Au Brésil, au moins 53 % de tous les travailleurs sauvés de l'esclavage, par des autorités diverses, sont originaires de la région du Nordeste, selon les données du Registre national de l'assurance chômage analysées par la Commision Pastorale de la Terre (CPT). L'étude de la CPT a été mise à jour le 14/11/2024, à la fin de la campagne annuelle « De Olho Aberto para Não Virar Escravo ».
En ce qui concerne le profilage racial, entre 2016 et 2023, 82,0 % des personnes sauvées étaient noires - se déclarant noires ou métis de noirs. Au cours de cette période, plus de 12.000 personnes ont été sauvées de l'esclavage dans le pays. Parmi elles, 65,8 % se sont déclarées métis de noirs, 16,8 % noires, 16,0 % blanches, 1,4 % indigènes et 0,4 % jaunes. Si les femmes victimes sont moins nombreuses (972 contre 10.349 hommes), les femmes noires représentent près de 80 % de ce groupe (765).
Avec 165 employeurs condamnés à des amendes, l'État du Minas Gerais est en tête de la liste des employeurs qui pratiquent le travail forcé, situation analogue à l'esclavage.
Pour Cecília Amália Cunha Santos, procureure au ministère public du travail (MPT) d'Araguaína (Tocantins), ces chiffres démontrent l'héritage colonialiste du pays et la reproduction de la logique esclavagiste au sein de l'élite brésilienne. « Nous ne vivons plus dans le système colonial, officiellement, mais les idées de la colonialité perdurent dans nos relations. Ainsi, la perception que les Noirs ne sont pas dotés de dignité de la part des patrons et des employeurs est encore ancrée dans nos élites », explique-t-elle.
La procureure insiste également sur la vulnérabilité de la population noire liée à ce passé esclavagiste et au système raciste qui perdure. « De la même manière que les Blancs ont accumulé des privilèges, les Noirs, au fil des ans, ont vécu des situations sociales, accumulées au fil des générations, avec un manque d'accès aux droits fondamentaux, qui finissent par placer ces personnes historiquement dans une situation de vulnérabilité, plus exposées au travail esclavagiste. Il s'agit à la fois de facteurs sociaux, de cette histoire de violations des droits accumulées et de cette perception colonialiste qui « objective » les Noirs.
Entre 2020 et fin 2023, la moitié des sauvetages d'esclaves se sont concentrés dans deux États : Minas Gerais et Goiás. Le travail forcé se concentre dans des activités menées à la campagne et liées à l'agro-industrie. le café et le « retour » du secteur de la canne à sucre
- La pratique esclavagiste est répandue dans le Minas Gerais, moins dans le Goiás : le nombre annuel de cas identifiés dans l'État du Minas Gerais est élevé, par rapport au Goiás (15 à 20). Alors qu'en 2023 80 % des 739 personnes secourues à Goiás ont été enlevées dans 4 champs de canne à sucre et 2 cultures, au Minas Gerais la majorité des sauvetages ont eu lieu dans 2 secteurs : le café (27 incidents) et les usines de charbon de bois (12). Même situation en 2022, sauf que cette année-là, les autorités de Minas Gerais ont secouru 367 personnes dans 5 plantations de canne à sucre. Autre indication de la propagation du travail esclave dans le Minas Gerais : la pratique a été constatée dans pas moins de 58 municipalités en 2023 et 57 en 2022 (dans le Goiás : 18 municipalités en 2023, 14 en 2022).
Dans l'Etat de São Paulo, 27 des 40 incidents survenus en 2023 se sont produits en dehors des champs, mais la moitié des personnes secourues ont été retrouvées dans les champs (196 d'entre elles dans 6 champs de canne à sucre).
Il existe aussi l'esclavage domestique. Exemple. Le cas terrifiant de Sônia Maria de Jesus, retrouvée en juin 2023 en situation d'esclavage au domicile du juge de deuxième instance du tribunal de l'Etat de Santa Catarina, Jorge Luiz de Borba et de son épouse Ana Cristina Gayotto de Borba, est exemplaire de tant d'autres cas de femmes maintenues en situation d'esclavage domestique. Sauvée par le groupe d'inspection coordonné par le ministère du travail en juin 2023, Sônia Maria de Jesus a passé quarante de ses 50 ans à travailler pour la famille Borba.
Femme noire sourde, Sônia n'a jamais reçu de salaire, de soins médicaux ou d'éducation formelle. Elle a également subi des violences physiques et a vécu dans une situation dégradante dans une pièce de la maison. Sônia a été enlevée à sa famille biologique à un âge précoce et détenue au secret pendant toutes ces années.
Les salaires et revenus des juges de deuxième instance sont parmi les plus hauts du Brésil, mais peuvent varier selon l'Etat. Jusqu'à 720.000 R$ par an, soit 150.000 US$, hors les innombrables avantages (santé privée prise en charge, vacances payées, aide mensuelle au logement, forfait repas, aides diverses, retraites à 100 %, etc.). C'est-à-dire 51 fois le salaire minimum, qui est de 16.944 R$ par an. Le salaire "minimum", de base, d'un juge de deuxième instance est de 46.600 R$, mais ne correspond pas à la réalité, ramené aux revenus annuels.
En septembre 2023, avec l'autorisation du ministre de la Cour supérieure de justice (STJ) Mauro Campbell, approuvée par le ministre du Tribunal suprême fédéral (STF) André Mendonça, nommé là, à vie, par Jair Bolsonaro, Sônia Maria de Jesus a été ramenée dans la résidence où elle avait passé des décennies en captivité et où elle se trouve encore aujourd'hui, et on l'a empêchée d'entrer en contact avec les membres de sa famille. Dans de nombreuses histoires similaires, la défense présentée par les exploiteurs est la même : pour nier toute relation de travail avec leur domestique, ils utilisent le récit selon lequel cette femme était « comme une fille de la famille ».
Etc.
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Fondée en juin 1975, la Commission pastorale de la terre (CPT) est née de la nécessité de dénoncer l'inégalité et la violence dans les zones rurales du Brésil. La première dénonciation du travail esclave a été faite en octobre 1971, dans la lettre pastorale « Une Église en Amazonie en conflit avec les latifundia et la marginalisation sociale », écrite par l'évêque de la prélature de São Félix do Araguaia (Mato Grosso), Dom Pedro Casaldáliga (1928/2020), l'un des fondateurs de la CPT.