Bruno Jaffré

Ecrivain, historien de la révolution du Burkina Faso (83 - 87), auteur d'une biographie du président Thomas Sankara et d'autres ouvages sur le Burkina, animateur du site thomassankara.net, animateur du réseau international "Justice pour Sankara Justice pour l'Afrique", militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel

Abonné·e de Mediapart

112 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 avril 2016

Bruno Jaffré

Ecrivain, historien de la révolution du Burkina Faso (83 - 87), auteur d'une biographie du président Thomas Sankara et d'autres ouvages sur le Burkina, animateur du site thomassankara.net, animateur du réseau international "Justice pour Sankara Justice pour l'Afrique", militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel

Abonné·e de Mediapart

Visite du président burkinabè en France (2)

Les questions internationales et la sécurité dans la région ont évidemment tenu une large place lors de la visite, en France, du Président burkinabè du 7 au 9 avril dernier. Plusieurs déclarations faites, sur d’autres sujets, lors de ce séjour méritent cependant d'être relevées. Elles ont ou auront des retombées directes sur la politique intérieure du Burkina.

Bruno Jaffré

Ecrivain, historien de la révolution du Burkina Faso (83 - 87), auteur d'une biographie du président Thomas Sankara et d'autres ouvages sur le Burkina, animateur du site thomassankara.net, animateur du réseau international "Justice pour Sankara Justice pour l'Afrique", militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Et les Burkinabé ne manquent de s'en saisir. A titre d'exemple nous vous conseillons cet article intitulé Président Kaboré en France: Rechercher la Considération et la Confiance d’un Partenaire à Tout Prix que l'on trouvera http://www.burkinathinks.com/burkina-faso/visite-du-president-kabore-en-france-rechercher-la-consideration-et-la-confiance-d-un-partenaire-a-tout-prix?start=1. Le ton est donné.

 Se faire respecter à l'étranger

 Que la France manque de respect au Burkina, est malheureusement dans l'ordre des choses. Ce qui, bien sûr, doit nous amener à nous en indigner, toujours. Nous avons vu dans notre précédent article, que l'accueil à l'aéroport n'était pas vraiment un signe de malveillance particulier envers le Burkina, tout en relevant que Ouattara, le président ivoirien avait cependant été mieux accueilli par la présence d'un ministre. Par contre, l'attitude de Hollande pendant le discours de Roch Kaboré, nous a paru particulièrement scandaleuse.

 Malheureusement, en France, les africains ont toujours besoin d'en faire un peu plus pour bénéficier de la même considération que des personnes venues des pays occidentaux.

 Un commentaire, suite à mon précédent article est venu rappeler l'esclandre qu'avait fait Sankara lors de la sa réception au sommet franco-africain de Vittel en octobre 1983 (le Burkina boycottera tous les autres sommets France Afrique jusqu'à l'assassinat de Thomas Sankara), considérant avoir été mal reçu. Un épisode que de nombreux jeunes burkinabè ont évoqué sur leurs pages facebook. Sankara est comme le « mètre étalon », (l'expression est de Hubert Bazié ancien collaborateur de Thomas Sankara dans le film « Thomas Sankara l'homme intègre » de Robin Shuffield), auquel tout autre président doit désormais se comparer.

 Thomas Sankara avait été accueilli à l'aéroport par Guy Penne, conseiller Afrique de François Mitterrand, alors que de nombreux autres présidents africains l'avaient été par des ministres. Un geste ressenti comme un affront d'autant plus grave que Guy Penne était considéré, par les révolutionnaires burkinabè, comme l'instigateur du coup d'Etat qui avait limogé Thomas Sankara de son poste de premier ministre le 17 mai 1983, puis emprisonné.

 Après cet accueil, le président Thomas Sankara refusa de se rendre au dîner des présidents, ce que ne manquèrent pas de relever les médias. Il menaça même de quitter le sommet. François Mitterrand dut alors envoyer son fils Jean Christophe pour le faire changer d'avis.

