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Combien sont les entrepreneurs de l'agronégoce qui ont financé la tentative de coup d'État menée par Jair Bolsonaro du 8 janvier 2023 ?
Et qui sont-ils ?
Qui sont ces sans visage, sans nom et impunis ?
Ces questions taraudent les esprits citoyens et démocrates depuis le 21 novembre 2024, date à laquelle la police fédérale (PF) a inculpé Jair Bolsonaro et 36 autres personnes pour tentative de coup d'État.
Mais le fait le plus alarmant doit être narré ici avant toute énumération éventuelle: à l'exception de ceux (peu nombreux) qui ont été pris dans les actes terroristes du 8 janvier, aucun des noms n'a été tenu légalement responsable d'avoir fomenté le coup d'État du 8 janvier 2023.
La participation de l'agro-industrie à ce plan a été détaillée après l'arrestation du lieutenant-colonel Mauro Cid, ancien aide de camp de Bolsonaro. Dans une déclaration au cabinet du procureur général du Brésil, il a affirmé avoir reçu environ 100.000 R$ (18.200 US$) en espèces. Des billets livrés dans un sac à vin par le général Walter Braga Netto, vice-président de la République et nouvellement candidat 2022 à vice-président de la République, qui a expliqué à Mauro Cid l'origine de l'argent : « Le général Braga Netto l'a livré et a indiqué que c'était quelqu'un du lobby de l'agriculture qui le lui avait donné, mais je ne connais pas le nom de la personne qui le lui a transmis. »
Pour répondre aux deux questions initialement posées dans cet article, le site de journalisme indépendant De Olho nos Ruralistas a publié le 25 juin 2025 l'enquête «Agrogolpistas» (PDF 89 pages), qui identifie 142 hommes d'affaires du secteur agricole ayant apporté un soutien logistique ou financier à des coups d'État entre la seconde moitié de 2022 et le 8 janvier 2023.

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Au fil des 89 pages de l'enquête de De olho nos ruralistas, on trouve les noms de banques et de multinationales directement liées aux hommes d'affaires qui ont financé la terreur. Ils reçoivent des fonds d'institutions bancaires telles que Santander (banque espagnole implantée au Brésil), la banque néerlandaise Rabobank et John Deere, marque américaine (USA) de matériel agricole et forestier, fondée en 1837. Ils ont également des contrats de fourniture et des partenariats avec des géants comme la banque brésilienne privée BTG Pactual et le fabricant suisse de chimies Syngenta - ce dernier faisant aussi partie de la chaîne de financement du Front parlementaire agricole (FPA, Frente Parlamentar da Agropecuária), lobby surpuissant sis dans l'assemblée nationale fédérale à Brasilia.
La base de données consultée et étudiée par De olho nos ruralistas des financiers d'actes antidémocratiques - 551 noms au total - a été complétée par la liste des 898 accusés tenus pénalement responsables dans les enquêtes du Tribunal suprême fédéral (STF) relatives au 8 janvier 2023 et par la liste des personnes inculpées dans le cadre de l'opération "Lesa Pátria" de la police fédérale (PF). Enfin, De olho nos ruralistas a inclus dans son enquête les noms de trois agriculteurs de l'Etat du Pará ayant fait l'objet d'une enquête pour avoir soutenu les terroristes George Washington de Oliveira Sousa et Alan Diego dos Santos Rodrigues (réincarcéré le 27 juin 2025), responsables de la tentative d'attentat à la bombe contre l'aéroport de Brasília la veille de Noël 2022.
Sur la base de ces données, De olho nos ruralistas a cherché à identifier les liens directs avec l'agro-industrie : propriété de biens ruraux enregistrés auprès de l'Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA) ou du Cadastre environnemental rural (CAR) ; appartenance à des sociétés agricoles enregistrées auprès du Service fédéral des impôts ; et enregistrement en tant que bénéficiaires d'une assurance rurale par le ministère de l'Agriculture, de l'Élevage et de l'Approvisionnement. Dans le cas des entreprises privées incriminées, la recherche s'est étendue à leurs partenaires.
Au total, De olho nos ruralistas a constaté que 142 agriculteurs et entrepreneurs agroalimentaires ont été mis en cause pour leur participation à des actes antidémocratiques. Ce chiffre correspond à 10% de l'ensemble des noms analysés tout au long de l'enquête.
