Le 31 mars dernier la fondation Gabriel Péri organisait une rencontre sur le thème : « Insurrection populaire et transition au Burkina Faso : Quels changements? ». Un succès si on considère l’affluence nombreuse, entre 100 et 200 personnes, mais un désastre pour ce qui est de l’information sur le contenu de la transition. D’ailleurs l’ensemble des organisations burkinabè représentées en France organisent une nouvelle réunion le 18 avril sur le thème : « Insurrection populaire et transition: Quels changements ? » de 14h à 18h au même endroit à savoir le siège du PCF.
L’initiative paraissait particulièrement bienvenue qui répondait bien à une demande de l’assistance venue nombreuse et avide d’informations. D’autant qu’il faut bien reconnaitre un manque de couverture de la part de la presse française
Du choix des intervenants
Mais organiser deux tables rondes en 3 heures était déjà une gageure, un pari d’ailleurs non tenu, puisque nous n’avons pas eu en réalité d’exposés structurés. Nous n'évoquerons ici que la première, l'autre était plus consacrée aux conséquences dans la région. Mais plus grave, force est de constater, aussi, que le débat était faussé de par le choix des intervenants, confié à l’antenne française du Mouvement burkinabè des droits de l’homme. Ce mouvement, né au début des années 90, est connu pour ses combats pour les droits humains. Il a joué un rôle important à la suite de l’assassinat de Norbert Zongo. Un des intervenants, Nacanabo Sagado, secrétaire exécutif du Réseau national de lutte contre la corruption, qui publie tous les ans des rapports attendus de lutte contre la corruption, est aussi un ancien dirigeant de la CGTB.
Mais tout observateur de la vie politique burkinabè sait que ces mouvements sont des lieux d’accueil des militants du PCRV, parti communiste révolutionnaire voltaïque, quand ils n’en assurent pas la direction, même si, bien sûr, tous leurs militants n’en sont pas forcément membres. Le PCRV a des liens privilégiés en France avec le PCOF (Parti communiste des ouvriers de France), issu des anciens partis dits marxistes léninistes que l’on qualifiait à l’époque de « maoïstes ». Il se réclame du marxisme-léninisme mais aussi de Staline !
S’il apparait légitime d’inviter ses militants lors de débats sur les luttes sociales dont ils sont souvent les principaux acteurs, ça l’est moins lorsque le débat est d’ordre politique car, dans ce cas, on a droit immanquablement aux analyses du PCRV. Ce parti, s’est trouvé dans l’opposition de la révolution dirigé par Thomas Sankara et ses militants ont été pourchassés. Surtout il est apparu dépassé par les évènements, lors de la dernière insurrection sur laquelle il n’a eu aucune prise si ce n’est pour appeler, une fois qu’elle avait réussie, à « une insurrection armée », et pour dénoncer un « coup d’Etat militaire ». Nous y reviendrons en fin d’article. Le bilan est déjà de 30 morts, mais on imagine ce qui se serait passé si les insurgés, qui ont vaincu à mains nues, avaient été armés.
L’autre intervenant, journaliste, Ahmed Newton a un passé de journaliste d’investigation reconnu. On disait même parfois que c’était le meilleur du Burkina et il a eu maille à partie plusieurs fois avec l’ancien pouvoir. Mais depuis l’insurrection, ses articles questionnent. Il nous livre de nombreux scoops, reconnaissant qu’il tient les informations directement du général Gilbert Diendéré, qu’il a régulièrement au téléphone, le véritable numéro 2 de l’ancien régime dont nous avons longuement rappelé le passé sulfureux si ce n’est criminel (voir http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/050215/burkina-faso-la-transition-entre-arrogance-du-regiment-de-securite-presidentielle-et-volonte-de-re ). Il lui arrive même de le nommer sous son seul prénom,"Gilbert", ce qui dénote d’une certaine proximité. A tel point qu’un des blogueurs du balai citoyen s’est demandé publiquement s’il n’était pas devenu son « attaché de presse». Lui se défendant en arguant qu'en journaliste d'investigation il doit s'informer de partout.
