ils en tirent profit, et des programmes électoraux qui s'appuient sur ce mode d'action de la part des groupes politiques.
Les personnes qui vivent dans ces communautés essaient de survivre. Elles doivent travailler et n'ont pas de salaire. C'est une société sans salaire, qui vit de programmes sociaux, de microcrédits accordés par des réseaux financiers privés, qui vit des jeux électroniques, qui envahit des terrains pour construire de petits immeubles et percevoir des loyers pour le trafic de drogue et autres. Ce sont des personnes qui cherchent à participer à des mouvements sociaux leur apportant une certaine forme d'avantage social, qui vont se projeter politiquement avec des milices et le trafic de drogue afin de créer une structure de pouvoir.
Quelle est la société de ces personnes ? Nous ne savons même pas qui elles sont. C'est une barbarie de mener une opération [du 28/10/25] de cette ampleur à leur encontre. Elles vont tomber malades, beaucoup vont mourir assises sur un banc, en attendant d'être prises en charge – plusieurs mères de jeunes assassinés meurent ainsi, en attendant d'être prises en charge. Le réseau de santé publique ne leur fournit pas les soins adéquats. En même temps, personne ne semble se soucier de ces personnes. Tout au plus dira-t-on que la police est haineuse, qu'elle a envahi les maisons, qu'il y aura des rapports faisant état de vols, d'agressions, comme c'est toujours le cas lors de ces opérations, mais cette souffrance plus longue et plus durable qu'elles vivent, avec la mort de proches, n'est pas prise en charge.
De plus, ce type de situation divise les communautés à tel point qu'une même famille peut compter parmi ses membres des membres de ces forces armées. Certains peuvent être liés à la police, d'autres à des factions, d'autres encore à des milices. Les membres de ces familles finissent souvent par s'entre-tuer. Je l'ai déjà vu : un cousin qui tue son cousin pour des raisons liées aux intérêts armés. Cela met fin à toute relation. Tout est détruit. Et cela se produit également entre voisins, entre amis, entre membres d'une même communauté religieuse.
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Lorsque les groupes armés sont présents dans les régions, les communautés sont victimes de représailles de la part de différents groupes d'intérêt. Les groupes interagissent et s'entretuent. Cela engendre une souffrance et une réalité au sein d'un groupe religieux, d'une famille, qui est une folie. Il y a alors de la haine et du ressentiment refoulés. La tristesse qui ne peut s'exprimer, la vengeance réchauffée et élaborée en sentiments qui vont autodétruire les gens.
J'ai un ensemble d'informations que je reçois dans le cadre de mon travail, comme le récit d'une mère qui a dit qu'elle ne voulait pas qu'une autre mère souffre ce qu'elle souffre à cause de la mort de son fils. Mais lorsque le fils de l'autre mère, qui a participé à la mort de son fils, meurt, elle dit alors que justice est faite. En d'autres termes, nous percevons les contradictions qui existent ici : la personne parle de souffrance, mais en même temps, elle veut que justice soit faite. Les gens vivent dans la contradiction tout le temps. C'est une situation désespérée car il n'y a pas de solution.
De plus, la cohabitation des personnes dans ces environnements les détruit. Elles seront progressivement détruites. Elles ont besoin d'aide pour reconstruire leur vie. Mais elles ne bénéficient d'aucun accompagnement psychologique et psychosocial. Elles sont livrées à elles-mêmes. Il est très cruel de mener une opération comme celle qui a été menée. Ils s'en moquent. Ils veulent vraiment tout détruire. S'ils le pouvaient, ils largueraient une bombe, comme ils le font à Gaza, pour tout détruire d'un seul coup. Comme cela ne peut pas se faire ici, ils mènent une opération de cette ampleur pour tuer tout ce monde dans une localité. C'est notre guerre, qui a toujours existé, mais qui a maintenant atteint un niveau plus élevé, impliquant un ensemble de forces politiques, en période préélectorale.
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Nous devons comprendre qui veut maintenir ce système en place, qui veut tenir un discours de terreur, selon lequel « un bon bandit est un bandit mort ». L'extrême droite tire profit de cette situation et alimente ce scénario. Les personnes qui adhèrent à ce discours n'ont aucune idée de ce qui se passe réellement. Nous devons donc comprendre pourquoi certaines personnes défendent le massacre d'autres personnes dans leur propre quartier. Pourquoi défendent-elles ce discours ? Il n'y a pas d'étude à ce sujet. Ces personnes ont voté pour Lula da Silva, pour Dilma Rousseff, et aujourd'hui elles ne votent plus. Il y a une désillusion et une construction narrative que les gens ont intégrée, qui dit qu'il faut vraiment tuer, qu'il faut un régime répressif plus fort.
Comment les gens en sont-ils arrivés à soutenir ce discours ? Quel degré de désillusion et de regret y a-t-il eu ? À quel type de violence ces personnes sont-elles soumises ? Où ces personnes se sont-elles brisées ? [Le poète] Manoel de Barros (1916-2014) demandait, dans un poème, «combien de temps une personne doit vivre dans la misère pour que la scorie naisse dans sa bouche. Combien de temps ces personnes devront-elles être soumises à ce qu'elles ont subi dans ce massacre pour que naissent en elles la haine, la scorie, le désir de tuer l'autre ?»
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