Brigitte pascall (avatar)

Brigitte pascall

Auteur indépendant d'écrits politiques

Abonné·e de Mediapart

2577 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 octobre 2020

Brigitte pascall (avatar)

Brigitte pascall

Auteur indépendant d'écrits politiques

Abonné·e de Mediapart

La fin de l'Etat social ou la fabrique de l'homme jetable et mutilé...!

La fin de l'Etat social ou la fabrique de l'homme jetable et mutilé... On reposte un billet rédigé le 22 septembre 2014 sur la fin de l'Etat social : dans un moment, où la réflexion critique pointe la chute de l'Etat stratège , on remarque avec intérêt que le mot "Etat social" n'est plus jamais prononcé

Brigitte pascall (avatar)

Brigitte pascall

Auteur indépendant d'écrits politiques

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La fin de l'Etat social ou la fabrique de l'homme jetable et mutilé...

1°)- Brigitte Pascall : Je reposte un billet rédigé le 22 septembre 2014 sur la fin de l'Etat social, raclé jusqu'à l'os, primat du crédo libéral oblige. Dans un moment, où la réflexion critique pointe la chute de l'Etat stratège, -par exemple, le livre de Frédéric Farah, dont nous parlions hier-, on remarque avec intérêt que le mot "Etat social" n'est plus jamais prononcé, y compris dans le camp idéologique anti libéral. Comme s'il s'agissait de quelque chose de peu d'importance au fond. Ce qui montre à quel point la crise du social n'intéresse plus personne dans la France 2020, pourtant frappée de chômage et de pauvreté de masse record : le confinement n'y étant pas pour rien.

Telle n'est pas notre analyse, au vu des misères sans nom, au sein des classes populaires, que sa mise au rancart a généré.

2°)-LA FIN DE L'ETAT SOCIAL OU LA FABRIQUE DE L'HOMME JETABLE ET MUTILE... (22/09/2014)

Pour rédiger cet article, nous nous sommes appuyés sur un texte de Pierre BOURDIEU, intitulé "Le mythe de la mondialisation et l'état social européen", publié dans son ouvrage "Contre-feux", édition Raison d'agir, 1998. Sous ce titre embrouillé, faisant de surcroit allusion à une Europe sociale qui n'existera jamais, on trouve cependant une analyse de la formation et de la crise de l'Etat social en France, beaucoup plus stimulante que certains longs chapitres de son livre "Sur l'Etat", cours au collège de France, édition raison d'agir-Seuil, 2012, sur lequel on peine à avancer.

Quel est son propos ? Le discours libéral se présente comme "évident", "atemporel", dépourvue de toute alternative. Imposant à tous le célèbre TINA "there is no alternative"de Thatcher. Contre cette imposition permanente, insidieuse, qui produit, par imprégnation, goutte à goutte idéologique, une véritable croyance, une fausse conscience, l'idéologie dominante du moment, il existe des travaux de recherche, qui montrent comment, cette idée au départ très minoritaire, a été défendue, "vendue" en France par la revue "Preuves", financée par la CIA, patronnée par de grands intellectuels français, et qui, pendant 25 ans, à contre courant des idéaux post-68 ards, a produit inlassablement de la pensée libérale, finissant par s'imposer in fine, comme "évidente", "allant de soi". De la même façon, le thatchérisme n'est pas né avec Thatcher, mais a été préparé longtemps a l'avance par un groupe d'intellectuels : voir C. Pasche et S. Peters, "Les premiers pas de la société du Mont-Pélerin, ou les dessous chics du néolibéralisme", les annuelles, 8, 1997.

Se diffuse ainsi l'idée selon laquelle le libéralisme est "inévitable", "que l'on ne peut pas résister aux "forces économiques du marche". Il en résulte une coupure inévitable entre "l'économique", le registre noble jugé essentiel, et le "social", le parent pauvre, confiné à un rôle de "rebut", de "laisser pour compte".

Le Ministère du Travail, créé en 1906, était une conquête sociale. Idem pour le premier code du travail, intitulé "les lois ouvrières", publié en 1919. Il comprenait des dispositions sur la retraite, la journée de 8 heures, le dimanche non travaillé et le contrat collectif, ancêtre de la convention collective... Mais ce projet de code, voté à l'Assemblée Nationale, fut longtemps enterré au Sénat, où les patrons faisaient un lobby de première : il s'agit donc également d'une grande conquête sociale du mouvement ouvrier.

Pendant longtemps, le Ministère du Travail fut un lieu de conflit avec le Ministère de l'économie, conflit entre ministères financier et dépensier. Mais ce que ne dit pas Pierre BOURDIEU, c'est qu'au milieu des années 90, on voit apparaitre une nouvelle espèce de hauts fonctionnaires du Travail, formatés à l'ultra-libéralisme par l'ENA, ces derniers cessant du jour au lendemain, de "dépenser" en accord avec Bercy, dont ils partagent exactement les mêmes valeurs libérales.

On assiste alors à une régression de l'Etat social, devenu un "Etat pénal", plus prompt à réprimer, qu'a tirer les plus démunis par le haut. On a affaire à la réalisation du vieux rêve des dominants, un Etat qui se réduit de plus en plus à sa fonction policière : ainsi, dans l'état de Californie, le budget des prisons en 1994 est supérieur au budget de toutes les universités réunies. En revanche, l'état social décline. Alors, les conséquences cachées sont terribles.