 Les français entendirent parler de la Haute Volta (Le pays ne prit le nom de Burkina que le 4 août 1984). Thomas Sankara, il n'était Président que depuis à peine plus de mois, obtint le respect pour lui et son pays. Et il en sera ainsi jusqu'à son assassinat.

 Les jeunes Burkinabè auraient aimé que le président Roch Kaboré fasse respecter son pays et son peuple. Ne tient-il pas cette place de Président en grande partie grâce à l'insurrection ? Une insurrection dont nous avons dit qu’elle avait rendu la dignité à son peuple.

 Demande devant les caméras d'une rallonge budgétaire

 Lors des interventions devant la presse, après la rencontre à l'Elysée, Roch Kaboré demande très clairement une rallonge budgétaire, plus précisément il demande à la France de se faire l'ambassadeur de cette demande, auprès de l'Union Européenne.

 En d'autres temps, une telle attitude aurait été qualifiée de « mendicité ». Là encore, rappeler, dans le contexte actuel, les méthodes employées pendant les années Sankara n'est pas anodin.

 Durant la révolution, une telle demande en public aurait été inimaginable. Si Frédéric Lejeal, dans son ouvrage, Le Burkina Faso1, juge que les actes n'étaient pas toujours en cohérence avec les discours, on peut lire, dans un travail universitaire sur les relations franco-burkinabè : « Il apparaît d'une part que la forte augmentation des recettes, due notamment aux dons et à l'amélioration des recettes fiscales, ne parvient pas à couvrir l'augmentation des dépenses. Et d'autre part que ce sont essentiellement les décaissements de prêts projets qui servent à financer le déficit. Bien qu'on ignore la provenant de ces prêts, on constate que l'aide budgétaire ou le soutien économique et financier ne sont pour rien dans le financement du déficit du Burkina Faso. Or, le budget était financé à hauteur de 45% par la France en 1982. Ce changement brutal pourrait bien avoir été provoqué par le changement de régime. »2

 Durant la Révolution, dignité et refus de la mendicité se sont traduits par des retenues directes sur les salaires. Celles-ci furent adoptées par une conférence nationale sur le budget convoquée pour réduire le déficit. Pendant une nuit entière, 3 décembre 1984, les délégués débatîrent des mesures à prendre. Le principal syndicat refusa d'y participer et les autres, bien que présents, n'y prirent pas la parole. Seul un pouvoir fort peut se permettre une telle attitude. L’indépendance nationale se paye cher.

 Le gouvernement actuel qui connaît la capacité de mobilisation des syndicats a choisi une autre méthode. Il cherche à tout prix à éviter des mouvements sociaux, sans pour autant parler franchement ni ouvrir un débat public. Et les syndicats en profitent. Les ministres ont déjà communiqué sur l'état difficile des finances publiques, suite à l'insurrection et au coup d’État. Il faut maintenant satisfaire les très nombreuses promesses faites durant la campagne électorale.

 Déjà le gouvernement a accepté toutes les revendications des syndicats des magistrats après une semaine de grève. Ils ont obtenu la publication des décrets de la loi votée par le Conseil national de la Transition qui a été rédigée à la suite des états généraux de la justice. On notera que 7 décrets sur 12 portent sur les rétributions et indemnités diverses, les 5 autres portant sur le statut.

 Forts de ces acquis, les syndicats de la fonction publique montent au créneau pour avancer leurs revendications dont beaucoup portent aussi sur des questions de rémunérations. Ils menacent à leur tour.

 Le gouvernement a certes adopté quelques mesures d'économie pour réduire le train de vie de l'Etat, mais elles restent pour l'instant symboliques, comparées à ce que va coûter la satisfaction des revendications.

 Rendre le code minier plus attrayant pour les multinationales ?