Ces données peuvent être - et sont probablement - sous-estimées, car les cas de personnes portant le même nom sont fréquents et, en raison de la loi générale sur la protection des données, les bases de données foncières de l'INCRA et du Fisc (Recita federal) n'affichent plus le numéro d'identification CPF, propre à chaque Brésilien.
Les seuls cas répertoriés dans ce rapport publié sont ceux pour lesquels il existe une confirmation absolue d'une relation avec l'agro-industrie.
Sur les 142 agriculteurs et partenaires commerciaux identifiés dans l'enquête, 74 sont basés dans le Mato Grosso, 17 dans l'Etat du Goiás et 13 à Bahia. Ces trois États représentent 71 % des noms consolidés par l'enquête journalistique. La relation avec l'agro-industrie est évidente : ensemble, ils constituent le principal couloir de production de soja du pays, responsable de 47 % de la récolte nationale.
Un exemple précis pour prouver cela:
56 des 234 camions envoyés au camp des putschistes à Brasilia provenaient de la ville de Sorriso (Mato Grosso), le plus grand centre de production de soja au monde. Sur ce total, 28 appartiennent à deux familles interconnectées. Avec dix noms sur la liste, le clan des familles Bedin a envoyé quinze camions à Brasilia. Unis aux Bedin par les affaires et le mariage, le clan des Lermen - Oli Baltazar Lermen, Alexandra Lermen Bedin, Alexandro Lermen, Evandro Bedin, Ary Bedin dont les propriétés s'étalent sur au moins 9.000 hectares - ont envoyé treize (13) véhicules. Le clan Bedin est dirigé par le pionnier Argino Bedin, le « père du soja » de la ville de Sorriso. Le même homme d'affaires, propriétaire de 16.000 hectares dans le Mato Grosso, et qui s'est tu devant la Commission d'enquête parlementaire mixte (CPMI, Comissão Parlamentar Mista de Inquérito) du 8 janvier 2023 au Sénat. Lorsqu'il est rentré à Sorriso quatre jours après son témoignage, Argino a été ... acclamé lors d'un gala organisé par des politiciens et des représentants de l'agro-industrie du Mato Grosso.
Le chemin qui relie "l'Arc du Soja" aux mouvements putschistes passe également par les organisations officielles représentant l'agronégoce : six hommes d'affaires mis en examen dans des affaires liées au 8 janvier 2023 et au camp putschiste sont des dirigeants de l'Association brésilienne des producteurs de soja (Aprosoja), l'une des organisations fondatrices de l'Instituto Pensar Agro (IPA), le bras logistique du lobby de l'agrobusiness à l'assemblée nationale et au Sénat. Parmi eux, Christiano da Silva Bortolotto, ancien président de l'Aprosoja dans le Mato Grosso do Sul et de l'Union rurale d'Amambai (Mato Grosso do Sul), où il est en conflit, insensé et violent, contre le peuple indigène Guarani-Kaiowá.
Sur les 13 agriculteurs de l'État de Bahia cités par l'observatoire, 11 apparaissent comme propriétaires de camions utilisés dans les blocages routiers au Mato Grosso, Goiás et Bahia en novembre 2022, dont l'objectif était de couper l'approvisionnement à Brasília, de faciliter l'action éventuelle des militaires et d'apporter un soutien logistique aux campements installés devant le quartier général de l'armée dans Brasilia. Parmi eux se trouve l'homme d'affaires Gilson Denardin. Propriétaire d'une entreprise de transport qui a fourni trois véhicules de chargement aux putschistes responsables des émeutes sur la Praça dos Três Poderes peu après l'investiture du président Luiz Inácio Lula da Silva (PT), il est membre de la famille Denardin, propriétaire de plus de 30.000 hectares de terres dans l'ouest de l'État de Bahia et fournisseur de coton pour des géants mondiaux de l'agroalimentaire, tels que Glencore et Louis Dreyfus.
