Repórter Brasil - J'ai regardé une vidéo récente dans laquelle vous analysez la situation des militants du MST et qualifiez le gouvernement actuel de « tragédie » en ce qui concerne la réforme agraire, le déblocage des crédits, l'absence de mesures pour lutter contre l'accaparement des terres et la violence dans les campagnes. Pourquoi considérez-vous le gouvernement Lula comme une tragédie ?
João Pedro Stédile - En fait, je vais essayer d'être plus précis. Au sein du MST et du mouvement militant, nous avons fait remarquer que le gouvernement Lula, en général, est un gouvernement dans l'impasse. En effet, il est arrivé au pouvoir grâce à un large front commun, ce qui a été extrêmement important pour vaincre Bolsonaro et l'extrême droite. Cependant, au cours de ces deux années, en raison de ce manque d'unité et de projet unitaire, le gouvernement n'a pas été en mesure d'élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques qui parviennent, d'une part, à s'attaquer aux problèmes structurels de la société brésilienne et, d'autre part, à garantir que la réédition de bonnes politiques publiques, telles que le programme fédéral "Bolsa Família", le Programme national d'alimentation scolaire (PNAE) et "Minha Casa Minha Vida", atteignent la majorité de la population pauvre qui vit dans les périphéries.
La difficulté de notre dialogue avec les ministères est due au fait que les ministres sont généralement optimistes. Ils pensent qu'ils dirigent le meilleur gouvernement de leur vie. Et le pire patient est celui qui ne reconnaît pas la maladie. Il n'y a donc pas de remède efficace. Telle est l'évaluation générale, et pas seulement la nôtre, du MST. Nous constatons également que le président Lula da Silva est bien seul, avec son idéalisme et sa volonté de répondre aux besoins de la population, mais que cela ne fonctionne pas.
Qu'en est-il de la réforme agraire ?
La réforme agraire s'est complètement arrêtée au cours des deux dernières années. Tout le monde a ses excuses. « Oh, nous avons dû reconstituer le ministère du développement agraire (MDA). Oh, nous n'avions pas de budget la première année ». D'accord, nous sommes patients, mais cela peut expliquer l'inopérance de la première année. Mais nous sommes maintenant dans la deuxième année, et en 24 mois, il n'y a eu que très peu, presque rien, de progrès en matière de réforme agraire.
Premièrement, il n'y a pas eu d'expropriation. La réforme agraire se fait par l'expropriation des grands domaines, sinon on n'intervient pas dans la structure de la propriété foncière. Il n'y a pas eu de solution aux conflits agraires qui auraient pu être résolus plus rapidement. Je me souviens du camp de Parauapebas (Pará), le plus grand que nous ayons, qui comptait près de 3.000 familles. Il y a eu un incendie, neuf personnes sont mortes, Lula a été consterné et a ordonné qu'à Noël, toutes les familles soient réinstallées sur des terrains. Un an s'est écoulé depuis la décision du président de la République et rien ne s'est passé. Les familles campent sur place sans aucune solution.
--------
" En matière de réforme agraire, nous donnons la note de 3/10 au gouvernement Lula"
--------
Comment s'est déroulé le dialogue entre le MST et le ministre du développement agraire et l'INCRA ?
Le dialogue est très bon. Nous nous parlons tout le temps. Il y a beaucoup d'auditions, même dans les États. Le problème, c'est leur incompétence. Ils ne remplissent pas leur fonction sociale. Alors on nous rebat les oreilles : une heure parce qu'il y a un manque de ressources, une autre heure parce qu'il y a un manque de réglementation, une autre heure parce que je ne sais pas quoi. Dites-moi : quelle explication peut me donner un fonctionnaire de l'Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra), payé pour cela ? Pourquoi n'y a-t-il pas de financement pour le Pronera (Programa Nacional de Educação na Reforma Agrária) ?
« Oh, la première année, ce n'était pas dans le budget de Bolsonaro ». Et maintenant ? Le Pronera est peut-être la politique publique la plus intéressante ou la plus civilisatrice de l'Incra, car c'est de l'argent qui va à l'enseignement supérieur, qui va libérer les paysans de l'ignorance. C'est le seul moyen pour un fils de paysan d'entrer à l'université. Et il est en concurrence avec les enfants de paysans. Mais il peut faire du droit, de la pédagogie, des soins infirmiers, des sciences vétérinaires, de l'agronomie. Ce sont des cours approuvés pour un montant total d'environ 70 millions R$ (11,8 millions d'euros). C'est une somme dérisoire dans le budget fédéral.
Au cours de l'année 2024, ils ont dû débloquer environ 10 millions de R$ (1,70 million d'euros). C'est inacceptable. Si j'étais président de l'Incra, vous pouvez l'écrire, je démissionnerais si j'avais un peu de dignité. Soit vous trouvez l'argent pour résoudre les problèmes, soit vous démissionnez.
Le MDA a présenté le programme Terra da Gente. Cela fonctionne-t-il ?
C'est une bonne intention, mais ça ne marche pas. Il ne sert à rien de dire : « Nous allons prendre les terres des débiteurs de la Banque du Brésil ». Super, on applaudit. Oui, mais alors quoi ? quelle ferme ? Dans mon État (Rio Grande do Sul), il y a une petite ferme à Viamão, probablement 700 hectares, qui appartient à la Banque du Brésil, enregistrée chez un notaire, et qu'elle a récupérée auprès d'un débiteur. Mais pour l'amour de Dieu, prenez cette ferme et installez-y les familles, car il y a beaucoup de familles touchées par les inondations qui ne veulent pas retourner chez elles. Elles ont été tellement traumatisées par l'inondation [en mai et juin 2024] du Rio dos Sinos, car c'était la troisième fois qu'elles étaient inondées, qu'elles ne veulent pas quitter les installations actuelles. Ils doivent donc trouver d'autres zones.
De même, le ministère des finances (MF) avait une bonne intention et a décidé que les terres publiques des États pourraient être échangées contre les dettes que les États ont contractées auprès du gouvernement fédéral, et que ces terres seraient ensuite affectées à la réforme agraire. Une très bonne initiative, mais ils n'ont rien fait. Nous sommes donc « énervés » par l'incompétence généralisée du gouvernement fédéral à résoudre les problèmes. Car si l'on ne résout pas le problème, il ne fait que s'aggraver.
Quelle note donnez-vous au gouvernement Lula da Silva à propos de la réforme agraire?
Nous lui donnons, en matière de réforme agraire, 3/10. Ils ont tourné en rond ! Ils vont devoir répéter leurs leçons. Ils ne passeront pas l'année ! J'espère que ça ira mieux l'année prochaine.