 Dans le compte rendu, publié par le service d'information burkinabè (voir http://www.sig.bf/2016/04/le-president-du-faso-echange-avec-des-chefs-dentreprises-francaises-sur-les-opportunites-daffaires-au-burkina-faso/), une phrase a attiré notre attention : « Le Président KABORE n’a pas manqué d’expliquer au patronat français, les facilités d’affaires au Burkina Faso et sa volonté de rentre le code minier burkinabè plus attrayant. » Le voilà donc prêt à revenir sur le code minier, élaboré et voté par le Conseil National de la Transition, une des réformes les plus emblématiques adoptées après l'insurrection, avec le code électoral et les propositions de la Commission des réformes et pour la réconciliation. Quel est donc son tort : augmenter considérablement les recettes que pouvait tirer le Burkina des richesses de son sous-sol.

 Le gouvernement avoue là son intention de remettre en cause les acquis de la transition. Il ne peut y avoir d'indépendance nationale sans remise en cause de l'exploitation des richesses par les multinationales. Si la Révolution avait en son temps cruellement manqué de recettes pour développer son économie vers l'auto-développement, il en va tout autrement de la situation actuelle. Lila Chouli3, dans ouvrage publié récemment, écrit que l'or est « désormais la principale richesse du pays en ayant supplanté le coton depuis 2009 : la part de l'or dans les exportations faisant un bond spectaculaire pour s'établir à 71% en 2012 [elle était de 42% en 2009 et de 53% en 2010] ». Un peu plus loin, elle cite la revue économique African business qui prévoit que la production minière devrait atteindre 22% du PIB d'ici quelques années. Le gouvernement affiche donc clairement ses choix. Des choix qui signifient qu'il devra continuer à solliciter des rallonges budgétaires à l'ancienne colonie.

 On notera pour compléter que, selon une dépêche de l'agence PANA du 8 avril 2016, Rock Kaboré aurait aussi déclaré devant les patrons français « En dépit de ces chocs, l’économie burkinabè a fait preuve de résilience. Aussi, la croissance du PIB nominal est-elle revenue de 6,6 pc en 2013 à 4 pc en 2014. Elle ressortirait à 4,5 pc en 2015 », a-t-il dit, annonçant que les perspectives sont favorables pour 2016, les prévisions situant la croissance à 5,7 pc » (voir https://www.yeclo.com/2016/04/08/le-fmi-annonce-un-pr%C3%AAt-de-20-milliards-dici-la-fin-de-lann%C3%A9e-pour-le-burkina-faso/). Une économie qui ne serait donc pas si sinistrée que cela ! Son gouvernement tient-il le même langage devant les syndicats ? Ceux-ci pourraient s’en trouver confortés à demander la satisfaction de leurs revendications.

 Thomas Sankara avait lui fixé ses priorités au mon rural, n'oubliant pas de rappeler que des campagnes viennent les principales richesses du pays, mais que les producteurs n'en retiraient pas vraiment les bénéfices. Mais le débat a-t-il vraiment été rouvert au Burkina ? Il faut bien reconnaitre que le monde rural a été le grand oublié de la Transition. Le sera-t-il aussi du nouveau gouvernement ? Alors que le monde rural est celui par qui on peut obtenir massivement des voix en s’alliant les chefs coutumiers. Et on peut compter sur le MPP, le parti au pouvoir, pour avoir été expert en la matière.

 Sans Justice, moins de recettes de l’État

 Le Burkina continue d'avoir mal à sa Justice. Elle était au centre de l’exaspération des insurgés qui réclamaient la fin de l’impunité pour les crimes de sang comme pour les crimes économiques. La méfiance envers les juges était à son comble sous le régime précédent. La Justice est désormais théoriquement indépendante. Par exemple plus aucun représentant de l’État ne siège au Conseil de la magistrature. Pourtant que d’interrogations !

 Déjà aux lendemains de la Transition, faute de volonté politique et du fait de complicités toujours présentes autour ou au sein du pouvoir, on avait permis au clan Compaoré et à ses alliés de sortir leurs avoirs du pays. Les arrestations ont été effectuées au compte-goutte. Aucune mesure, sauf cas rare, ne semble avoir été prise contre les responsables de la corruption. On se rappelle par exemple que, jugé sous la Transition, le chef de la douane sous Blaise Compaoré, Ousmane Guiro, était sorti libre avec une peine légère alors qu'il cachait chez lui près de 3 millions d'euros en liquide. Le procureur général s'en était insurgé et avait promis un nouveau procès, mais pour l'instant rien !

