Nous avons débattu jeudi 26 mars, au Sénat, de la proposition de Loi du groupe CRC, visant "à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus".
Le bouclier fiscal ou la redistribution à l'envers
Les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 disposent que "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". "Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée."
Ce qui nous oppose, nous socialistes, avec la majorité, c'est la conception de la légitimité et de l'efficacité des outils fiscaux. Mme Lagarde justifiait le passage à 50 % du bouclier fiscal en l'intégrant au contrat passé entre le citoyen et l'État, s'inscrivant dans cette tradition libérale de l'impôt échange. Nous, nous y voyons un devoir nécessaire au lien social, d'où notre attachement à sa progressivité, au fondement de la solidarité.
Depuis 2002, les gouvernements et leurs majorités se sont employés à délier le lien fiscal en vidant peu à peu de son contenu le principe de l'égalité contributive devant l'impôt et en acceptant le versement de plus-values rentières sans aucune justification de performance ou de renforcement de l'appareil productif. En outre, ils ont délié le lien social en justifiant des écarts de revenus exponentiels tout en réduisant les responsabilités qui devaient s'y attacher.
Le bouclier fiscal n'est que le dernier avatar emblématique des mesures d'affaiblissement de l'impôt. Or les inégalités de revenus ont explosé. L'argument que ce bouclier éviterait le départ des Français les plus fortunés ne tient pas : la perte d'ISF a été évaluée à 17 millions en 2008 et le coût du bouclier fiscal est de 458 millions. Le plafonnement des niches fiscales ne répondra pas non plus au problème puisque le revenu pris en compte pour le calcul est net des déductions fiscales. C'est de la redistribution à l'envers, c'est de la dégressivité en lieu et place de la progressivité !
En défendant coûte que coûte le bouclier fiscal dont il a fait son totem, le Président de la République et sa majorité sont contraints à une fuite en avant qui les conduit a refuser son abrogation, ou même seulement l'élimination de ses effets les plus néfastes. Ainsi la majorité sénatoriale a-t-elle refusé le principe d'une surtaxation de solidarité pour les revenus supérieurs, telle que nous la proposions dans un amendement.
Pourtant, l'argument de la concurrence étrangère tient de moins en moins puisque les gouvernements européens et nord-américains plafonnent les rémunérations et limitent la part variable par une fiscalité dissuasive, parce que celle-ci a été un pousse au crime entraînant des prises de risques irresponsables. Or, si nous ne prenons pas de mesures législatives, toutes les vannes se rouvriront lorsque la crise sera passée.
Notre réponse fiscale aux dérèglements des rémunérations variables des dirigeants de sociétés et mandataires sociaux
Lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2008, nous avions dénoncé l'absence de contreparties sur le volet rémunération à l'octroi de garanties de l'État ou de fonds propres. Le 4 novembre, la majorité avait refusé de discuter au fond notre Proposition de Loi. Le président de la commission des lois avait concédé un suivi de la mise en oeuvre du code de bonne conduite du Medef et de l'Afep en octobre. Mme Parisot, entendue en audition le 11 mars 2009, n'a rien changé de sa position : ce code éthique est la seule réponse possible.
Pourtant, il y est écrit « qu'en cas de non-application d'une partie de ces recommandations », au demeurant fort vagues, « il revient au conseil d'administration et de surveillance d'en expliquer les raisons » selon le principe « appliquer ou s'expliquer ». Ces explications ne valent bien entendu pas sanction et encore moins restitution.
Les salariés comme les actionnaires resteront toujours lésés par les écarts de conduite. Faut-il alors attendre que la jurisprudence se prononce pour combler ce vide législatif ? Deux actions en justice (affaires Rhodia et Carrefour/Bernard) sont pendantes. Durant les dix dernières années, les rémunérations des mandataires sociaux ont augmenté linéairement de 15 %, sans rapport avec les critères de performance, tandis que les salaires n'ont cru que de 3 %.
Il est indiscutable que l'État doit intervenir par le biais de la fiscalité. Puisque Keynes est redevenu à la mode, nous devons nous en inspirer complètement : il avait établi un « rapport entre les gains obtenus par l'activité et leur utilité pour la société » définissant ainsi un seuil de tolérance. Celui-ci est largement franchi et nous devons en conséquence passer par la Loi.
Nos amendements, la plupart inspirés de notre proposition de Loi de novembre 2008, visaient à favoriser, par le biais fiscal, à un rééquilibrage entre le capital et le travail, à inciter les entreprises à la modération salariale des hauts revenus par la modulation de la taxation du bénéfice imposable, à limiter la part variable des rémunérations, en redonnant aux stock-options leur légitimité originelle qui est de suppléer à l'absence de capital des « jeunes pousses».
Enfin, nous avons proposé que les salariés et les actionnaires aient un droit de contrôle effectif sur la rémunération des dirigeants. Afin, notamment, de prévenir les effets d'aubaine et les délits d'initiés, un calendrier des cessions et des rémunérations leur serait présenté d'une année sur l'autre.
L'Elysée a tenté d'escamoter le débat parlementaire sur les rémunérations variables des dirigeants de sociétés
Alors que nous défendions nos amendements, l’Elysée a annoncé la préparation d'un décret en réponse aux dérives, dont les révélations se succèdent chaque jour dans la presse.
Le Gouvernement priverait ainsi le Parlement de ses prérogatives, le Président de la République donnant directement satisfaction au MEDEF qui ne veut pas d'une loi. Pourquoi ce décret ? Pour aller plus vite, "c'est plus rapide et plus facile" que de passer par la voie législative, a déclaré le Secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant. Tout est dit : le Parlement est un empêcheur de tourner en rond.
Ce serait traiter de façon provisoire et partielle le problème. Le lendemain, vendredi 27 mars, l'Elysée, à nouveau par la voix de M. Guéant, fait savoir que le Gouvernenement pourrait déposer parallèlement un amendement au collectif budgétaire en discussion au Sénat mardi 31. La voie réglementaire pourrait en effet comporter un risque juridique.
S'agit-il du même amendement que le président de la commission des finances du Sénat, Jean Arthuis, a annoncé vouloir déposer, visant à supprimer les distributions gratuites de stock-options dans les entreprises bénéficiant d'une aide de l'État, durant la période d'exécution de la convention ?
Un amendement et un décret. Nous sommes aujourd’hui bien loin de la “refondation du capitalisme” que le Président Sarkozy appelait de ses voeux lors de son discours de septembre 2008 à Toulon !