Et il se livre à des attaques permanentes contre les dirigeants de la transition, le premier ministre Isaac Zida et le président Michel Kafando en particulier, parfois justifiées, mais qui tendent souvent à les ridiculiser. Il a publié un article remarqué sous le titre « Gilbert Diendéré que faut-il en faire ? » (voir à http://sans-detour.blog4ever.com/articles?page=5) qui a étonné plus d’un de ses admirateurs, louant les compétences de Gilbert Diendéré en matière de sécurité, proposant notamment que l’on négocie avec lui pour lui trouver une nouvelle fonction, tout en ajoutant qu’on ne pouvait non plus s’installer dans l’impunité ! Comment concilier les deux?
S’il a taquiné M. Nacanabo sur l’incapacité à s'adapter de ce qu’il appelait l’ « ancienne société civile » , il s’est trouvé d’accord avec lui pour parler d’un coup d’Etat militaire. Mais alors, pourquoi a-t-il accepté d'être candidat au poste de Président de la transition? Pour se défendre, il a expliqué que lui-même n'avait pas directement postulé, mais que ce sont d'autres qui l'ont proposé!
Les représentants du balai citoyen étaient relégués au rang de spectateur alors qu'ils ont été bien plus actifs que ces deux intervenats. Un vrai débat sur la transition aurait nécessité d’inviter, à côté d’un opposant, au moins un des acteurs de la transition qui s’y investit en travaillant à son succès tout en gardant un esprit critique. Et il y en a de très brillants qui ne comptent pas leurs temps pour faire des propositions sans pour autant, loin de là, être des inconditionnels. Reconnaissons à l’ancien dirigeant syndical d’avoir dit que tout n’était pas négatif dans cette transition, ce qui n’a pas été le cas de Barry, et qu’il y avait de bonnes choses. Et pour cause, et cela n’a pas été dit durant le débat, une loi élaborée par le REN-LAC a été adoptée par le conseil national de la transition !
La transition apparaît en réalité comme une période ouverte, pouvant accoucher du meilleur comme du pire, mais avec un pays qui se bat, un peuple qui retrouve le goût du débat, des affrontements remis à plus tard mais qui ne manqueront pas d’éclater, des réformes importantes mais aussi de graves insuffisances. Je dirai même une démocratie active en expérimentation, non formelle puisque les élections sont à venir, dans la mesure où des contres pouvoirs existent, se font entendre et obtiennent régulièrement satisfaction, mais évidemment pas toujours. Mais il n’a guère été question de tout ça. Et depuis cette soirée, il s’est passé beaucoup de choses au Burkina, une grève générale, des déclarations de la part des autorités faisant part de tentatives de déstabilisation, une déclaration guerrière du premier ministre, l’enlèvement d’un roumain par des terroristes dans le nord du pays, une nouvelle loi électorale, la garde à vue de plusieurs anciens maires et anciens ministres, se terminant pour certains d’entre eux par des incarcérations, la publication des biens du président et des ministres… Les acteurs de l’insurrection commençaient à se poser des questions, mais plusieurs d'entre eux ont exprimé leur satisfaction pour plusieurs de ces derniers actes posés
L’insurrection a-t-elle accouché d’un coup d’Etat militaire ?
Les deux intervenants ont laissé paraître des divergences, Barry étant le plus acerbe envers la transition, lançant malicieusement plusieurs pics à l’autre intervenant, sans que les nombreuses personnes présentes, pour la plupart d’entre elles, ne puissent en comprendre la portée, faute de bien connaitre l’histoire des luttes de ce pays. Mais ils se sont retrouvés tous les deux pour qualifier le lendemain de l’insurrection de coup d’Etat militaire.
Mais qu’est ce qu’un coup d’Etat militaire ? Les burkinabè en ont connu de nombreux et ils savent bien ce que c’est. Des militaires se concertent, s’organisent et planifient la prise par les armes des points stratégiques de la ville, les bâtiments symboles du pouvoir, procèdent aux arrestations de ceux qu’ils considèrent comme leurs pires ennemis, déclarent souvent la suspension de la constitution et mettent en place un organe de transition, composé exclusivement ou très majoritairement de militaires qui légifèrent pas décret le plus souvent.
Est-ce donc ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre 2014 ? Il convient d’y revenir donc.
