
En l'absence d'images des caméras corporelles qui auraient dû être sur les uniformes des policiers militaires et d'une liste d'infractions présumées, le secrétaire d'Etat à la sécurité, Guilherme Derrite, a mis fin le 1er avril 2024 à l'opération "Été", affirmant à la presse qu'il avait tenu sa promesse d'"asphyxier financièrement le crime organisé", en citant le PCC, une faction criminelle qui tire, selon lui, au moins 6 milliards R$/an (1,2 milliard d'euros) du trafic de drogue.
L'opération "Été" s'est achevée avec le nombre exhorbitant de 56 morts dans la région Baixada Santista, et de nombreuses versions divergentes des événements rapportés par la police militaire, font actuellement l'objet d'une enquête du ministère public.
Dans la plupart des cas, les victimes auraient tiré sur les policiers militaires, et c'est pour cette raison qu'ils ont été abattus. C'est le schéma écrit dans les 17 rapports de police de l'opération "été" analysés par les journalistes de la plateforme UOL.
S'il y avait des images des caméras corporelles des policiers, il serait plus facile de déterminer le résultat. Ou encore, la police scientifique pourrait analyser les décès sur les lieux des affrontements présumés. Une autre information est répétée dans les rapports de police : les victimes ont été secourues vivantes, mais n'ont pas résisté à leurs blessures sur le chemin de l'hôpital.
En l'absence de corps sur les lieux des fusillades, la police scientifique n'a pas été capable de déterminer la dynamique des coups de feu tirés, une procédure habituelle sur les scènes de crime. Par conséquent, les chances d'élucider ces nombreux homicides sont réduites.
Une macabre mascarade, à nos yeux.
"Les procès-verbaux de la police sont répétitifs et parlent d'échanges de tirs, de décès, de drogues et d'armes trouvées sur les suspects", souligne Cássio Thyone Rosa, expert en criminalité et membre de l'ONG Forum brésilien pour la sécurité publique.
Le même type de justification a été répété dans 15 cas de décès pour lesquels les journalistes de UOL ont posé des questions par courrier électronique entre le 5 février et le 3 avril 2024 au secrétariat de la sécurité publique de l'Etat de São Paulo. Les réponses sont arrivées, en moyenne, 40 minutes après l'envoi de la question des journalistes, presque toutes similaires, dans les rapports concernant les décès dans les actions policières...
UOL s'est aussi rendu sur six sites où des meurtres ont été commis par la police militaire (PMESP). Sur la base de consultations avec des criminalistes et des experts, il leur est possible d'affirmer qu'il existe des traces d'au moins sept crimes possibles susceptibles d'avoir été commis par les policiers : homicide aggravé (avec des moyens qui ont rendu difficile la défense de la victime), torture, fraude procédurale (en trompant le juge ou l'expert), malversation (dans ce cas, pour avoir prétendument retardé les soins médicaux aux personnes qui avaient reçu des coups de feu), non-assistance à personne en danger, menaces et violation de domicile.
Les journalistes de UOL ont entendu des témoins de ces lieux de crimes dire qu'ils n'avaient pas été convoqués pour déposer et raconter ce qu'ils avaient vu. Dans ces cas, la police civile a pourtant l'obligation légale de convoquer les témoins pour qu'ils témoignent.
Et rappelons-le, aucun des registres de décès ne mentionne l'utilisation des caméras corporelles des agents. L'absence d'images dans ces actions inquiète les institutions civiles qui enquêtent sur d'éventuelles illégalités dans ces actions meutrières de la PMESP lors de l'opération "été".
Mais revenons spécifiquement sur trois cas emblématiques, de ce qu'il faut nommer exécution sommaire.
Des journalistes de la plateforme UOL ont enquêté sur les circonstances de la 56e et dernière victime de la PMESP. C'est une coiffeuse, Edneia Fernandes Silva, 31 ans, mère de six enfants. Elle a été tuée d'une balle dans la tête dans l'après-midi du 27 mars 2024 à Santos. Selon la police militaire, elle a été abattue au cours d'un échange de tirs entre des officiers et des suspects en fuite.
Un témoin a cependant déclaré n'avoir vu qu'un seul policier militaire tirer : "J'ai vu le policier tirer très clairement. Quand j'ai regardé, Edneia était allongée sur la table. Lorsque j'ai posé ma main sur elle, du sang a coulé le long de mon bras. J'ai appelé à l'aide, mais aucun des policiers n'est venu la secourir."
C'est peu après la mort d'Edneia que l'opération "été" a été arrêtée, bien que le secrétariat d'Etat à la sécurité publique de São Paulo démente l'existence d'un lien entre les deux faits.
