Consolidation autoritaire
L'extrême droite a déjà été normalisée par les politiciens et les faiseurs d'opinion
par Vladimir Safatle
Le 16 juillet 2024, Wilson Gomes* a publié un article dans le quotidien national Folha de São Paulo dans lequel il invite à accepter la normalisation supposée inévitable de l'extrême droite.
Qualifiant les réactions à un tel processus de "dogmes" animés par une forme de croisade morale contre des secteurs souvent hégémoniques des populations mondiales, l'auteur a tenu à rappeler que, "si le vote est le moyen utilisé par les démocraties pour légitimer des revendications politiques", il n'y aurait aucune raison d'agir comme si l'extrême-droite n'était pas démocratiquement légitime.
Enfin, il n'a pas manqué de stigmatiser ceux qui parlent de "fascisme" à propos de ces courants aujourd'hui.
Cet article n'est pas isolé, mais représente une certaine tendance forte parmi les analystes libéraux et conservateurs du monde entier. Cette tendance consiste à rejeter la thèse de la montée mondiale de l'extrême droite en tant que mouvement mondial catastrophique de consolidation autoritaire et d'épuisement terminal des illusions de la démocratie libérale.
Nous avons vu quelque chose de similaire plus tôt, lorsque des commentateurs politiques ont tenté d'expliquer qu'un parti comme le français Rassemblement national (RN), avec son racisme et sa xénophobie systèmiques, ses liens avec le passé collaborationniste et colonial de la France, son appareil policier prêt à tirer sur tout ce qui ressemble à un Arabe, n'était pas un si gros problème après tout et ne devrait même pas être qualifié d'"extrême droite".
De telles positions ne sont pas seulement erronées. Il n'y a pas de catastrophe politique qui n'ait été minimisée par ceux qui, en période de crise structurelle, se présentent comme "anti-dogmatiques", "équilibrés" et "réfractaires aux mots d'ordres". En fait, je dirais que ce soi-disant "équilibre" est un élément fondamental du problème et de son expansion.
À ceux qui prêchent la normalisation de l'extrême droite, je dirais qu'elle ne serait jamais aussi forte aujourd'hui si elle n'avait pas été normalisée il y a longtemps. Non pas par les électeurs, mais par les femmes et hommes politiques libéraux et les faiseurs d'opinion. Il existe une alliance objective entre les deux groupes.
Les politiques anti-immigration doivent initialement être implantées par le "centre démocratique" pour que l'extrême droite puisse croître.
La paranoïa sécuritaire doit être quotidiennement sur les lèvres des analystes politiques "libéraux" pour que l'extrême droite gagne ses électeurs et électrices.
Idem pour l'indifférenciation entre les militants des mouvements sociaux et les troupes de bolsonaristes, de trumpistes et assimilés. En d'autres termes, lorsque l'extrême droite accède enfin au pouvoir, il lui suffit généralement d'enfoncer une porte pourrie. La normalisation réelle avait déjà fixé l'agenda du débat politique.
Contre cette tendance, je dirais que l'on attend de la classe intellectuelle qu'elle soit au moins capable d'appeler un chat un chat. Insister, par exemple, sur le fait qu'un discours marqué par le culte de la violence, l'indifférence à l'égard des groupes les plus vulnérables, une conception paranoïaque des frontières et de l'identité, un anticommunisme congénital, le transfert du pouvoir à une figure à la fois autoritaire et caricaturale, a un nom analytique précis, à savoir le "fascisme". C'est une façon de sensibiliser la société aux risques et tendances réels auxquels elle est confrontée actuellement.
S'en souvenir dans un pays comme le Brésil, qui a eu dans les années 30 l'un des plus grands partis fascistes hors d'Europe, qui a eu deux militaires intégristes dans la junte militaire de 1969, qui a eu un président qui a signé il y a quelques années des lettres à la nation avec la devise "Dieu, patrie, famille", c'est faire preuve d'un minimum d'honnêteté intellectuelle.
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L'université brésilienne porte déjà une lourde responsabilité pour avoir traité par la dérision le fascisme structurel de notre société jusqu'à l'arrivée d'un gouvernement marqué par des génocides indigènes, des massacres spectacularisés dans les favelas et 700.000 morts dans la pandémie au nom de la préservation des dynamiques de l'accumulation capitaliste.
Refuser la normalisation de l'extrême droite ne signifie pas ignorer les souffrances réelles de ses électeurs et la précarité chronique de la situation sociale de ceux qui la soutiennent. Cela signifie encore moins imposer des discours moraux en lieu et place des décisions politiques.
Cela signifie de ne composer en aucune manière avec les solutions de l'extrême droite et avoir la capacité de refuser catégoriquement sa façon de définir le débat.
Cela signifie aussi faire pression sur la société avec une vision alternative de transformation et de rupture. Mais c'est peut-être justement ce que certains craignent le plus.
Vladimir Safatle est présent dans nos colonnes depuis de nombreuses années.
https://movimentorevista.com.br/2024/07/a-consolidacao-autoritaria/
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(*) Wilson da Silva Gomes, né en 1963, est titulaire d'une licence, d'une maîtrise et d'un doctorat en philosophie (Pontificia Università San Tommaso d’Aquino, Roma) et d'une licence en théologie (Pontificia Università Gregoriana, Roma). Il a obtenu son doctorat en 1988 avec une thèse sur l'idée de la construction de la réalité dans l'idéalisme allemand, la phénoménologie et l'herméneutique. Depuis 1989, il enseigne, fait de la recherche et donne des conseils dans le domaine de la communication, dans les spécialités de la communication et de la politique, de la politique dans les environnements numériques et de la démocratie numérique. Il est professeur titulaire à la faculté de communication de l'université fédérale de l'Etat de Bahia (UFBA), au Brésil, depuis de très nombreuses années.