Et BOURDIEU de dire : "Dans le cas de la France, l'Etat commence à abandonner un certain nombre de terrains de l'action sociale. La conséquence, c'est cette somme extraordinaire de souffrances de toutes sortes, qui n'affectent pas seulement les gens frappes par la grande misère"(Sic). Nous donnerons trois exemples :

1°)- LE SERVICE PUBLIC DE L'EMPLOI DEVIENT UNE MACHINE INHUMAINE :

par exemple, le service public de l'emploi, créé par Ambroise CROIZAT en 1945, service de la main d'oeuvre au caractère bon enfant, dont on ressortait toujours avec un vrai emploi (j'ai connu une secrétaire qui y a travaillé après guerre, et dont je tiens l'information), se transmue en machine impitoyable à radier les chômeurs : 300 000 a 400 000 radiations par mois !. Pôle emploi, "Popaul", comme le surnomment les chômeurs est devenu cette bureaucratie totalement inhumaine, où la vie du chômeur ne vaut plus rien, dictature du rentable à court terme oblige !

2°)-LA POLITIQUE DU LOGEMENT CREE UNE SEGREGATION ENTRE LES PAUVRES :

L'auteur de la distinction donne également l'exemple de la politique libérale du logement mise en place sous Giscard (aide à la personne remplaçant l'aide à la pierre beaucoup plus "sociale"), conduisant a une ségrégation sociale entre un sous prolétariat immigré resté dans les HLM, et, de l'autre, des salariés permanents dotés d'un salaire stable partis dans de petites maisons individuelles achetées à crédit, entrainant pour eux des contraintes financières énormes...

3°)-LA FIN DE L AUTORISATION ADMINISTRATIVE DE LICENCIEMENT CREE UNE MAIN D' OEUVRE JETABLE....

Mais on préfère pointer l'importance de la suppression de l'autorisation administrative de licencier, intervenue sous un régime de droite (Seguin) en 1986. Et jamais rétablie par le PS au pouvoir. Cette loi donnait au salarié une certaine dignité. Licencier un ouvrier, un cadre, était un acte humain grave, qui justifiait un contrôle de l'autorité administrative, en faveur du salarie. Le licenciement ne pouvait intervenir que si la réalité du motif économique était établie. Et pour les salaries protégés, délégué du personnel, délégué syndical, l'employeur avait pour mission de rechercher une offre de reclassement, à salaire et statut équivalent dans un rayon de 200 kilomètres. L'autorisation administrative de licencier créait un véritable sas de sécurité, puisque seulement un licenciement sur deux en moyenne était autorisé.

On ne dira jamais assez combien la fin de l'autorisation administrative de licencier rebat totalement les cartes. Généralise la gestion rationnelle de l'insécurité, dont nous parlions hier à propos des précaires. Comme écrit très justement Lucien SEVE, philosophe, auteur d'ouvrages sur la pensée de MARX, dans son article "La fonte des glaces et la lutte des classes" dans "Manière de voir", Le Monde diplomatique", octobre-novembre 2014, "Penser est un sport de combat", le philosophe Emmanuel KANT l'avait établi en matière morale : "reconnaitre à l'homme sa dignité, c'est poser qu'il est sans prix ; tout ramener à une évaluation financière, (un salarié n'est plus qu'un "coût"), institue l'indignité générale. La dictature du rentable impose un monde OU L'ETRE HUMAIN NE VAUT RIEN, ce qu'Aimé CESAiRE appelle "LA FABRICATION DE L'HOMME JETABLE". A côté de quoi les très riches "valent de l'or" : salaires inouïs, retraites chapeau, parachutes dorés..."(sic)...

Aujourd'hui, le salarié qu'on peut licencier par texto, ou par simple procédure "agrément", validée à 85% par la DIREECTE, en application de la loi officialisant ANI de janvier 2013, le chômeur qu'on radie du jour au lendemain, le précaire à qui on ne renouvelle pas son CDD, ne sont plus que des êtres jetables, ayant perdu leur dignité d'être. Et cela, dans une indifférence absolue, sans que jamais un leader politique ne se fasse l'écho de leur souffrance incommensurable....!

Mais il y a plus. Non seulement, nous sommes toutes et tous devenus des êtres jetables. Mais aussi MUTILES. Comme écrit Jacques GENEREUX dans "La dissociété", édition du SEUIL, 2006, "La dissociété libérale fait basculer des societés entières dans l'inhumanité de "dissociétés" peuplés d'individus dressés les uns contre les autres. A partir des années 80, surgit une "société du risque". Les gens ne vivent plus dans une société mais sur un champ de bataille, où chacun devra gagner et défendre sa place à l'issue incertaine d'un combat inégal." Le libéralisme consiste à exploiter la menace de la crise économique pour imposer une société inégalitaire comme jamais. Les individus se comportent en guerriers et non plus en citoyens. Au lieu de faire société, ils engendrent un monde hostile, dans lequel il devient rationnel de se comporter en guerrier.

Les gens ont deux aspirations profondes : "être soi", "être avec". " Et J. GENEREUX de conclure : "Suite à un plan social, une longue période des chômage, ils perdent leur aspiration à "être avec", seul moyen pour eux d'obtenir l'estime de soi, le sentiment d'être aimé, le besoin de trouver un sens honorable à sa propre action". Non seulement l'être humain est jetable, mais il est mutilé, désocialisé, sans appartenance à une communauté humaine, comme le montrent les enquêtes de la Fondation de France sur la solitude du chômeur... !!!

Et de conclure : "Or nous avons besoin d'amitié, pas de productivité. Et chaque soir après le travail, quand les moins aliénés d'entre nous rentrent chez eux, ils ne s'étonnent pas une seconde de prendre un plaisir infini à cesser la lutte en étant chez soi avec les siens. Ceux qui ont ce bonheur savent que ce sentiment "d'être soi", tout en "étant avec" et pour les autres, constitue l'essence d'une vie humaine" (sic

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.