Deux autres meurtres justifiés par la police militaire et inclus par les parlementaires du PSOL dans leur plainte au TPI attirent l'attention en raison du profil des victimes : l'une d'entre elles, Hildebrando Simão Neto, 24 ans, ne voyait qu'à 20 % d'un œil et se trouvait dans sa chambre lorsque la police militaire est entrée dans sa maison. Et touché par les balles de deux policiers militaires de la PMESP; Nielson de Araújo Guedes et Tiago Morato Maciel, en fin d'après-midi du mercredi 7 février 2024, dans le quartier, pauvre, de Parque São Vicente,.
Selon sa famille, Hildebrando a eu une vie limitée en raison de son handicap visuel. Il ne pouvait pas laisser d'objets au milieu de la maison pour éviter de trébucher. Un parent l'accompagnait toujours dans la salle de bains pour prendre une douche au deuxième étage de la maison, car il était tombé dans les escaliers il y a quelque temps. Il ne pouvait quitter la maison que s'il était accompagné.
La famille de Hildebrando a montré aux journalistes des trous de balles dans le mur de sa chambre et conteste la version de la police selon laquelle le jeune homme était armé. Malvoyant, comment aurait-il pu avoir une arme ? Et la mère de Hildebrando, qui a préféré rester anonyme, d'ajouter : ""Mon fils a toujours eu des bleus aux orteils à force de trébucher sur tout.
"Sa famille a soumis des rapports médicaux au bureau du médiateur de la police de São Paulo et à l'ONG Forum brésilien de la sécurité publique (FBSP). ls ont prouvé que le jeune homme était malvoyant. Sur la base de ces documents, ils ont contesté la version de la police militaire.
"Hildebrando avait perdu la vue d'un œil et voyait mal de l'autre. La version des policiers selon laquelle il lui aurait tiré dessus semble fantaisiste compte tenu de ses limitations. Nous devons exiger une enquête impartiale du ministère public dans cette affaire", affirme Samira Bueno, directrice exécutive du Forum brésilien de la sécurité publique.
Les journalistes de UOL et de Ponte Jornalismo se sont rendus dans la maison où Hildebrando a été tué, tout comme son ami Davi Gonçalves Júnior, âgé de 20 ans. A ce moment-là, il y avait neuf personnes, dont trois enfants, présents à l'intérieur de la maison. Sur le mur, il y avait encore les trous laissés par les coups de fusil de la police militaires, avec du sang entre les briques apparentes.
Quelques minutes après son retour d'une journée de travail, la mère de Hildebrando a déclaré qu'elle s'apprêtait à servir du café et du pain à ses enfants dans la cuisine lorsqu'elle a été surprise par un groupe d'au moins cinq policiers militaires du bataillon - extrêmement létal - Rota.
Avec les agents de la PMESP dans la pièce, elle a tenté de calmer le jeu en disant qu'il s'agit d'une maison familiale. Sous la menace de son arme, elle a entendu l'un des policiers militaires demander : "Je veux juste savoir qui est dans la maison". Lorsqu'ils ont été informés que son fils aîné se trouvait dans une pièce arrière, les policiers se sont dirigés vers lui dans le couloir.
La mère a crié que Hildebrando était malvoyant. Mais les officiers ont continué à avancer. C'est alors qu'elle a entendu le premier coup de feu. Selon le rapport de police, cinq coups de fusil ont été tirés à bout portant par deux policiers militaires. Le décès de Hildebrando, mort le lendemain, le soir du 8/2/2024, après avoir subi une intervention chirurgicale de la dernière chance à l'hôpital Vicentino de São Vicente. a été constaté par les médecins. Il laisse derrière lui un fils de quatre ans et une fille de trois ans.
Le soir du 9 février 2024, dans le quartier Morro de São Bento, à Santos, le même type d'agissement de la PMESP a fait une autre victime un coursier à moto, Leonel Andrade Santos, qui ne pouvait pas marcher sans béquilles en raison d'un problème à l'une de ses jambes. Malgré cela, il aurait tiré de face sur deux policiers armés à Santos, selon la version du policier militaire...
"Mon mari n'avait pas d'arme. C'était un père de famille qui emmenait les enfants à l'école. La police a menti. Il ne pouvait même pas tenir ses béquilles et une arme en même temps. La police était censée nous protéger. Mais qu'allons-nous faire s'ils viennent nous tuer ?" Beatriz da Silva Rosa, épouse de Leonel Andrade Santos.
Une photographie prise par un habitant montre Leonel assis à côté de ses béquilles à 20h03 le 9 février 2024 dans le quartier Morro São Bento à Santos, une heure avant qu'il ne soit tué. Au lieu de béquilles, la police militaire affirme qu'il tenait une arme et qu'il a tiré en direction des officiers pour justifier les dix coups de fusil tirés par deux policiers militaires dans une action qui a également tué Jefferson Ramos Miranda, 37 ans.
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Sources : diverses, O Globo, Extra, Ponte jornalismo et UOL (https://noticias.uol.com.br/cotidiano/ultimas-noticias/2024/04/14/balanco-operacao-verao-56-mortes-baixada-santista.htm)