 Marius Luc Ibriga, personnalité influente de la société civile, nommée directeur du Contrôle d'Etat, n'a eu de cesse de rappeler que le contrôle d’État avec déjà réalisé des dossiers de détournements et de malversation, rien ne semble d'être passé.

 Et depuis quelques temps, on assiste même aux libérations des quelques détenus civils emprisonnés. Aucune communication de la part des juges civils sur toutes ces affaires. Mieux les avoirs des personnes soupçonnées ont été dégelés. Pourquoi ? On entend beaucoup parler des juges avançant leurs revendications salariales mais peu des avancements des enquêtes touchant les personnalités de l'ancien régime.

 Pourtant la justice militaire, de son côté, communique beaucoup. On l'a beaucoup entendu sur l'affaire Sankara. Elle informe très régulièrement aussi sur l'avancement de l'enquête sur le coup d’État de septembre 2015. Par exemple on a appris tout récemment que plusieurs officiers de haut rang seraient aussi impliqués.

 La Transition a institué l'obligation pour les membres du gouvernement de déclarer leurs biens. Ce qu'ils ont fait sous la Transition et ce que viennent de faire les membres du gouvernement actuel, suscitant de nombreux commentaires mettant en doute la véracité des déclarations ou leurs manques de précision. Or Luc Marius Ibriga avait déclaré que le contrôle d’État n'avait pas les moyens matériels et humains de procéder à toutes les vérifications nécessaires. La Transition avait pu compter sur les travaux de FREEAFRIK, un centre de recherche qui s'était mis à sa disposition. Il avait notamment produit des chiffrages, mis à nu les méthodes de prédation des ressources de l’État, contribué à rédiger des lois.

 Le gouvernement ne semble pas avoir la volonté politique de détruire le système Compaoré. Et pour cause! Les dirigeants actuels en sont issus. Ils en ont été parmi les principaux bénéficiaires. Et leurs déclarations de biens sont d'ailleurs largement mises en doute.

 Que de questions auxquelles le gouvernement ne répond pas ! On attend toujours qu’il engage des procédures pour récupérer les sommes détournées, qu’il réclame le juste prix de ses ressources minières aux multinationales. Et il répond aux revendications des syndicats. Alors, bien sûr, il n'y a pas, dans ce cas, d'autres moyens que de mendier des rallonges budgétaires.... et de porter atteinte à la dignité des Burkinabè, si chèrement acquise...

 Rien ne sera plus comme avant ? A voir, mais ce pays et son peuple ne manquent pas de ressources ! La période qui vient ne sera pas de tout repos. Le gouvernement avait été bien accueilli. Désormais c’est l’épreuve de vérité.

Bruno Jaffré

 1Frédéric Lejal Le Burkina Faso Karthala, 2002, 336 pages.

 2Adrien Licha Evolution des relations franco-burkinabè durant la révolution sankariste 4 août 1983-15 octobre 1987 Mémoire de Master I Université Lyon II Lumière année 2010-2011 voir http://www.thomassankara.net/IMG/pdf/relationsfrancoburkinabeadrienlicha.pdf

 3Lila Chouli Le boom minier au Burkina Faso, Témoignages de victimes de l'exploitation minière, Fondation Gabriel Péri, août 2014, 156 pages page 20. Lila Chouli, jeune chercheuse, très engagée dans le soutien au mouvement syndical burkinabè, est décidée récemment d'une grave maladie. Outre cet excellent ouvrage sur les mines au Burkina, et l'exploitation, elle avait aussi publié un ouvrage sur la révolte de 2011 au Burkina. Des travaux qui restent des références incontournables pour qui s'intéresse à ce pays.


Pour être informé de la parution des nouveaux articles de ce blog, faites la demande en écrivant à bj.mediapart@gmail.com

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.