Le peuple suisse n’aime pas les têtes qui dépassent. Souvent moquée par les milieux économiques et les observateurs politiques, cette curiosité bien helvétique est pourtant à la racine de la prospérité et la stabilité politique du pays.
Dans les nations qui nous entourent les têtes qui dépassent font actuellement de gros dégâts, sociaux, politiques et environnementaux.
La démocratie représentative est une bonne chose, à condition qu’elle soit accompagnée de moyens de censure efficaces tels que l’initiative populaire et le référendum facultatif. La grosse fatigue de la démocratie européenne s’explique par la quasi absence de ces réprimandes populaires, accordées par le pouvoir exécutif au bon vouloir et au compte-gouttes.
Les suisses ont ce privilège de censure systématique, probablement unique au monde. Pourtant, le taux de participation lors des votations, certes fréquentes, ne dépasse que rarement les 50%, raison pour laquelle, les électeurs seraient bien inspirés à veiller sur leurs droits, qui, comme nous démontre l’actualité, ne sont pas acquis ad aeternam.
L’introduction des outils de démocratie directe, tels que le référendum facultatif et l’initiative populaire, dont les citoyens européens auraient cruellement besoin, apporterait un nouveau souffle au projet de Robert Schumann.
Pourtant, les réflexes monarchiques ont la vie dure chez les politiciens, successeurs dignes des rois déchus. Ils ne sont pas prêts à partager le pouvoir. Même les verts allemands, jadis des trublions quasi anarchiques, ont pris le goût du pouvoir et ne s’en lassent pas. C’est tellement humain.
Ainsi, en Angleterre, où l’outil du référendum est une chimère démocratique et où les citoyens ne s’expriment quasi jamais sur des sujets politiques, c’est le premier ministre « himself » qui choisit le moment et le sujet d'un plébiscite, sur un coup de poker, en quelque sorte, de façon à ce que, l’électeur, plutôt que de rendre un verdict censé, saisit l’occasion pour laisser libre cours à sa colère et sa frustration refoulée, et se venge, quitte à se tirer un autogoal.
Suite à l'autogoal du BREXIT, le gouffre entre les élites anglaises et leurs élus s'est encore élargi un peu, alors qu’en pleine tempête politique éclate une querelle au sein de « Labour » parce que les ténors du parti n'ont pas goûté le choix du nouveau président, plébiscité par les membres. Ainsi ils imposent deux de leurs propres candidats pour faire tomber celui du peuple.
La tradition monarchique des politiciens européens n’est pas propre aux anglais. Les français sont imbattables dans la discipline. Eux aussi choisissent le lancement d’un référendum quand ils jugent les électeurs « mûrs » pour une décision qui irait dans leur sens.
Heureusement, les candidats progressistes et anti système sont dans les "starting-blocks" pour les présidentielles de 2017. Ils promettent une refonte des institutions et une sixième république, c’est bonne chose. Toutefois, les réflexes impérialistes et la nostalgie de la « Grande Nation » ont la vie dure. Avec une telle attitude, même de la part des politiciens progressistes, les Etats-Unis d’Europe ne sont pas pour demain.
Ainsi, Jean-Luc Mélenchon, qu’on ne pourrait guère soupçonner de nationalisme primaire, rêve d’une francophonie, unie sous les auspices de la "Grande Nation". Décidément c’est dans les gênes. A moins que la France ne se détache du continent et prenne le large sur une plaque tectonique pour se rattacher au « Québec libre », elle est un pays européen. L' anti-germanisme et l'anglophobie des insoumis ne sont pas compatibles avec leur programme économique et politique progressiste. Un peu plus d’engagement pour « l’Europe d’après » serait souhaitable.
En Allemagne, ni Madame Merkel ni Monsieur Schäuble, ne dévieront de leur idée d’une Europe austère et vertueuse, à l’image de la fameuse « ménagère souabe », et même les verts y croient. Décidément le goût du pouvoir fait oublier les idéaux d’antan.
La Turquie, qui fait et ne fait pas parti de l’Europe, a finalement pris ses distances avec la démocratie. Les électeurs l’ont cédé, démocratiquement, à la dictature, tel que les allemands l’avaient fait longtemps avant eux.
Mustafa Kemal aurait vu les choses autrement, lui qui voulait la démocratie et le sécularisme pour son peuple. Seulement, Mustafa Kemal était un homme de pouvoir et un homme pressé qui n’avait nullement l’intention de prendre le temps et préparer le terrain pour laisser la gloire et le privilège d’avoir son buste sur les places publiques à un successeur.
Ainsi, sous son règne, la démocratisation et la sécularisation s’opérait à la vitesse grand V. Atatürk pensait pouvoir introduire ses réformes en une génération, un processus qui a pris des centenaires en Europe. La division actuelle de la société turque montre que beaucoup de malentendus persistent. L’exercice démocratique demande de la doigtée et de la pédagogie avec le risque d’un résultat imprévisible, la volonté du peuple.
Pourtant, la meilleure forme de gouvernement parmi les pires a encore de beaux jours devant elle. Espérons.