Depuis plus d’un, an de puissantes manifestations étaient organisées dans le pays, à l’appel de l’opposition politique avec l’appui de nombreuses associations de la société civile pour s’opposer à cette modification, créant une dynamique de lutte de force ascendante et un regain de confiance, la conscience de la force du peuple. Blaise Compaoré décide de soumettre au vote de l’assemblée nationale la modification de l’article 37 de la constitution qui lui permettrait de se représenter aux présidentielles prévues en 2015. Dès cette annonce, plusieurs associations de la société civile, notamment le Balai citoyen et le Comité anti référendum sillonnent Ouagadougou, appelant à s’opposer aux votes, organisant des petits barrages dans des quartiers. Une autre puissante manifestation est organisée le 28 octobre rassemblant une foule énorme. Les syndicats en organisent une autre le 29.
Le jour du vote, le 30 octobre 2014, une foule immense, que rien ne semble pouvoir arrêter, parvient à envahir l’assemblée nationale et à empêcher le vote. C’est le début de l’insurrection. On en trouvera le récit à http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/051114/blaise-compaore-en-fuite-la-difficile-mise-en-place-d-une-transition , ou du moins de ce que nous en savons pour l’instant.
Le 31, les dirigeants des partis politiques de l’opposition, surpris par le départ de Blaise Compaoré, restent sans voix, incapables semble-t-il de prendre une quelconque initiative. Plusieurs leaders de la société civile se rendent alors à l’état major et demandent à l’armée de « prendre ses responsabilités », de nommer l’un des leurs pour diriger la transition et dans l’immédiat de rétablir l’ordre à Ouagadougou, en proie à des pillages. C’est au cours de cette réunion qu’est choisi le lieutenant-colonel Issac Zida numéro deux du régiment de sécurité présidentiel. Selon Barry tout a été manigencé par Gilbert Diendéré. Issac Zida a besoin d’être rassuré par les leaders de la société civile avant de se rendre place la révolution. Ceux-ci rédigeront d’ailleurs la courte déclaration qu’il ira lire Place de la révolution, dans laquelle il s’engage à mettre en place une transition en concertation avec les forces vives de la nation.
Le 1er novembre, les burkinabè nettoient leur capital Ouagadougou et en retirent d’ailleurs une grande fierté. Cette insurrection leur avait fait retrouver leur dignité, comme si elle avait permis de laver la honte d’avoir supporté le régime précédent si longtemps ! Une déclaration signée par des associations de la société civile et des partis politiques appellent à une manifestation pour le 2 novembre afin d’exiger une transition civile.
Finalement de très larges discussions vont s’engager avec l’ensemble des forces vives du pays, associations de la société civile, autorités religieuses, autorités coutumières, partis politiques, armée qui vont aboutir, par consensus de tous, à la mise en place du conseil national de la transition, qui compte 25 militaires sur 90 membres, à l’adoption d’une charte de la transition « inclusive », nous en avons déjà fait l’analyse dans un papier précédent, à la constitution d’un gouvernement qui va compter 4 militaires et la nomination d’un président civile. On pourra se reporter sur cette période à http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/171114/le-burkina-adopte-la-transition-apaisee-et-inclusive. Alors le terme « coup d’Etat militaire » est-il pertinent pour désigner la mise en place du pouvoir de la transition ? Même ceux qui avaient appelé à la manifestation le 2 novembre n’emploient plus ce terme. Il faut être en France pour entendre ce qualificatif pour caractériser la transition. Et c’est bien ce que nous voulons signifier à la fondation Gabriel Péri par ce petit papier .
Je suis sorti de ce débat avec un profond malaise. La salle était pleine et l’assistance est partie pour l’essentiel avec l’idée que les militaires avaient tout manigancé et contrôlaient tout. De là à conclure qu’on était en présence d’une dictature militaire ! Quel dommage ! Espérons que la fondation Gabriel Péri saura en tirer les conséquences.
Pourtant si une chose pourrait caractériser la transition c’est bien le partage des pouvoirs, institutionnels, mais aussi hors des institutions, car des associations comme le Balai citoyen et d’autres, sont des contre-pouvoirs dont le pouvoir tient compte. C’est la raison pour laquelle cette transition est une situation ouverte et qu’elle est bien autre chose que le résultat d’un coup d’état militaire. Nous y reviendrons.
Bruno Jaffré