
Anne Sylvestre est décédée à l'âge de 86 ans. Dès l'annonce, on a brandit des mots (fabulettes), des étiquettes rassurantes, inodores : "féministe", "autrice" : euphémisant grandement l'importance de son oeuvre.
En effet, la partie "fabulettes, chansons pour enfants" d'Anne Sylvestre n'est pas celle que l'on préfère. On préfère et de loin son disque 1965 "Lazare et Cécile", dont : "Porteuse d'eau pour la vie toute entière". "Les gens qui doutent" (1974) , "Clémence a pris des vacances"(1974).
D'ailleurs, Interrogée hier sur France inter par Laure Adler, dans le cadre d'une rediffusion de l'émission "l'Heure bleue" de 2018, Anne Sylvestre a cité précisément "Porteuse d'eau" et "Les gens qui doutent" comme ses "plus belles"(sic) chansons.
Anne Sylvestre a su chanter, mieux que les autres chanteurs dits "à textes", les gueuses, -porteuses d'eau anonymes attendant que la mort les prenne. "Celle qui attend sur le port (un fils, un mari), celle du monument au morts" d'un père mort à la guerre.
Anne Sylvestre a su chanter mieux que les autres les sans nom, les sans grade que nous sommes : dont toute la science a été, durant leur vie, de SURVIVRE SEULEMENT. Comme disait Figaro : " Oui, mais pour survivre seulement, il m'a fallu plus de sciences et plus de talents, qu'il en a fallu en cent ans pour gouverner les deux Espagne' (sic) "("Le mariage de Figaro").
Anne Sylvestre a su chanter mieux que les autres les gens sans importance. Tout le contraire des "zélites" arrogantes, conquérantes, transmuant la société en champ de bataille. Sans surmoi, avides de fric, de Pouvoir, et de réussite sociale. Et les gadgets qui vont avec : voitures qui font Pin Pon, téléphones obéissants, presse docile à leur égard. Ces gens qui "pétillent" confisquent les "unes" de journaux et de magazines, alors que le plus souvent, ils n'ont strictement rien à dire de neuf.
Dans cette démarche visant à parler avec empathie du petit Peuple français (femmes anonymes et attachantes, Clémence prenant des vacances, Cécile, Lazare, etc.), volontairement mis au rancart par les médias et le champ politique depuis les années 80 et le libéralisme triomphant, Anne Sylvestre a une démarche très "politique", au sens le plus noble qui soit : parler des questions de la cité reléguées dans le hors champ, comme écrit Alain Badiou dans son ouvrage: "Métaphysique du bonheur réel", édition PUF,2015. Relégué dans "l'inutile" par une Bourgeoisie et une petite-bourgeoisie intellectuelle bien-pensante, s'imaginant en toute modestie être le seul modèle social planétaire.
Comme analyse avec lucidité Alain Accardo : (une petite-bourgeoisie) "imposant son style de vie "moyen," devenu le modèle prégnant, dominant par excellence. Jamais l'ascendant des classes moyennes sur les classes populaires n'a été aussi prononcé qu'à notre époque" (sic) (cf "Le petit bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes", édition Agone, 2009, réédité en 2020.
Anne Sylvestre parle d'un petit Peuple qui n'est plus : une sorcière comme une autre, les Clémence, Lazare, Cécile, porteuses d'eau, femmes de marin ou de soldats morts à la guerre : encore "autonomes" sur le plan culturel, malgré leur domination sociale et économique. Aujourd'hui, tout le petit monde d'Anne Sylvestre s'est affadi, ripoliné. Affilié de force à l'idéologie dominante "moyenne". Au "besoin" inextinguible de devenir bobo. Il vote PS, EELV. Attend des "changements" sages par l'élection au suffrage universel, vote dont le Peuple français n'a jamais voulu, comme le montre Alain Garrigou dans son livre : "Le vote et la vertu. Comment les français sont devenus (péniblement) électeurs", édition PFNSP, 1993. Et tant pis si cette dernière est truquée....!
"La terre colle à mes sabots
"Ne saurait m'en défaire
"Le ciel me pèse sur le dos
"J'ai pleuré les rivières
"J'ai sangloté tant de ruisseaux
"Mes doigts sont rivés à mon seau
Porteuse d'eau pour la vie toute entière.
"J'aime les gens qui doutent
"Les gens qui trop écoutent
"Leur coeur se balancer......
"J'aime leur petite chanson
"Même s'ils passent pour des cons !""T
Les gens qui doutent