Un autre nom de famille mentionné dans le rapport est celui de la famille Walker, dirigée par les frères Elton, Vilson et Luiz, qui ont envoyé cinq camions à Brasília, tous appartenant à la flotte d'Agrowalker Serviços e Transportes. « Le clan Walker est actif depuis trois décennies dans la production de soja et de coton à Luís Eduardo Magalhães et est le fondateur d'AvantiAgro, une entreprise de semences et d'intrants qui a pour partenaires les multinationales Syngenta, Bayer, Ihara et Monsanto », indique le rapport rédigé par le journaliste Alceu Luís Castilho et par les chercheurs Bernardo Fialho et Bruno Stankevicius Bassi, qui font partie de l'équipe de De Olho nos Ruralistas.
Le document inclut dans la liste des agriculteurs qui ont financé la tentative de coup d'État l'homme d'affaires Osvaldo Henke, directeur de la Coopérative des transporteurs autonomes de marchandises (Coopertac), fondée en 2019, lors de la première année du gouvernement Bolsonaro. Considéré comme l'un des leaders les plus actifs de l'extrême droite dans l'Ouest et proche allié de l'ancien ministre de la Citoyenneté João Roma, président du parti bolsonariste PL à Bahia, Osvaldo est membre de la famille Henke, pionnière dans la région et qui a joué un rôle décisif dans le processus qui a abouti, en 2000, à l'émancipation de Luís Eduardo Magalhães, qui était le plus grand district de la ville de Barreiras et s'appelait auparavant Mimoso do Oeste.
Méga-entrepreneur agricole à Luíz Eduardo, Lauro Antonio Luza a également été mis en avant dans le rapport sur les "agrogolpistas". Né dans l'État du Rio Grande do Sul et installé dans l'État de Bahia depuis environ quatre décennies, Luza est propriétaire foncier et fondateur de Gran7, une entreprise spécialisée dans la production de semences, la nutrition et la physiologie végétales, présente dans 20 États du Brésil et dont le chiffre d'affaires est estimé à 300 millions de reais (55 millions US$) pour la récolte 2024/2025 . En plus d'envoyer des camions utilisés dans les barrages routiers et pour aider les extrémistes de droite en campements à Brasilia, l'homme d'affaires et producteur rural s'est fait connaître pendant les élections de 2022 en prêtant un jet privé lui appartenant à des politiciens qui font partie de la ligne de front du bolsonarisme. Parmi eux, le sénateur Flávio Bolsonaro...
Cinq autres grands propriétaires et agriculteurs, également patrons d'entreprises de transport routier ou aérien, sis dans l'ouest de Bahia, sont désignés par l'observatoire comme responsables de l'envoi de camions aux putschistes. Il s'agit d'Adriana Rosseto, Antonio Carlos Ribeiro et George Obeid Filho, de São Desidério ; Wilsemar Elger, de Formosa do Rio Preto ; et Albino Sadi Marodin, de Luís Eduardo Magalhaes.
Le rapport cite également deux grands propriétaires terriens comme membres du noyau des financiers de la tentative de coup d'État. L'un d'eux est le fermier José Fernandes Alípio da Silveira, dit Zeca Alípio, vice-président de l'Association nationale de défense des agriculteurs, éleveurs et producteurs de la terre (Andaterra). Alípio a même été inculpé par la Commission d'enquête parlementaire mixte (CPMI, Comissão Parlamentar Mista de Inquérito) du 8 janvier 2023 comme l'un des leaders du Mouvement Brésil vert et jaune, une organisation accusée d'avoir orchestré et financé les actes putschistes. « En 2007, Alípio a été dénoncé pour travail assimilable à de l'esclavage : six travailleurs ont été secourus dans une propriété louée, la Fazenda Bananal, à São Desidério, sans accès à l'eau potable et soumis à des journées de travail épuisantes », ajoute le rapport.
Alan Juliani, l'un des barons de l'agroalimentaire à São Desidério, est l'ancien président de l'influente Association nationale des producteurs de soja (Aprosoja), qui a donné naissance au même Mouvement Brésil vert et jaune et à l'Institut Pensar Agro (IPA), une entité qui apporte un soutien logistique et matériel au lobby de l'agronégoce au Congrès (Sénat et Assemblée nationale) à Brasilia. En 2023, selon l'observatoire, l'Aprosoja a été citée dans un rapport de l'Abin - les Services de renseignement - sur le financement par les producteurs ruraux des barrages routiers et du campement installé par les putschistes à Brasilia. Juliani a également été inclus dans la liste des cibles de la CPMI, en tant que responsable de la mobilisation en faveur du coup d'État dans l'État de Bahia.