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Billet de blog 12 juillet 2022

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Emotion et politique: autour d'une pauvre petite phrase de Darmanin.

Une récente déclaration du ministre Darmanin ne m’a pas surpris : « Nous devons parler aux tripes des Français » dit-il.

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Une récente déclaration du ministre Darmanin ne m’a pas surpris : « Nous devons parler aux tripes des Français » dit-il.

Autrement dit, de son point de vue, il ne faut pas laisser de côté le parler « dru et cru » qui était considéré -hypocritement, faudrait-il ajouter- par sa bourgeoise famille politique, comme de mauvaise manière.

Son camp serait donc celui de la Raison mais cela ne lui suffirait pas pour exercer actuellement le pouvoir, il lui faudrait à présent parler au peuple sur un plan émotionnel et non seulement rationnel.

Les implicites et les points aveugles d’une telle position me semblent devoir être un peu commentés1.

Il renvoie ainsi, on en a l’habitude, le RN et la NUPES du coté de la pulsion, de la violence verbale, occultant évidement la différence radicale qui existe entre ces deux mouvements politiques. Si c’est bien le projet de l’extrême-droite depuis toujours -faire fond sur les pulsions, la violence, l’absence de recul sur les émotions pour s’installer au pouvoir-, l’objectif de Mélenchon a toujours été contraire : ne pas laisser le langage de l’émotion au seul RN, l’utiliser mais mais pour tenter d'(e) (r)amener vers une raison qui ne serait pas étroitement économique un peuple fragmenté ; et le réunir dans la critique d’un système qui nous mène à la catastrophe.

Alors qu'il présente son camp, dans la lignée du Saint-Simonisme, comme un parti de technocrates œuvrant pour le Bien commun, il oublie, ou plutôt il ne comprend pas, que son camp est depuis longtemps celui d’une raison dévoyée, réduite à une rationalité économique qui ne tient plus debout. Il oublie que l’ultralibéralisme est un obscurantisme qui, en objectivant au dernier degré les êtres humains, en instrumentalisant sans cesse leurs pulsions, en les plaçant systématiquement dans des logiques de double contrainte, bref, en niant notre commune humanité, nous renvoie du côté de la folie. Que c’est donc bien la « logique » qu’il défend qui génère les délires du monde contemporain, et sa violence.

On ne lui demandera pas d’expliquer Bossuet : « Mais Dieu se rit des prières qu'on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s'oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. »2. Ce simple en serait bien incapable.

Enfin, il "oublie" que son parti a depuis longtemps oublié ses supposées bonnes manières en suivant opportunément les discours d’extrême-droite sur un certain nombre de sujets. Tout comme lui, qui a visiblement profité de son pouvoir pour pouvoir assouvir ses pulsions sexuelles.

Cette phrase est donc bien à prendre pour ce qu’elle est : un encouragement à continuer de creuser le lit des extrême-droites identitaires, religieuses, nationalistes, complotistes, celui également du consumérisme géocidaire3 qui s’appuie, lui aussi, sur une absence totale de réfrènement de la pulsion. Deux vastes rivières dont le delta se déploie entre violence et guerre.

Comme un canard sans tête, notre monde se prend donc à courir toujours plus vite vers sa fin.

Cet envahissement par la pulsion, par l’émotion, n’est hélas pas le seul fait de la droite et de l’extrême-droite. Le principe de raison, qui devrait être une évidence à gauche, est en partie critiqué par une gauche qui croit œuvrer pour les victimes en laissant libre court au principe d’émotion. Par exemple en jetant par-dessus bord, au nom de la fin qui justifierait les moyens, la présomption d’innocence.

Elle ne fait, elle aussi, que lâcher la bride à ce qui, dans l’humanité, a souvent mené au pire.

Quelques prolongements possibles :

https://www.liberation.fr/chroniques/2016/06/09/la-fin-du-sublime_1458435/

https://www.nouvelobs.com/rue89/nos-vies-intimes/20171220.OBS9562/l-emotion-est-une-force-politique-elle-peut-etre-manipulee.html

https://www.youtube.com/watch?v=OCfggkSlbbQ

https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/ROBERT/54709

https://www.youtube.com/watch?v=CjmH2fCVUyM

https://www.youtube.com/watch?v=kbEoErwzhzs

Illustration 1
© 

1 Je laisse de côté le dualisme tripes/cerveau, émotion/raison qui mériterait évidemment une critique en règle et reprends cette dichotomie, fut-elle artificielle, par commodité.

2 Histoire des variations des Églises protestantes,1688. Citation le plus souvent déformée ainsi: « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

3 Voir Michel Deguy: https://reporterre.net/Qu-est-ce-que-le-geocide

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